Née en 2017, la société rennaise Purecontrol a décroché le label Greentech en 2021, puis l’estampille Solar Impulse Efficient Solution l’année suivante. Aujourd’hui forte d’une équipe de 55 salariés, elle réalise environ 80 % de son chiffre d’affaires dans le domaine du traitement de l’eau. Les 20 % restant se répartissent quant à eux dans différents domaines de l’industrie. Un marché que Purecontrol compte pénétrer davantage dans les mois à venir, grâce, notamment, aux quelque 7 millions d’euros qu’elle a levés en mai dernier.
Très remarquée lors de la cinquième édition du salon CYCL’EAU[1] Bordeaux-Nouvelle Aquitaine, où elle était présente en mars dernier, l’entreprise vise, pour 2024, l’objectif de 5 000 sites pilotés grâce à sa solution. Chargée de projets de Purecontrol, Pauline Nerdeux nous dresse un portrait exhaustif de l’entreprise et de son savoir-faire technologique.
Quel est, en quelques points clés, l’historique de Purecontrol et quel est aujourd’hui votre rôle au sein de l’entreprise ?
Pauline Nerdeux : J’ai intégré Purecontrol il y a un peu plus d’un an après six années d’expérience en tant qu’ingénieure d’études dans le domaine de la reconnaissance d’écriture. En tant que chargée de projets, j’accompagne les clients dans le déploiement et le suivi des pilotages. Je m’assure également que ces derniers soient adaptés aux contraintes et objectifs du site, chaque projet ayant ses spécificités.
Quant à Purecontrol, l’entreprise a été fondée en 2017 par Gautier Avril et Geoffroy Maillard, venus du monde des télécoms. Dans le cadre de leurs fonctions, ils se sont aperçus que, dans ce secteur des télécommunications, existaient de très grosses puissances de calcul, propices au développement et à la démocratisation de l’usage de l’IA. En se penchant sur le monde des automatismes et de l’industrie, ils se sont rendu compte de la complexité grandissante de ces métiers, notamment dans un contexte d’accroissement des contraintes environnementales. Tout cela avec en toile de fond le problème de l’immobilisme des programmations : une fois réalisée, une programmation demeurait jusqu’alors figée, sans possibilité d’évoluer à la faveur de facteurs externes (météo, coûts de l’énergie…). Elle n’était donc pas capable de s’adapter à un contexte fluctuant. Ils ont donc cherché à rapprocher ces deux mondes pour obtenir, in fine, des réductions d’empreinte carbone des installations, ainsi qu’une réduction des coûts de l’énergie consommée pour les besoins de ces sites. Ils ont commencé par développer une solution pour les piscines. Ils ont pour cela fait appel à l’IA, qui leur a permis de modéliser la température du bassin, et donc d’anticiper le pilotage des équipements de chauffage de l’eau.
À partir de là, ils ont commencé à travailler également sur les stations d’épuration (STEP), en croisant l’ensemble des données produites par ce type de site avec des données externes, telles que la météo, mais aussi la consommation électrique fournie par le compteur communicant du site en question.
Que peut apporter votre solution à ces stations d’épuration ?
Nos algorithmes permettent, dans un premier temps, de décomposer le signal pour y déceler les consommations énergétiques de chacun des équipements de l’usine de traitement. En connaissant le rendement des pompes, on peut ainsi faire de la détection d’anomalies, et de la maintenance prédictive.
Avec toutes ces données, nous créons par ailleurs un jumeau numérique de l’installation, grâce auquel nous allons modéliser des variables d’intérêt pour son exploitation. Pour les STEP, la principale variable que nous cherchons à modéliser est le niveau de pollution dans le bassin d’aération – bassin qui permet de dégrader la pollution grâce à la biomasse. Cette modélisation donne naissance à ce que nous appelons un « capteur virtuel » ou « soft sensor », qui permet de prédire de façon fiable la concentration en ammonium (NH4+) dans les bassins d’aération. Le jumeau numérique va ainsi pouvoir planifier sur les prochaines 24 heures le meilleur scénario de fonctionnement des aérateurs, en tenant compte des volumes d’eau à traiter et des tarifs d’électricité. Le tout, en atteignant finalement l’objectif de l’exploitant, qui est celui de la conformité de l’eau rejetée.
Le serveur et l’installation communiquent toutes les minutes. En cas d’écart entre la prédiction et la réalité, l’algorithme va calculer un nouveau scénario, ou du moins le corriger pour tenir sa prédiction. C’est ce que l’on appelle du MPC : du model predictive control.
Au-delà de ces aspects que j’évoquais, notre solution permet aussi de réduire l’utilisation des réactifs qui sont injectés dans le but de faire baisser les niveaux de pollution phosphorée. Nous mettons dans ce cas également en place un « capteur virtuel » capable de modéliser les niveaux de phosphore de l’eau en sortie de station, et pilotons ainsi les pompes d’injection des réactifs en fonction des prédictions de l’algorithme.
Le modèle se renforce avec les données issues de l’automate, mais aussi les données de terrain fournies par l’exploitant, qui viennent enrichir l’algorithme.
