Jean-Claude André est ingénieur, docteur en chimie-physique et directeur de recherches au CNRS, avec à son actif 400 publications scientifiques sur les interactions lumière-matière et 45 brevets. Contributeur fréquent aux Editions Techniques de l'Ingénieur, il expose à travers cette tribune son point de vue sur les masques alternatifs et les pistes possibles pour détruire le coronavirus SARS-CoV-2 responsable de la maladie infectieuse Covid-19.
Dans un article récent publié par Techniques de l’Ingénieur, j’ai exprimé un avis sur les risques associés à la fabrication d’équipements médicaux et de protection contre l’épidémie de coronavirus, fabrication utilisant les technologies de fabrication additive. En particulier, il me paraissait essentiel que les pièces réalisées soient propres, ne portant pas à leur surface la moindre trace de COVID-19, de manière à intégrer de manière satisfaisante les éléments fabriqués dans les dispositifs d’évitement et/ou de soins.
De mon côté, j’ai demandé à nombre de collègues scientifiques s’il existait des méthodes simples de nettoyage des pièces comme le mélange hydro-alcoolique ou le savon utilisés pour les mains. En dehors de l’usage de radiations de haute énergie, de fabrication d’espèces réactives de l’oxygène, ou de traitements chimiques et thermiques un peu savants qui ne sortent pas de la culture plutôt mono-disciplinaire des chercheurs, je n’ai pas trouvé de solutions « alternatives » simples dans ce qui m’a été proposé…
Par « alternatives », je fais allusion au projet du Gouvernement d’autoriser l’usage de masques « alternatifs » comportant plusieurs couches filtrantes pour faire barrière au virus tout en permettant une respiration convenable. Ce n’est pas de mes compétences de dire comment réaliser de tels masques (qui n’ont pas de lien évident avec la fabrication additive), mais il existe des directives ou des recommandations des CHU de Grenoble ou de Lille, ou le très complet cahier des charges de l’Afnor (2020). En effet, chacun sait qu’il y a une pénurie massive de masques en raison de la pandémie COVID-19, et ce, pour une durée non déterminée. La priorité est donnée, à juste titre, aux masques qualifiés pour les travailleurs de la santé, les malades et les personnes âgées.
L’anticipation, tout le monde en est d’accord, a été pour le moins modeste. Que n’ai-je entendu en tant que membre (à l’époque) du Haut Conseil de la Santé Publique sur l’épisode dispendieux de la grippe H1N1 qui avait conduit Madame Bachelot à commander environ 80-100 millions de vaccins pour une épidémie qui s’est révélée limitée. Le souci de précaution avait conduit à des décisions considérées comme disproportionnées et ruineuses. Et aujourd’hui, où en sommes-nous avec la pénurie d’équipements à finalités diverses mais pour le même but de survie aux effets du virus ?
Quand on ne peut pas se procurer un « vrai » masque (qu’il faudra jeter après usage), il faut bien en fabriquer un de différentes manières parce qu’une certaine protection, même non optimale, est préférable à son absence. Mais, pour autant, il convient de disposer d’un minimum de confiance dans ces équipements, non seulement dans le confinement qu’ils autorisent, mais aussi dans l’absence initiale de virus. De manière surprenante, les conseils « éclairés » d’un Président actuel des Etats-Unis sur la suppression de la pandémie durant l’été prochain m’a mis sur la voie ! En fouillant dans ses nombreux tweets (11000 environ), peut-être trouverez-vous d’autres solutions ?
Alors, plutôt que de chercher des méthodes et des procédés hors de portée des citoyens, je suis retourné à la bibliographie scientifique. Depuis une vingtaine d’années, différents virus de la même famille que celui qui perturbe la planète aujourd’hui ont fait l’objet d’études approfondies. Mais en fait, très peu ont concerné l’effet de la température sur le devenir de l’efficacité du virus. Au moins trois publications confirment la pensée de ce leader d’Outre-Atlantique, celles de Chin et al (2019), de Franz et al (2018) qui signalent que les virus qu’ils ont étudiés sont détruits en moins d’une minute par chauffage à 70°C. Celle de Chan et al (2011) indique également un effet de la température allant dans le même sens, mais avec des expérimentations limitées à 38°C. Depuis, mon réseau d’amis a fonctionné et a complété ma quête : Pour Duan et al (2003), le virus du SRAS serait détruit après un chauffage de 30 minutes à 75°C ; pour Yunoki et al (2004), l’inactivation serait produite à 60°C pendant 60 minutes ; enfin, pour Henwood, un traitement thermique classique à 56°C devrait suffire… Il y a donc, au moins en partie, de quoi rassurer le citoyen, sans que, pour autant, on dispose de données considérées comme robustes par le corps médical pour assurer de l’inactivation effective du virus.
Sur de telles bases qui auraient bien besoin d’être validées par le corps médical pour le COVID19, il est possible d’envisager la fabrication artisanale de masques telle que définie par exemple par l’Afnor, masques réalisés dans des conditions de propreté également proposées, mais avec, en plus, un moyen complémentaire d’assurer l’absence initiale du virus. Avec des masques en tissus, lavables, le recyclage peut être envisagé dans les mêmes conditions. Il pourrait en être de même pour d’autres équipements (dont ceux réalisés par fabrication additive, mais pas uniquement) pour autant qu’ils ne voient pas leurs fonctionnalités modifiées par la température. Ce ne sont pas les étuves qui manquent chez soi ou dans les milieux hospitaliers et/ou industriels ! Peut-être même, si l’on n’est pas rigoureux sur la température, que les fours µondes pourraient convenir (mais c’est sans doute à valider). Ces résultats ouvrent sans conteste de nouveaux horizons.
