Christophe Jurczak est partner dans le fonds d’investissements en capital risque Quantonation, qui accompagne des start-ups dans les premières phases de leur développement. Ce fonds, qu’il a créé l’année dernière en partenariat avec Olivier Tonneau et Charles Beigbeder, répond à une carence récurrente en Europe quand il s’agit d’investissements à risque.
E.T.I: Quelle est la génèse de quantonation ?
Christophe Jurczak: J’ai travaillé aux Etats-Unis jusqu’à l’année dernière, et j’ai commencé à noter les signaux avant-coureurs d’une évolution dans le domaine du quantique, sachant que j’ai une formation dans ce domaine avec un doctorat dans l’équipe d’Alain Aspect à la fin des années 90. De retour en France l’année dernière, je me suis associé à Charles et Olivier qui avaient identifié la même tendance, et fait déjà des investissements dans des technologies quantiques dites « de première génération », comme des lasers sophistiqués..
Vers 2015/2016 on a vu que les technologies commençaient à sortir des laboratoires, surtout en ce qui concernait les senseurs. Mais le marché des senseurs est plus petit que celui de l’ordinateur quantique, pour lequel le marché est gigantesque et les opportunités de distribution majeures. C’est également selon moi un marché beaucoup plus disruptif.
Qu’est-ce qui a accompagné cette “sortie des laboratoires” comme vous dîtes ?
C’est aussi à ce moment là qu’IBM a mis sa plateforme en ligne avec 5 qbits, que tout le monde a pu expérimenter. Cela a été également un gros facteur déclenchant. Tout cela m’a amené à réfléchir à la mise en place d’un véhicule d’investissement pour les start-ups du domaine.
Justement, quelles sont les particularités des technologies quantiques pour un fonds d’investissement comme le vôtre ?
Aujourd’hui le problème des jeunes pousses du secteur Quantique (et des Deep Tech en général) est le temps qu’elles passent au stade “pré-revenu”, qui est plus long que pour d’autres acteurs comme ceux du digital par exemple. Pour le quantique le temps de développement technologique est plus long. Il est donc plus compliqué de trouver des investisseurs, sans parler de la barrière de compréhension spécifique au domaine du quantique. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur la deep tech qu’est le quantique, avec des retours sur investissements plus longs, mais également avec des attentes en termes d’impacts sociétaux beaucoup plus significatifs. Or, ce type de fonds d’investissements n’existait pas au niveau européen sous forme de véhicule spécialisé, d’où notre volonté de créer Quantonation.
Quels sont les profils des start-ups que vous avez décidé d’accompagner ?
Nous avons pour le moment réalisé 4 investissements, et deux sont en cours. Nous sommes également en train de réaliser une levée de fonds de 50 millions d’euros pour faire passer notre action à une autre échelle. Sur les 6 investissements faits et en cours, 3 concernent des start-ups françaises. Les trois autres sont canadienne, anglaise et suisse. Les activités de ces jeunes pousses sont diverses: computing, sensing, télécommunications, cybersécurité …
Le soutient public et privé des start-ups innovantes sur le domaine du quantique n’est pas qu’un enjeu technologique. Expliquez-nous pourquoi.
La BPI a lancé en France le plan deep tech en début d’année, qui a pour but d’aller chercher les technologies disruptives, qui sont aussi des enjeux de souveraineté, comme l’ordinateur quantique. Et pour être compétitif à ce niveau il faut développer un autre type d’investissement, plus risqué. Ce qui on l’a dit n’est pas une habitude chez les Européens. Par exemple, en France, on a pas de start-up de quantum software. C’est inquiétant, et très problématique pour l’avenir. C’est quelque chose auquel nous nous attelons et que l’on aimerait vraiment voir évoluer positivement dans les années qui viennent. Heureusement, rien n’est encore perdu à l’heure actuelle, et on voit des signes avant-coureurs – avec un plan National sur le Quantique qui se profile – qui nous permettent d’être optimistes, et la France a vraiment une carte à jouer pour prendre un rôle de leader dans le domaine..
Vous parlez de souveraineté. Qu’en est-il concrètement ?
Les enjeux de souveraineté autour des technologies quantiques touchent principalement deux sujets : le quantum computing et les communications quantiques. Commençons par le quantum computing : une des applications de l’ordinateur quantique, identifiée il y a déjà de nombreuses années, est de décomposer les grands nombres sous forme de multiples de nombres premiers de façon beaucoup plus rapide que ne peut le faire un ordinateur classique, une fois que l’ordinateur quantique sera suffisamment mature. Or la difficulté intrinsèque de ce problème est au cœur de presque tous nos mécanismes d’encryption de données sensibles, et un ordinateur quantique remet donc tout en question. C’est une perspective encore lointaine mais crédible, et cela pose un problème critique en ce qui concerne nos données personnelles et les données d’internet en général.
Quel est le risque ?
Le risque existe aujourd’hui de faire face à des machines quantiques de grande taille qui puissent avoir accès à toutes les datas dans le monde. Il faut se protéger contre cela, et la physique quantique offre des solutions pour y parvenir : l’algorithmie de cryptage post-quantique par exemple. Nous avons d’ailleurs en France une start-up très en avance sur le sujet. Il y a également les solutions de distribution de clés quantiques. Le but étant , pour les Etats et les entreprises, de se protéger des entités qui posséderaient un ordinateur quantique performant dans le futur. C’est là que réside un des enjeux de souveraineté.
Par ailleurs, nous devons également avoir des ordinateurs quantiques performants, pour rester dans la course qui existe aujourd’hui, en particulier pour donner à nos industriels les moyens de calcul qui leur permettent de rester compétitifs dans leurs business, pour le développement de molécules en pharmacie par exemple. L’enjeu de souveraineté est tel qu’il n’est pas certain que nous puissions avoir accès à des technologies quantiques pour les communications et le calcul si nous ne parvenons pas à les développer nous-mêmes, au moins au niveau européen. Des pays comme la Chine et d’autres mettront probablement en place des restrictions à l’accès sur certaines de ces technologies stratégiques..
Il est naturel de parler de risques, mais je voudrais aussi attirer l’attention sur l’opportunité. Ce qu’il faut bien voir c’est que, avec l’ordinateur quantique, on reconstruit un stack software complet, du hardware à l’application, avec des principes tout à fait différents. C’est une informatique complètement nouvelle, et une opportunité unique pour la France et l’Europe de reprendre la main dans les technologies de l’information.
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