La hausse des prix de l’énergie touche en premier lieu les particuliers, qui vont voir leur facture d’électricité et de gaz exploser cet hiver. Les pouvoirs publics sont également très inquiets, les mairies au premier rang d’entre eux. C’est ce que révèle une enquête du CEVIPOF : 35% des maires de communes françaises sont très inquiets de l’augmentation du prix de l’énergie. Ces derniers prévoient des factures de gaz et d’électricité en forte hausse, dans une fourchette entre 30 et 300%. Les conséquences immédiates devraient être une limitation de l’éclairage public, du chauffage dans certains bâtiments publics, et surtout, pour près de la moitié des maires interrogés, une remise à plus tard des projets de transition énergétique prévus.
Enfin, c’est tout le secteur économique qui pâtit déjà de cette crise et craint les mois à venir. Le tissu industriel tricolore, qui espérait profiter d’un regain de croissance à la suite des multiples confinements liés à la crise sanitaire, est aujourd’hui dans l’œil du cyclone.
Les secteurs industriels les plus consommateurs au niveau énergétique sont aujourd’hui en train de s’adapter au contexte actuel : certaines entreprises ont diminué leurs cadences de production, tandis que d’autres ont tout simplement suspendu leur activité, tout en scrutant l’évolution du prix de l’énergie dans les mois qui viennent.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’avenir proche n’incite pas à l’optimisme. RTE a annoncé il y a quelques jours que l’hiver pourrait être rude : des coupures de courant ciblées pourraient intervenir au mois de janvier, si les températures sont plus froides que prévu.
Au-delà de la gestion de la crise actuelle, essayons de voir quels sont les facteurs les plus déterminants sur les prix actuels de l’énergie. A la fin du mois d’août de cette année, le tarif du mégawattheure a dépassé les 1000 euros. Le problème, au-delà du prix, est que ce tarif exorbitant concerne l’électricité achetée à l’avance pour 2023, signe que la crise énergétique va durer. A titre de comparaison, le mégawattheure se négociait, un an plus tôt, autour de 85 euros.
A qui la faute ?
La situation en Ukraine, pays souverain attaqué par le Russie à la fin du mois de février 2022, a tendu les relations internationales, alors que la planète se remettait tout juste de la crise du Covid, qui avait révélé la fragilité des chaînes de valeur mondialisées, entre autres.
Aussi, la Russie fournit du gaz, beaucoup de gaz, à l’Europe, depuis longtemps. Devant l’impossibilité immédiate de se passer du gaz russe pour mettre la pression sur Vladimir Poutine, les Européens ont décidé de mettre en place des solutions alternatives, pour, le plus rapidement possible, développer un approvisionnement en gaz moins lié au géant russe.
Ainsi, l’Europe mise aujourd’hui sur le gaz naturel liquéfié pour son approvisionnement énergétique. Ce dernier a obligé l’Europe à se tourner vers les Etats-Unis, aujourd’hui premier fournisseur de GNL du continent. Le deuxième fournisseur est la Russie, qui a fortement augmenté ses livraisons de gaz liquéfié, depuis la chute des livraisons par gazoduc. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas uniquement la situation en Ukraine qui explique les prix actuels de l’énergie, qui s’étaient envolés bien avant l’invasion du 24 février dernier.
La raison principale de la hausse subite des prix de l’énergie se trouve en réalité sur notre territoire. En effet, la France, qui fait la part belle au nucléaire dans son mix énergétique, voit aujourd’hui un nombre important de réacteurs à l’arrêt : ces derniers sont habituellement mis à l’arrêt pendant l’été, pour être révisés et rechargés en combustible. Sauf que cette année, de nombreux réacteurs n’ont pas pu être redémarrés. Le 6 septembre, ce sont 28 des 56 réacteurs présents sur le territoire qui étaient à l’arrêt. A la fin du mois d’octobre, 24 réacteurs étaient toujours à l’arrêt. La raison de ces arrêts intempestifs est un problème de corrosion, observé sur des tuyaux de refroidissement dans un réacteur de la centrale de Civaux, et sur de nombreux autres depuis.
Pour pallier à cette situation, l’Etat a deux solutions : importer de l’électricité, ou en produire par d’autres moyens. Dans les deux cas, l’électricité coûte beaucoup plus cher. C’est ce qui explique – principalement – la situation actuelle sur le front du prix de l’énergie, que la crise actuelle en Ukraine a aggravé, en projetant à la hausse le prix du gaz.
Par Pierre Thouverez
Cet article se trouve dans le dossier :
GNL : solution transitoire ou fuite en avant ?
- La France et le GNL, mariage forcé
- GNL : la nécessité de hiérarchiser les usages
- « Il y a des fuites de méthane tout au long de la chaîne de production du GNL »
- Miser sur l’importation de gaz alternatifs : « Nous n’avons aucune visibilité sur les sources d’approvisionnement en gaz alternatifs »
- Le GNL, nouvel ennemi du climat?
- Coup de boost pour le biométhane
- Le pari des réseaux de chaleur, contre la dépendance au gaz russe
- Prix des énergies : un retour à la normale ?
- Prix de l’énergie : à qui la faute ?
Dans l'actualité
- Les thèses du mois : L’industrie française face à la crise énergétique
- L’Etat et l’Europe au secours de l’industrie
- La place du nucléaire toujours au cœur de l’avenir du mix énergétique
- La relance du nucléaire aura deux débats nationaux dès octobre
- Fissures : le parc nucléaire sous contraintes
- Europe énergétique : l’espoir d’une union ?
- La géopolitique de l’énergie face au changement climatique
- Utiliser des mines abandonnées comme réservoirs de stockage des énergies renouvelables
- Retour vers le passé pour l’électricité
- L’accord entre l’État et EDF sur le prix de l’électricité nucléaire aboutit enfin
- Prix des énergies : un retour à la normale ?
- L’industrie face au doublement de sa facture énergétique