Décryptage

Quand le solaire photovoltaïque devient sexy : les ardoises françaises clonées par Tesla

Posté le 21 novembre 2016
par Pierre Thouverez
dans Innovations sectorielles

La technologie du « Computational Hydrographic Printing » va-t-elle révolutionner le monde de l’énergie ? La fusion de SolarCity et de Tesla (une opération à 2,6 milliards de dollars) vient d’être approuvée par les actionnaires le 17 novembre 2016 : les splendides toitures solaires présentées par Elon Musk vont bel et bien être commercialisées. Dès l’été 2017. Une innovation au potentiel véritablement disruptif.

Avec 84,5 millions de visiteurs internationaux en 2015, dont 2 millions de Chinois, la France est la première destination touristique du monde, devant les USA et l’Espagne. De la baie du Mont-Saint-Michel  jusqu’à la Côte d’Azur la diversité paysagère de la Gaule est attractive.

Dans un pays fier de son parc de centrales nucléaires, fleuron industriel national, le solaire et l’éolien sont souvent critiqués, parfois avec violence et y compris par d’anciens présidents de la République, pour leur impact paysager. Des projets photovoltaïques sont interdits par les architectes des bâtiments de France (ABF) dans de nombreuses villes françaises aux somptueux patrimoines architecturaux, empêchant ainsi de riches propriétaires fonciers d’épanouir leurs désirs écologiques.

Cette situation conflictuelle a poussé certaines entreprises à imaginer des solutions de camouflage aux bilans énergétiques douteux, comme par exemple les « arbres à vent » urbains et les « routes solaires » dont l’ardoise est particulièrement salée pour les contribuables. Le porte-parole de l’association négaWatt, Thierry Salomon, estime qu’il s’agit de « miroirs aux alouettes énergétiques ».

Mais s’il devenait possible d’être parfaitement intégré dans le paysage sans trop perdre d’efficacité sur le plan énergétique ? Voire même sans en perdre du tout ? L’ingénieur multimilliardaire Elon Musk a, de nouveau, fait preuve de « l’esprit de pionnier » prôné par le psychothérapeute suisse Bertrand Piccard, initiateur du projet « Solar Impulse », un avion qui a fait le tour du monde sans brûler une seule goutte de carburant fossile. Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.

« Notre proposition de base sera : voulez-vous un toit qui a un meilleur aspect qu’un toit classique, qui a une durée de vie deux fois supérieure, qui coûte moins cher et qui, en outre, produit de l’électricité ? » a déclaré Elon Musk le sourire aux lèvres et les yeux rayonnant d’enthousiasme lucide. Alors « pourquoi iriez-vous voir ailleurs ? ».

Tesla part d’un constat simple : les ardoises françaises et les tuiles toscanes sont aujourd’hui particulièrement lourdes et volumineuses. Une partie substantielle de leur coût est lié au transport. Le poids élevé conduit à faire appel à des charpentes très robustes, et donc coûteuses. Une partie des ardoises et des tuiles sont de plus cassées lors de leur manipulation. « L’ensemble de la chaîne est terriblement inefficient » a déclaré Elon Musk. « Jusqu’à présent, les toits ont manqué d’amour » a-t-il ajouté. Ils ont peu suscité l’attention.

Scotch, post-it et tuileries solaires

Selon Elon Musk les ardoises solaires sont 3 à 5 fois plus légères que les ardoises naturelles. En quoi consiste l’innovation de Tesla ? Recouvrir les minces cellules photovoltaïques d’une couche camouflante très fine obtenue par la technologie du computational hydrographic printing. Ceci dans le cadre d’une collaboration avec le conglomérat américain 3M connu du grand public pour les marques emblématiques Scotch et Post-it.

Tesla a présenté son concept aux experts de 3M et ces derniers ont été capables de répondre à la demande « tout à fait rapidement » a déclaré au magazine Fortune le scientifique Andrew Ouderkirk, membre de l’académie nationale américaine d’ingénierie. Le résultat est vraiment bluffant (des photos sont disponibles ICI). Selon Victoria Hydrographics, une entreprise canadienne spécialisée basée en Colombie britannique, « le produit final est incroyable, et il s’agira probablement du premier produit obtenu par les technologies hydrographiques délivré en masse ».

Elon Musk est étonné. « Je ne sais pas pourquoi personne ne l’a fait avant » s’est-il exclamé à l’occasion d’une séance Q&A (Vidéo) qui a suivi l’annonce de la fusion Tesla-SolarCity auprès des actionnaires le 17 novembre 2016.  « Ce n’est pas si difficile que ça ! » (« It’s not that crazy hard ! So…beat me »).  Cet ingénieur estime qu’aucune entreprise concurrente s’étant aventurée dans le domaine des toitures solaires n’a jusqu’à présent été capable de faire le travail « proprement » et jusqu’au bout.