Nous travaillons aussi sur une autre solution avec Cobalt Water, le numéro 1 américain de la lutte contre l’un des plus puissants gaz à effet de serre émis par les STEP, le protoxyde d’azote (N2O). Le principe de cette solution est assez simple : nous récupérons les données du site, que nous transmettons à notre partenaire, qui les traite à l’aide de ses propres algorithmes. Cobalt Water nous renvoie alors une valeur qui est celle de la production de N2O par la STEP à un instant donné. Notre modèle intègre cette valeur et modifie la séquence d’aération afin de minimiser cette production de protoxyde d’azote. Nous avons notamment mis en place cette solution sur la station rennaise de Beaurade.
Ce travail autour du pilotage des stations d’épuration représente aujourd’hui une bonne part de nos activités. Nous travaillons avec des entreprises telles que Saur, Suez et Veolia. Nous leur permettons ainsi de réaliser des économies sur les coûts énergétiques de l’aération de 15 à 20 %, mais aussi une réduction d’au moins 20 % des quantités de réactifs de déphosphatation.
Quels sont les autres usages possibles de votre technologie ?
Notre technologie s’adresse aussi aux gestionnaires de réseaux d’assainissement. Nous sommes en effet en mesure de leur apporter une solution de gestion dynamique. Cette approche permet de gérer les automatismes de plusieurs postes de relevage en même temps, en leur donnant des ordres de pilotage cohérents, il s’agit de « pilotage holistique ». Grâce à notre partenaire Meteomatics, nous sommes capables d’intégrer à notre modèle des données météo spatialisées. Cela permet à notre modèle de prévoir les quantités d’eau arrivant à chaque poste de relevage, tout en distinguant la part d’eaux usées strictes de la part liée aux eaux de pluie, ou encore aux eaux de ressuyage et aux eaux claires parasites. Il s’agit de « décomposition de débits ».
À partir de là, notre solution permet de scinder le fonctionnement des postes de relevage en deux modes : temps sec et temps de pluie. En période sèche, nos algorithmes visent à faire des économies d’énergie, en maintenant l’eau dans le poste de relevage à un niveau plus élevé. La pompe a ainsi moins de travail à faire pour relever l’eau. Grâce à la décomposition de puissance, nous sommes aussi en mesure de faire tourner en priorité les pompes qui bénéficient du meilleur rendement. Une troisième source d’économie consiste également à éviter de réaliser les marnages pendant les heures pleines.
En temps de pluie, notre modèle commence par déclencher la vidange de l’ensemble des postes pour bénéficier d’un niveau de stockage maximal avant l’arrivée des précipitations. Nos algorithmes sont par ailleurs en mesure de prédire les postes les plus à risques de débordement, et vont donc piloter les postes amont pour éviter ces débordements. Cette gestion dynamique des réseaux permet une économie d’énergie de 10 % au minimum, ainsi qu’une diminution des débordements de 20 % au moins.
Un autre domaine d’utilisation de notre technologie est celui de l’eau potable. Elle permet en effet notamment de définir des scénarios d’optimisation des pompages, en prenant en compte autant de contraintes que nécessaire, par exemple la limitation du prélèvement dans un forage en particulier. Ce qui était un véritable casse-tête – et même souvent complètement impossible à réaliser avec une solution conventionnelle de gestion d’automates – devient simple. Nous pouvons aussi piloter les pressions afin de réduire les fuites.
Nous sommes également capables d’intégrer les énergies renouvelables (EnR) dans le pilotage global d’une installation. En fonction des conditions météo, nos algorithmes sont en mesure de prédire la production d’électricité photovoltaïque ou éolienne, et calent les périodes de fonctionnement des installations pour maximiser l’autoconsommation de ces EnR.
Enfin, nous avons aussi beaucoup d’autres applications dans le domaine de l’industrie : pilotage des installations de production de froid dans l’agroalimentaire, optimisations thermiques dans des usines de galvanisation, ou encore contrôle du stockage de gaz d’installations de méthanisation agricole. Notre expertise s’applique finalement à n’importe quelle installation, quelle qu’elle soit, et permet d’en optimiser le fonctionnement et d’en réduire l’empreinte carbone.
Après une première levée de fonds de 1,7 million d’euros en 2021, vous en avez réalisé il y a peu une deuxième, pour un montant de 7 millions d’euros[2]. Quelles sont les perspectives ouvertes par cette nouvelle opération de financement ?
Nous sommes aujourd’hui bien implantés dans le domaine du traitement de l’eau. Même s’il reste encore beaucoup à faire sur ce plan, notre objectif est aussi de pénétrer davantage le marché industriel. Nous espérons aussi conquérir différents marchés européens : Allemagne, Benelux, Italie, Royaume-Uni, Espagne… Nous avons d’ailleurs ouvert une antenne à Liège il y a peu.
Nous visons aussi une augmentation de notre CA et prévoyons en parallèle de multiplier les embauches.
[1] La dernière édition en date du salon professionnel CYCL’EAU a eu lieu les 29 et 30 novembre 2023 à Aix-en-Provence, en partenariat avec Techniques de l’Ingénieur.
[2] Concernant la 2e levée de fonds réalisée par Purecontrol
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