En droit français, les bases de données bénéficient d’un régime de protection spécifique introduit par la loi du 1er juillet 1998 portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive européenne EC/96/9 concernant la protection des bases de données. Ce mécanisme législatif a conduit à définir un régime de protection supplétif et complémentaire ; toute opération informatique sur une base de données requiert l’attention et le soin nécessaire pour éviter de qualifier une contrefaçon, un acte de concurrence déloyale ou un acte parasitaire.
Le risque de contrefaçon ou l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle
La décision de transférer, céder ou modifier une base de données peut être vectrice de risques juridiques, si les moyens de protection juridique de cette base n’ont pas été étudiés préalablement. Il s’agit de vérifier en fonction des besoins du projet si un droit d’auteur a été reconnu au créateur de la base et si ce projet ne cause pas un préjudice au regard des investissements réalisés par le producteur de la base.
Le code de la propriété intellectuelle protège deux types d’acteurs : le créateur de la base qui a un droit moral eu égard au travail intellectuel fourni et le producteur de la base qui a pris le risque d’investir dans ce travail intellectuel. Ces deux types de protections sont complémentaires et cumulatives. Le droit d’auteur protège un travail intellectuel original et cette protection est acquise indépendamment de tout dépôt ou formalité préalable. Tandis que le droit de production protège les investissements financiers, soit la valeur marchande de la base. Ce dernier régime de protection peut également se substituer au droit d’auteur lorsque le critère d’originalité est difficilement caractérisable. Il s’apprécie au regard des investissements engagés lors de la collecte des informations et de la constitution de la base.
Ainsi, toute modification, adaptation ou transformation de la base sans autorisation de l’auteur ou de ses ayant-droits fait courir à l’entreprise un risque de contrefaçon sanctionnée pénalement par trois ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amendes. Il est également possible pour l’auteur ou ses ayant-droits d’utiliser une procédure d’urgence auprès du Tribunal de Grande Instance pour faire saisir la base de données litigieuse. La saisie-contrefaçon peut porter aussi bien sur la base qui contrefait un droit de propriété intellectuelle mais également sur tous les outils utilisés pour produire ou distribuer cette base ainsi que les documents afférents.
Pour l’entreprise, il s’agit de remonter dans le temps pour vérifier la qualité de l’agent « créateur ». S’il s’agit d’un employé de l’entreprise, il faudra vérifier les dispositions de son contrat de travail pour étudier si des modalités spécifiques ont été prévues lors de la création d’œuvres originales. S’il s’agit d’une tierce partie, il convient d’étudier le contrat de prestations informatiques pour déterminer si la base est un apport original et surtout si l’entreprise possède, sous forme de licence ou de contrat de cession, les droits nécessaires et suffisants pour mener son projet. A défaut, le délit de contrefaçon serait caractérisé pour non respect des conditions contractuelles, à savoir un manquement aux droits concédés par la licence.
Le risque de concurrence déloyale et/ou d’acte parasitaire
Si le risque de contrefaçon peut être évité par la négociation de droits nécessaires et suffisants, il reste possible pour le créateur de la base de fonder une action en réparation s’il parvient à prouver que ce projet impacte son activité économique. Il s’agit dans ce cas d’invoquer les mécanismes de droit commun de la responsabilité civile des articles 1382, 1383 et 1384 du code civil. L’idée est de qualifier des agissements fautifs ou contraires à la morale des affaires en caractérisant l’entreprise comme un agent concurrent du créateur de la base.
En droit français, il n’existe pas de définition légale d’un acte de concurrence déloyale. Le détournement de clientèle, par exemple, ne sera pas sanctionné en lui-même, mais les moyens pour y parvenir seront « punissables ». Le risque pour l’entreprise poursuivie est finalement l’appréciation in concreto des juges. En l’absence de définition, le juge apprécie le dommage en fonction des faits soumis, d’où une jurisprudence abondante et parfois contradictoire, source d’insécurité juridique.
La doctrine a pour coutume de distinguer entre un acte de concurrence déloyale qui est le fait d’un concurrent et impacte ce concurrent, et les agissements parasitaires qui, « profitant de l’avantage d’autrui, (…) en dépit de l’absence de situation de concurrence » [1], désorganisent un marché. Dès lors, l’acte parasitaire se définit comme le détournement au profit d’un agent économique de l’image, du travail ou des investissements d’autrui constituant une valeur économique.
Cette recherche de responsabilité quasi-délictuelle sera invoquée par le créateur de la base si les conditions de l’action en contrefaçon sont difficilement caractérisables ou lorsque l’intérêt du plaignant est de rechercher la sanction des agissements fautifs plutôt que les faits constitutifs du délit de contrefaçon. Dans ce cas, l’entreprise peut être condamnée au paiement de dommages et intérêts et dans le pire des scénarii être empêchée d’exercer son activité ou être limitée dans son activité tant que les agissements appréciés comme fautifs n’auront pas cessé.
Le réel enjeu pour l’entreprise est de savoir organiser sa mémoire « juridique » en réalisant dès l’origine la cartographie de ces bases de données en fonction des éléments contractuels pertinents. Le créateur de la base a-t-il cédé ses droits et sur quel périmètre ? Le créateur de la base a-t-il accordé une licence pour quelle unité de valeur et pour combien de temps ? Cette cartographie doit également s’accompagner d’une forte sensibilisation des équipes informatiques pour comprendre le mécanisme des droits concédés au travers d’une licence.
Le risque de concurrence déloyale et l’acte parasitaire sont plus difficile à tempérer eu égard à l’appréciation souveraine des juges de fond. S’agissant de morale des affaires mais également d’opportunisme économique de l’entrepreneur, le seul moyen pour limiter ce risque est de parvenir à anticiper l’évolution du système d’information en informant en amont le créateur de la base des potentialités d’usages de son œuvre au regard des objectifs de développements poursuivis par l’entreprise. Cette solution viserait à caractériser la loyauté de l’entreprise, élément qui sera apprécié dans le cadre du recours pour concurrence déloyale. A défaut, l’entreprise sera conduite à invoquer l’action judicaire abusive ou dilatatoire du plaignant ; agissements non conformes à la morale des affaires et source de chronophagie et de pertes financières.
Par Elise Bruillon, Juriste systèmes d’information
Note
[1] Olivier Reisch, http://encyclo.erid.net/document.php?id=155, citant Ph. Le Tourneau, Le parasitisme, Litec, 1998.