Mais, ce que je continue à penser, c’est qu’il ne faut pas être trop confiant dans un masque fait maison, même traité dans le four de sa cuisinière pendant quelques minutes (voire un peu plus) à une température supérieure à 70°C ! Il vaut mieux sécher le masque non pas pour le seul virus (qui malgré tout se plait mieux dans l’eau que dans l’air d’après la littérature), mais pour sécher le masque si on souhaite le recycler de manière rapide et simple (l’eau issue de la respiration est responsable de l’augmentation de la perte de charge ressentie au bout de quelques dizaines de minutes). Dans ce cadre d’utilisation, il serait avantageux qu’une traçabilité minimale soit exigée (sans qu’il soit nécessaire, sous prétexte de facilité, d’imposer un contrôle Orwellien via son téléphone portable). Les protections collectives (quand elles existent) doivent rester prioritaires ; en tant qu’équipement de protection individuel, le masque « fait maison » ou recyclé par chauffage ne doit être utilisé qu’en dernier recours (parce que, il faut le répéter, l’on n’a rien d’autre comme équipement de protection) et avec parcimonie. Par parcimonie, j’entends inclure le lavage des mains, le maintien chez-soi comme premières lignes de défense en premières priorités et non en secondes.
Avec environ 70 millions d’habitants, 2 à 4 masques jetables par jour, il faudrait pour une sortie de crise de 1 mois entre 5 et 10 milliards de masques. Je ne suis pas sûr de leur disponibilité à temps, nous sommes juste réduits à suivre le chaos de décisions hésitantes, comme celles d’expliquer encore aujourd’hui que les masques sont inutiles voire dangereux, alors que la « doctrine » semble vouloir changer. Où est la rationalité dans cette affaire d’importance ? La transparence ? Le bon sens politique s’appuyant sur de la science (avec conscience ?) ? Alors, vous, les spécialistes scientifiques des protections individuelles et du traitement des virus aidez-nous à y voir plus clair pour sortir le plus vite possible de cette crise majeure dans les conditions les plus intelligentes possibles.
Désinfection contre stérilisation
La plupart des dispositifs (dont ceux fabriqués par la communauté de l’impression 3D) n’ont pas tous besoin d’être stérilisés, ce qui impliquerait de placer les pièces dans un autoclave et de les exposer à de la vapeur saturée sous pression à des températures d’environ 121 °C (250 °F) pendant environ 15 à 20 minutes selon les procédures classiques. En outre, tous les dispositifs médicaux imprimés ou fabriqués par d’autres voies, en réponse au virus, doivent être désinfectés par le personnel de santé, ce qui peut impliquer l’immersion dans une solution d’eau et d’eau de javel domestique ou l’essuyage avec de l’alcool, mais cela dépend du dispositif et de son application. Les masques N95 de filtration de l’air se dégradent lorsqu’ils sont exposés à l’alcool, mais peuvent être désinfectés dans (et par) les milieux médicaux par une chaleur chaude et humide et par une irradiation germicide aux ultraviolets ou par la vapeur de peroxyde d’hydrogène. Ce genre de processus, lorsqu’il est entrepris, ne doit pas être improvisé et doit être contrôlé aussi étroitement que possible. La solution d’urgence ici proposée en est donc bien éloignée, mais sait-on proposer mieux ?
Alors, cette proposition de chauffage a-t-elle du sens ? Est-elle robuste ?
Pour une fois, j’aimerai bien que le Président Trump nous ait indiqué une voie utile pour limiter les effets du virus ! D’autant plus, que ça peut être relativement facile à réaliser (même s’il m’a fallu plusieurs fois quelques centaines de signes pour rédiger ce point de vue !).
En rappel : Ne quittez votre maison que si vous avez confiance en votre masque acheté dans un magasin sérieux, dans une pharmacie ou en second lieu, en votre masque fait maison, mais à l’intérieur des recommandations gouvernementales.
L’auteur tient tout particulièrement à remercier les Dr. Tallot B. et Legnaghi A. pour leur aide précieuse dans la rédaction de ce document.
Bibliographie :
– Afnor (2020) « Tout sur le masque barrière AFNOR, en France et à l’international »
– Duan S.M., Zhao X.S., Wen R.F., Huang J.J., Pi G.H., Zhang S.X., Han J., Bi S.L., Ruan L., Dong X.P. (2003) “Stability of SARS coronavirus in human specimens and environment and its sensitivity to heating and UV irradiation” Biomedical Environment Science, 16, 246-55.
– Franz S., Friesland M., Passos V., Todt D., Simmons G., Goffinet C., Steinmann E. (2018) “Susceptibility of Chikungunya Virus to Inactivation by Heat and Commercially and World Health Organization-Recommended Biocides” The Journal of Infectious Diseases, 218, 1507–1510.
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