Quand l’ardoise solaire Tesla posée sur un toit est vue depuis le sol, des « micro-persiennes » intégrées au micro-film offrent la couleur et l’aspect de l’ardoise. « C’est comme un store vénitien » souligne Andrew Ouderkirk expliquant que cela marche comme les filtres d’ordinateurs privatifs conçus pour empêcher que les voisins puissent voir ce qu’il y a à l’écran. Les micro-persiennes (« micro-louvers ») sont constituées de matière plastique à haute durabilité. 3M fabrique dès à présent de nombreux films solaires dans une perspective d’optimisation de la résistance ou de la flexibilité.

Elon Musk aime les ardoises françaises

« Le toit de ma maison est à base d’ardoises françaises, c’est l’un des styles de couverture que je voulais réaliser » a expliqué Elon Musk. Pari réussi. Chaque ardoise Tesla est unique, son motif est généré par ordinateur. Un caméléon solaire.

Une forme de « géomimétisme », par analogie au biomimétisme. « Si à Toulouse ils veulent des panneaux solaires roses, et bien ils auront des panneaux roses ! » s’exclame l’ingénieur André Joffre du bureau d’étude Tecsol. « Il n’y a pas de facteur matériel limitant à la production des cellules PV. Et le prix de l’énergie, grâce au solaire PV, va se rapprocher de zéro » ajoute ce spécialiste. En fait l’approche Tesla permettra d’imiter la plupart des styles de toitures du monde. Peut-être même celui du château de Versailles. Louis XIV, dit le « Roi Soleil », en aurait été, n’en doutons point, honoré.

Un premier style de toiture Tesla sera disponible dès l’été 2017, celui qui sera le plus demandé par les consommateurs. Puis trois autres seront commercialisés tous les trois mois qui suivront : « Tuscan », « Slate », « Textured » et « Smooth ». Il est possible que le style toscan, très apprécié en Californie, soit le premier commercialisé.

La couche additionnelle « ardoise-mimétique » interfère bien entendu avec une partie de la lumière solaire incidente. Mais Tesla annonce une perte de rendement de seulement -2% comparativement au solaire standard. Ce chiffre devra bien entendu être validé par des experts indépendants mais Tesla n’a pas l’habitude de raconter des bobards sur le plan technologique. C’est une entreprise très sérieuse en matière de développement durable, elle veut vraiment changer le monde de l’énergie. Encore mieux, Tesla pense que cette perte de -2% pourrait être annulée dans le futur en utilisant la couche additionnelle comme une épuisette à photons. Transformer un léger handicap en un avantage.

Tesla ajoute à son ardoise high-tech une autre couche protectrice à base de verre ultra-résistant (animation). Selon Elon Musk, avec ce verre la durée de vie de la toiture d’une maison sera supérieure à celle de la maison elle-même.  Une nouvelle division spécialisée dans le verre a d’ailleurs été créé au sein de Tesla et une option de toit entièrement en verre sera proposée pour les voitures électriques du groupe.

Il est possible qu’une couche inférieure isolante soit ajoutée à l’ardoise solaire de Tesla (Elon Musk a fait écho de propriétés isolantes), permettant alors d’éviter de payer des ouvriers pour réaliser des travaux d’isolation (pose de laine de verre etc.), d’où un nouveau gain économique.

Certains experts, comme par exemple Barry Cinnamon de GreenTech Media, pensent que les ardoises et tuiles solaires Tesla seront commercialisées pré-assemblées (et pré-câblées) en modules d’une surface comparable (ou supérieure) aux modules PV standards. Un pré-assemblage probablement automatisé par robots. Cela conduira mécaniquement à un temps de pose écourté et donc à un coût de main d’œuvre « couvreur solaire » réduit d’autant.

SolarCity ouvrira dès l’année prochaine à Buffalo, tout près des chutes du Niagara, une gigantesque usine de production de cellules PV à haute efficacité (22 à 24%) de technologie Silevo. Le groupe estime pouvoir délivrer l’ensemble (cellules PV + couche camouflante + verre protecteur) pour un coût de 0,4 dollars le Watt dans un futur proche, par effet d’échelle. Soit 72 dollars le mètre-carré dans l’hypothèse d’une densité de puissance de 180 W/m2.  Le verre, c’est du sable, et « le sable c’est très bon marché » a souligné Elon Musk. La technologie de Computational Hydrographic Printing est également peu onéreuse.

