Tribune [Hervé Nifenecker, membre de l'association Sauvons Le Climat]
Les députés François Brottes et Bruno Leroux ainsi que l’ensemble des députés PS et apparentés ont déposé une proposition de loi établissant une tarification progressive de l’énergie. Il s’agit essentiellement d’instaurer un système de bonus-malus, visant à inciter les propriétaires à investir dans la rénovation thermique des logements et bâtiments, associé à des mécanismes permettant de lutter contre la précarité énergétique.
Sans vouloir entrer dans les détails de la réglementation et en s’en tenant au niveau des principes voici quelques remarques fondamentales :
- Comme le mentionnent ses auteurs la loi sera complexe. Cette complexité résulte précisément du mélange de deux objectifs : l’amélioration des performances énergétiques et la lutte contre la précarité. Mélanger ces objectifs conduit à une loi complexe, voire illisible. La variété des situations est tellement grande que tout barème sera forcément très injuste pour certains et trop favorable pour d’autres ;
- Il eut sans doute été préférable d’ouvrir un débat sur la précarité énergétique et les différents moyens de la rendre plus supportable avant de privilégier l’instrument proposé par la loi, ceci dans l’esprit de concertation prôné par le Président et le Premier ministre lors de la récente Conférence Environnementale. Au passage on peut déplorer que la précarité énergétique soit restée le parent pauvre de la CSPE – autour de 2% du montant annuel ! – et qu’elle a peu mobilisé la classe politique. On constatera qu’il y a eu bien moins de textes législatifs ou règlementaires sur cette question que sur l’obligation d’achat de l’électricité produite par les énergies renouvelables… L’extension de la CSPE à toutes les énergies devrait être envisagée ;
- L’instauration du système de bonus-malus tel que proposé est très discutable. Dans son principe, ce système peut être intéressant s’il conduit à une action à courte échéance. Dans le cas particulier de la loi projetée le nombre de malus imposés étant bien supérieur au nombre de rénovations thermiques pouvant être réalisées annuellement, certains propriétaires devront attendre fort longtemps (disponibilité financière ou charge des entreprises) avant de pouvoir effectuer les travaux leur permettant d’échapper au malus*. Ce ne sera donc plus un malus mais bien une sanction.
En sens inverse, les bonus distribués aux propriétaires de logements déjà aux normes ne serviront à rien. Il est vraisemblable que ce ne seront pas les plus pauvres qui auront accès à un tarif avantageux mais ceux dont les logements sont bien isolés. Surprotéger certains aux dépends des autres aura nécessairement un effet pervers.
Si la charge de la gestion est transférée aux distributeurs le risque est grand de les voir se saisir de cette opportunité pour peser sur le prix de l’énergie. Il semblerait par contre que les services fiscaux soient parfaitement équipés pour ce faire. Il leur serait facile de faire peser directement le malus sur les propriétaires, seuls en mesure d’effectuer les investissements nécessaires.
L’examen de la loi au regard de sa compatibilité avec le droit communautaire ne sera sans doute pas superflue. Rappelons que notre tarif réglementé, qui est déjà une dérogation au droit communautaire, devrait être supprimé en 2014.
Le projet de loi parle d’augmentation « inéluctable » du prix de l’énergie. Rappelons que si transition énergétique il y a, cette transition doit nécessairement se traduire par une diminution des émissions de CO2 dans l’atmosphère. A cette occasion, l’instauration d’une taxation différentielle des sources d’énergie tenant compte de leur contenu en gaz à effets de serre, (autrement dit une taxation du carbone) devrait s’imposer.
A l’évidence, les remarques qui précèdent n’ont pas la prétention d’être exhaustives.
Par Hervé Nifenecker
*En effet, le nombre de logements anciens pouvant être rénovés thermiquement dépassera difficilement 500.000 par an, alors que le nombre de malus distribués devrait être de l’ordre de 20 millions. Certains propriétaires devraient donc attendre près de 40 ans avant de pouvoir réaliser les investissements leur permettant d’échapper au malus.
« Sauvons le Climat » apprécie les intentions de cette proposition de loi mais considère que les modalités pratiques proposées sont hautement discutables.
« Sauvons le Climat » estime notamment que le vote de ce projet de loi est prématuré. Il devrait, ce qui serait à la fois plus logique et plus démocratique, être au préalable débattu dans le cadre des débats de la Conférence Environnementale chargée de définir les divers aspects d’une transition énergétique.
Cette Conférence, quoiqu’il en soit, devra par priorité, se préoccuper d’évaluer comparativement (calcul du coût du carbone évité) les moyens les plus appropriés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en tenant compte de la précarité des plus démunis.
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