E.T.I: Un an après son démarrage, combien de projets sont soutenus par Quantonation aujourd’hui ?
Christophe Jurczak: Quantonation soutient aujourd’hui 4 startups, et bientôt deux de plus. Les 4 projets dans lesquels nous avons déjà investi ne concernent pas que des startups françaises. Parmi les 6 projets que nous soutenons, la moitié sont français.
Présentez-nous ces projets.
La première startup dans laquelle nous avons investi est une très belle startup française, LightOn, issue de l’ESPCI, qui développe un coprocesseur optique. Assez compact, il est basé sur de l’optique et des lasers, dans le but d’accélérer significativement des calculs de machine learning, tout en réduisant la consommation d’énergie par rapport à des cartes graphiques classiques qui font ces calculs. C’est vraiment quelque chose de très disruptif, avec un très gros potentiel.
La seconde startup dans laquelle nous avons investi est issue de l’université de Bristol, elle s’appelle KETS et développe des solution de sécurité quantique, plus précisément des chips et des cartes électroniques pour de la génération de nombres aléatoires et de la distribution de clés quantiques. KETS est, comme la majorité des startups dans lesquelles nous investissons, une spin-off d’université, co-fondée par des scientifiques.
La troisième est canadienne, Quantum Benchmark. Nous avons investi un peu plus tard dans cette startup, après un premier tour d’investissement. C’est une startup fantastique, leader dans les softwares pour caractériser des qubits et les améliorer, en réduisant une partie des erreurs. Ils commercialisent déjà leur solution pour les ordinateurs quantiques déjà existants – Google, IBM et d’autres – même si ce ne sont pas des machines encore très performantes.
Enfin le quatrième investissement que nous avons réalisé concerne PASQAL, la première startup française de hardware quantique, une des toutes premières en Europe aussi. Là, nous sommes intervenus très tôt, en pré-amorçage.
Cette société développe un ordinateur quantique à partir de la technologie d’atomes refroidis et manipulés par laser.
Les deux autres investissements sur lesquels nous travaillons sont dans le domaine des capteurs et de la cyber-sécurité. De cette façon nous couvrons l’ensemble des secteurs d’application du quantique.
Aujourd’hui, quels sont les marchés existant pour ces technologies quantiques ?
On trouve dans le secteur des capteurs des startups qui ont déjà des marchés aujourd’hui, pas forcément très importants mais cela va grossir. Ce sont des startups qui ont souvent déjà des revenus, notamment auprès d’académiques, dans des labos, dans des centres de recherche… Au fur et à mesure que les prix baissent et que la proposition de valeur est améliorée, nous allons avoir des marchés plus significatifs.
C’est pour ça qu’une entreprise comme Bosch s’intéresse beaucoup au quantique, et ce type d’entreprise adresse des marchés de masse. On n’en est pas encore là mais c’est la trajectoire qui se dessine pour les années qui viennent.
Qu’en est-il en ce qui concerne l’ordinateur quantique ?
Pour l’ordinateur quantique, on peut imaginer des applications commerciales dans un horizon de 3 à 5 ans : pour certaines formes de calcul, la simulation, l’utilisation pour la pharmacie, l’optimisation de la finance… Une entreprise comme Total, par exemple, s’y intéresse aussi beaucoup pour identifier des champs pétrolifères.
A cet horizon, on parle de processeurs quantiques spécialisés, comme cela existe d’ailleurs déjà dans le calcul « classique » avec certains processeurs de nouvelle génération. Pour le développement d’un ordinateur quantique qui résout vraiment tout, je tablerai plutôt sur une dizaine d’années. Attention, il s’agit de processeurs pour des applications « B to B », on ne parle pas d’ordinateurs pour particuliers.
Financièrement, que va représenter le marché des technologies quantiques dans les années à venir ?
Un rapport du BCG qui vient de sortir estime que d’ici trois à quatre ans, la « création de valeur » due à l’ordinateur quantique, c’est-à-dire l’impact pour les entreprises clientes, représentera entre 2 et 5 milliards de dollars par an, ce qui est très significatif. Dans le domaine des communications quantiques, on parle de 25 milliards de dollars à l’horizon 2025, et c’est bien sûr en lien avec le déploiement de la 5G. Même si ces chiffres sont à prendre avec précaution, on commence à réaliser que l’impact sera majeur, même s’il ne faut pas cacher les obstacles technologiques qu’il va falloir surmonter.
Dans le domaine du calcul quantique, la grosse nouveauté des 18 derniers mois, c’est que, précisément, l’on n’est plus focalisé sur la fabrication de la machine qui “fait tout”, mais sur des utilisations spécifiques des machines dont on dispose déjà, qui ont des défauts mais dont on attend tout de même un bénéfice par rapport à du classique. Du coup, on arrive plus vite à des usages pertinents. C’est la révolution qui s’est déroulée ces derniers mois sur le quantique : la compréhension qu’il y a une approche long terme et une approche court terme. Pour moi, c’est l’enjeu principal pour les startups du secteur : développer des solutions pour des revenus à court terme mais aussi garder une vision moyen/long terme dans leur stratégie de développement pour adresser la disruption à venir.
Comment l’état français accompagne t-il les startups pour qu’elles existent sur ces marchés en développement ?
Je pense qu’en France nous avons la chance d’avoir des dispositifs de soutien public aux startups, mis en place par l’Etat et les Régions, avec l’acteur de référence qu’est BPI France, qui sont importants notamment en termes de montants attribués et de mécanismes de soutien (coaching, accompagnement sur l’international ….). Ils sont plutôt focalisés sur les phases de démarrage des sociétés, et un des axes pour BPI France – mentionné dans le plan Deep Tech – doit être de faire émerger des fonds comme le nôtre qui prennent le relais pour la phase de croissance qui demande des capitaux importants. De façon plus générale, il faut que nous, les acteurs privés, soyons plus enclins à investir sur des technologies difficiles d’accès, avec des horizons relativement longs. C’est encore trop rare, et c’est la raison d’être de Quantonation.
Cet article se trouve dans le dossier :
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