Selon le site Travaux.Mondevis.com, « une toiture en ardoise naturelle a un prix compris entre 100 € et 140 € le mètre carré ». Cela monte même parfois au-delà de 160 €. Le prix des ardoises synthétiques est en revanche deux fois inférieur (50 à 70€). Pour les tuiles en argile la gamme s’étend entre 25 et 40 €. Une toiture végétalisée peut coûter plus de 200 €. Le tarif horaire d’un couvreur professionnel pour les travaux de pose est compris entre 60 et 110 euros en moyenne. Enfin le coût d’une toiture complète est estimé à 200-300 euros le mètre-carré en France. Il y a donc de la marge.

« Je sors d’une réunion avec l’équipe d’ingénierie de SolarCity. A ce stade je ne peux pas révéler tous les secrets mais il s’avère que c’est prometteur : le toit solaire Tesla aura le même prix, voire même à un prix légèrement inférieur à celui d’un toit classique » a déclaré Elon Musk, ce qui a stupéfait les analystes. Et ceci sans prendre en compte la valeur de la production électrique, qui sera « un bonus ». La batterie Powerwall 2 de Tesla intègre un onduleur.

L’expression « toit classique » peut prêter à confusion. Il s’agit manifestement d’un toit revêtu d’ardoises naturelles, autrement dit une toiture luxueuse. Tout comme Tesla s’est dans un premier temps  focalisé sur les voitures électriques haut de gamme (Roadster, Model S et X), puis dans un deuxième temps sur un produit davantage grand public (Model 3), la très innovante entreprise californienne procède de la même manière avec les toitures solaires. C’est la meilleure façon de lancer un marché puis de baisser peu à peu les prix et ainsi démocratiser le produit.

Une beauté inespérée au potentiel français véritablement colossal

« Personne n’avait vu venir ces toits Tesla » a déclaré Tom Randal de l’agence Bloomberg résumant l’offre Tesla synergique par la formule : « Sexy Solar, Massive Batteries and Fast Cars ». Elon Musk a présenté (vidéo) ses toits solaires à Hollywood, utilisant les décors de « Desperate Housewives » (« Beautés désespérées » au Québec). En déclarant lors d’un dîner de gala à la Maison-Blanche « I am a desperate housewife », Laura Bush a assuré le succès de cette série aux 180 épisodes signée Marc Cherry.

L’ADEME a estimé à plus de 400 TWh le potentiel du solaire en toiture en France. Auquel on peut ajouter un potentiel presque équivalent pour les ombrières solaires de parking. L’enquête Teruti 2004 a révélé que la France dispose de 3590 kilomètres carrés (un tiers de million d’hectares) de parkings nus. Les ombrières peuvent bien entendu être réalisées avec des ardoises ou des tuiles solaires. La demande électrique française totale est de 500 TWh et l’université Stanford estime qu’un peu moins du triplement de cette valeur sera suffisant pour répondre à la totalité de la demande énergétique de 2050 en France (y compris transport et chauffage) dans le cadre d’un mix 100% Wind Water Sun intrinsèquement efficient.

Design, performance et écologie ne sont pas incompatibles

L’alliance Renault-BetterPlace avait comme objectif de rendre d’emblée la voiture électrique accessible aux masses. En sacrifiant l’autonomie (160 km) et en louant la batterie pour faire baisser le prix d’appel de la voiture. BetterPlace a fait faillite.

La stratégie de Tesla a été à l’inverse de viser dans un premier temps le segment luxe de l’automobile électrique, sans sacrifier l’autonomie. La Roadster, la Model S et la Model X sont trois succès époustouflants. La Model S P100D est la plus puissante du monde, elle passe de 0 à 100 km/h en 2,4 secondes et dispose d’une autonomie de 613 kilomètres. Avec une voiture de sport sexy et hyper-puissante, la Roadster, l’objectif de Tesla était de faire sortir la voiture électrique de l’image de voiturette de golf, autrement dit de pot de yaourt, qui lui collait à la carrosserie. Dans un second temps, grâce à la baisse des coûts obtenue durant la première phase, Tesla va commercialiser la Tesla 3 à un prix de base de 35 000 dollars, soit deux fois moins que celui la Model S. La mission que s’est donnée l’équipe Tesla n’est pas de produire des voitures de luxe mais d’accélérer l’électrification du parc automobile mondial.

