Ségolène Royal a donné le 28 février son feu vert à la prolongation de 10 ans de l’exploitation des centrales nucléaires, sous réserve de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Une annonce qui a provoqué des réactions pour le moins disproportionnées au regard de l’évidence de la décision politique.
Pourquoi prolonger de 10 ans l’exploitation d’un réacteur nucléaire ? Le principal argument est qu’au-delà de ses 40 années de fonctionnement, l’installation est amortie financièrement et représente donc un bénéfice net pour son exploitant, en l’occurrence Electricité de France (EDF). Son principal actionnaire, l’Etat à hauteur de 84,5%, a donc un intérêt certain à la prolongation de ces outils de production qui lui procure une manne financière. D’autant qu’en période de vache maigre, EDF a fait office de vache à lait : l’Etat a perçu environ 20 milliards d’euros de dividendes sur les 10 dernières années.
Pas de plan B
Par ailleurs, le secteur énergétique est un paquebot : il est victime d’une forte inertie en raison des lourds investissements qui imposent le temps long. Arrêter des réacteurs nucléaires suppose de construire des moyens de production nouveaux pour équilibrer le réseau, les importations étant limitées. Or, les prix sur les marchés de gros de l’électricité se sont écroulés ce qui rend tout investissement non-profitable sans subvention. De plus, il ne s’agit pas de compenser l’arrêt d’un ou deux réacteurs : Après Tricastin en 2019, ce sont 5 à 7 tranches par an à partir de 2020 qui fêteront leurs 40 ans. Pour les 10 premières tranches, cela représente environ 9 000 MWe qu’il faudrait compenser. Et ce, sachant qu’1 MWe éolien ne correspond pas à 1 MWe nucléaire en termes de production puisque le taux de charge (temps de production effectif/temps total) de cette énergie renouvelable est bien plus faible (de l’ordre de 25% contre 80% pour l’atome). Il faudrait donc installer énormément d’énergies renouvelables et des centrales thermiques, en un temps record, pour compenser l’arrêt d’une partie du parc nucléaire. Une option qui, malgré un récent soutien public aux énergies renouvelables, n’a jamais vraiment été étudiée sérieusement par les gouvernements successifs, juge et partie dans cette affaire.
Grand carénage
EDF travaille donc depuis des années à un plan d’exploitation au-delà des 40 ans, à l’image des compagnies nucléaires américaines. A la différence que la France a élaboré sa propre doctrine de sûreté nucléaire. Comme l’a rappelé Pierre Franck Chevet, directeur de l’ASN : « la prolongation des réacteurs n’est nullement acquise ». Pour l’ASN, la condition primordiale de la prolongation est que l’exploitant réalise un certain nombre d’améliorations pour que l’installation se rapproche le plus d’une centrale neuve (type EPR) en termes de sûreté. C’est ce qu’EDF a appelé son « grand carénage », un plan d’investissements de 55 milliards d’euros, qui consiste à remplacer des composants fondamentaux, et à améliorer les dispositifs de sûreté. Un montant revu largement à la hausse par la Cour des comptes : 100 milliards d’euros. De fait, la décision de prolonger l’exploitation des centrales nucléaires françaises pourrait davantage être influencée par le coût économique d’une telle décision pour EDF qui se trouve déjà dans une situation financière compliquée. En plus du grand carénage, le groupe doit gérer d’autres variables comme le rachat de la partie Réacteur d’Areva (imposée par l’Etat), le projet Hinkley Point, ou Cigéo entre autres. Une équation insoluble pour son président, Jean-Bernard Lévy, qui assure pourtant pouvoir mener de front tous ces chantiers.
Romain Chicheportiche
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