Le nouveau système énergétique nécessaire à la transition se met progressivement en place, en particulier pour la production d’électricité où les sources renouvelables (éolien et solaire photovoltaïque principalement) seront incontournables, comme plusieurs scénarios le montrent (RTE, Ademe, négaWatt). Si la France n’avait pas pris de retard dans ce domaine, elle aurait d’ailleurs moins de difficulté à passer l’hiver. Il est donc probable, comme le projet de loi sur les énergies renouvelables en cours d’examen doit le permettre, que leur développement va être accéléré.
La variabilité de ces énergies renouvelables électriques pose à terme la question du stockage d’électricité. En plus des traditionnelles stations de transfert d’énergie par pompage (Step), voilà quelques années qu’une filière pour les batteries stationnaires commence à émerger. Dans le monde, 16 GW de ces batteries étaient installés fin 2021 dont 6 GW cette année-là. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la transition vers un système énergétique atteignant la neutralité carbone (Net Zero Scenario) nécessiterait d’atteindre 680 GW de batteries en 2030, soit l’installation de 80 GW par an en moyenne dès 2022 !
Au niveau européen, la volonté affichée est de garder la main sur cette brique technologique des batteries, afin d’être indépendant d’autres pays-continents comme la Chine (qui dispose des plus grands fabricants de batteries Lithium-ion) et les États-Unis (qui concentrent le plus grand nombre de projets dans le monde). Mais aucun cadre spécifique n’est donné au stockage d’électricité au niveau communautaire. Il est évoqué dans le Clean Energy Package, mais sans objectif particulier. Les promoteurs de cette solution, regroupés au sein de l’Association européenne pour le stockage d’énergie, ont pourtant bien chiffré le besoin : selon eux, au regard du triplement des capacités éoliennes et solaires nécessaires aux objectifs EnR 2030 de l’UE, il faudrait déployer 200 GW de stockage en 2030 et pousser jusqu’à 600 GW en 2050. Pour tenir ce rythme de 14 GW nouveaux chaque année, la valorisation économique de l’électricité stockée doit être facilitée par rapport aux règles actuelles du « market design ».
Valeur du stockage en France en 2030 et 2050
Définir les besoins en stockage d’électricité nécessite en fait d’avoir une vision globale du système énergétique, des différents vecteurs et des différentes transformations possibles. Une étude récente de la société Artelys pour le Club Stockage de l’Association Technique Energie Environnement (ATEE) tente d’éclaircir ce que serait l’avenir en englobant justement les stockages électriques, soit directs (batteries, Step), soit par une solution thermique, soit par la transformation de l’électricité en hydrogène puis éventuellement en d’autres molécules (power to gas) en France aux horizons 2030 et 2050. Tous les coûts de ces solutions de stockage sont à la baisse et il importe de savoir dans quelles situations elles vont avoir le plus d’intérêt pour la collectivité. L’analyse d’Artelys détermine donc quelle est la valeur de l’ajout d’une installation supplémentaire de stockage par rapport à des scénarios présentant déjà un certain mix, en l’occurrence ceux des trois scénarios M1, M23 et N2 de RTE, le premier étant celui qui a le plus recours au stockage (20 GW de batteries et plus de 15 GW en power-to-gas en 2050).
L’étude, appelée PEPS5 (pas encore publiée, mais qui a été présentée lors d’un colloque de l’ATEE début octobre), soulève 15 cas d’études, dont la moitié sur le stockage direct d’électricité. Si on ne considère que ce dernier, on peut retenir trois messages clés.
- Dans le cas d’un stockage centralisé en Métropole, en particulier pour les batteries, la fourniture de réserve primaire et secondaire sur le réseau électrique n’a pas réellement d’intérêt économique du fait d’une forte concurrence sur ce marché. L’ajout de Step (par rapport aux scénarios de RTE) est pertinent économiquement, alors que pour les batteries il est nécessaire que les prix du gaz restent élevés. Par contre, toutes les solutions de stockage permettent de faire baisser les émissions de CO2 à l’horizon 2030.
- De manière décentralisée chez les particuliers ou à l’échelle d’une communauté, le stockage pour maximiser l’autoconsommation d’électricité (sans réinjection sur le réseau) sert aux personnes concernées, mais n’a pas d’intérêt économique du point de vue de la collectivité. Au contraire, le pilotage de la charge des véhicules électriques est économiquement intéressant pour la collectivité. Le pilotage tarifaire (moins optimisé, mais plus facile à mettre en œuvre) est plus pertinent que le pilotage dynamique (où le profil de charge est optimisé avec un signal prix horaire) qui lui-même est plus pertinent que le vehicle-to-grid (le véhicule peut redonner de l’électricité au réseau).
- Dans les zones insulaires (non interconnectées à d’autres réseaux), le stockage est d’autant plus important que le développement de l’électricité renouvelable va fortement augmenter, notamment en solaire photovoltaïque. Dans ce cas, le stockage centralisé s’avère très pertinent.
Globalement, cette étude montre qu’au-delà des scénarios de RTE où il y a déjà un certain équilibre trouvé avec une part de stockage, l’ajout de capacité supplémentaire devra être minutieusement étudié. Mais d’ici là, le cadre juridique, réglementaire et tarifaire du stockage doit encore être amélioré pour qu’il commence à se développer sérieusement.
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