Elon Musk a adopté la même approche avec les batteries. Elles étaient vilaines, encombrantes et coûteuses. Il les a rendues très design, les a accrochées aux murs des maisons et a baissé massivement leurs prix. C’est le concept de Powerwall (« mur électrique »). Le Powerwall 2 intègre un onduleur, sa capacité de stockage est de 14 kWh et il ne coûte que 6500 dollars (dont 1000 $ de frais d’installation et divers). Soit 464 dollars par kWh de stockage, onduleur et installation comprise (393 $ sans l’installation).  Aucun concurrent ne propose des prix aussi bas. La batterie sud-coréenne « RESU » de LG Chem coûte 923 $/kWh (sans l’onduleur et hors installation). Et la batterie allemande « éco compact » de SonnenBatterie coûte 1488 $/kWh (sans l’onduleur et hors installation), soit trois fois plus. Le Powerwall 1 présenté au printemps 2015 avait une capacité de stockage de 7 kWh et coûtait 500 dollars par kWh, installation comprise mais sans onduleur. L’intégration de l’onduleur dans la batterie elle-même permet de simplifier l’installation et aussi de faire taire les critiques qui avaient émergé il y a un an.

La commercialisation du Powerwall 2 commencera dès le printemps 2017 en France. Tesla estime avec l’appli disponible sur la page www.tesla.com/fr_FR/powerwall  qu’en France métropolitaine une maison équipée de 2 chambres et consommant 10 kWh par jour requiert un seul Powerwall 2 (14 kWh) et que couplé à une toiture solaire de 2 kW le niveau d’indépendance énergétique est alors de 59%. De 83% avec 3 kW, de 96% avec 4 kW et de 100% avec 5 kW. Sans batterie il est difficile de dépasser le niveau des 30%.

A Hawaï Tesla et SolarCity construisent actuellement un parc solaire de 12 MW couplé à un ensemble de batteries Tesla totalisant une capacité de stockage de 52 MWh. 13 MW x 4 heures. Les Powerpacks de seconde génération ont une capacité de stockage de 200 kWh l’unité. Ils permettront à l’île de Kauai d’augmenter son niveau d’autonomie énergétique: 50% dès 2023, 100% en 2045.

Après les voitures électriques et les batteries stationnaires Elon Musk veut à présent rendre le solaire lui aussi sexy. Le consommateur veut en effet des produits plus performants, plus beaux, plus excitants et aussi aux prix plus attractifs. Si l’on veut vraiment protéger l’environnement alors il faut tenir compte de la psychologie humaine et des lois du marché, et ne surtout pas chercher à aller contre elles. Sinon, échec garanti. Il convient donc d’être extrêmement innovant, voir grand (facteur d’échelle) et donc avoir une grande confiance en soi afin que le coût des produits écologiques devienne inférieur à celui des produits polluants, sans sacrifier ni la performance, ni le design. C’est la grande leçon de l’écologie pragmatique made in America.

Dans le documentaire « Before The Flood » (Avant le déluge) diffusé gratuitement par National Geographic, Leonardo Di Caprio rend visite à Elon Musk au cœur d’une usine Tesla remplie de robots et celui-ci lui explique que 100 GigaFactories suffiront pour que le monde entier passe au 100% renouvelable. Elon Musk est l’un des écologistes les plus efficaces au monde face aux crises environnementales et sanitaires que nous affrontons. La fondation Leonardo Di Caprio soutient notamment The Solution Project de l’université Stanford et de l’Université de Californie à Davis. Autrement dit le plan 100% Wind Water Sun proposé par le professeur Mark Jacobson et ses collègues.

Elon Musk vient d’annoncer que Tesla proposera une option « toit solaire » pour ses modèles de voitures à la fois électriques et 100% autonomes dans le futur. Les routes deviendront ainsi solaires. « Tourne ton visage vers le soleil et tu laisseras l’ombre derrière toi » dit un proverbe Maori (Nouvelle-Zélande). Tesla, à l’occasion du rachat de la société allemande Grohman Engineering, a annoncé souhaiter construire une Gigafactory 2 en Europe capable de produire à la fois des batteries et des Tesla Model 3.

Solar Electric Economy

L’approche « Solar Electric Economy », selon les propres mots d’Elon Musk, constitue une clé dans une perspective d’efficience et donc de durabilité. Patrick Pouyanné, PDG de Total qui va couvrir 5000 de ses stations-services de panneaux solaires, l’a bien compris : « le futur de l’énergie, c’est l’électricité ». Tout comme Isabelle Kocher, CEO d’Engie : « notre génération doit agir maintenant pour faire du Soleil le futur de notre Terre » a déclaré cette ingénieure lors de la COP22 à Marrakech.

« Make America great again ». Tel était le slogan de campagne de Donald Trump aux USA. Lors du lancement de l’alliance mondiale des technologies propres dans le cadre de la COP22 Bertrand Piccard a lancé cette invitation : « Si vous voulez qu’un pays devienne de nouveau grand, vous pouvez le faire avec des technologies propres et efficientes ». A bon entendeur.

Olivier Daniélo


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