Pourtant, ces écosystèmes et d’autres, se dégradent rapidement sous l’effet des activités humaines. Le Millenium Ecosystem Assessment, le plus vaste audit jamais réalisé sur l’état et les tendances des écosystèmes planétaires, met en évidence que les écosystèmes se sont dégradés plus rapidement et plus intensément ces 50 dernières années qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire de l’humanité. En fait, 15 des 24 services écosystèmiques évalués dans l’étude se sont détériorés au cours du dernier demi-siècle. L’Évaluation du Millénaire prévoit la poursuite de ce déclin sur les décennies à venir, en raison notamment de la croissance démographique, du développement économique et du réchauffement climatique. En l’absence de mesures appropriées, cette dégradation risque de mettre en péril le bienêtre économique futur, créant des gagnants et perdants au sein du monde des affaires.
La dégradation des écosystèmes est d’une grande pertinence pour l’activité économique car les entreprises ont d’une part un impact sur les écosystèmes et les services qu’ils rendent, et d’autre part en sont fortement dépendantes. Par conséquent, la dégradation des écosystèmes peut présenter un certain nombre de risques pour la performance des entreprises, mais par ailleurs peut aussi créer de nouvelles opportunités économiques. Ces risques et opportunités peuvent être d’ordres différents :
Opérationnel
- Risques liés à la hausse des coûts de l’eau douce en raison de sa pénurie, à un plus faible rendement des installations hydroélectriques dû à l’envasement, ou à des perturbations des activités commerciales du littoral dues aux inondations.
- Opportunités liées à l’amélioration de la réutilisation des eaux, comme l’aménagement d’une zone humide in situ pour éviter la nécessité de construire de nouvelles infrastructures de traitement des eaux.
Réglementaire et juridique
- Risques liés à la mise en place de nouvelles amendes, droits d’usage, réglementations gouvernementales, ou à des poursuites judiciaires engagées par les collectivités locales souffrant d’une perte de services écosystémiques due aux activités d’une entreprise.
- Opportunités liées aux engagements pris par les gouvernements de mettre en place des politiques et mesures incitatives visant à protéger ou à restaurer des écosystèmes offrant des services dont l’entreprise a besoin.
Image et réputation
- Risques pour les sociétés de grande distribution d’être visées par des campagnes menées par des ONG sur les achats de papier ou de bois issus de forêts fragiles, ou bien pour des banques menacées par des controverses sur leurs investissements dans des activités provoquant une dégradation d’écosystèmes préservés.
- Opportunités liées à la mise en oeuvre et à la communication de pratiques d’achat, d’exploitation ou d’investissement durables susceptibles d’être des facteurs de différenciation.
Marchés et produits
- Risques liés aux décisions de clients de changer de fournisseur en faveur de produits ayant un moindre impact sur les écosystèmes, ou à des décisions gouvernementales d’adopter de nouvelles politiques d’achat durable pour les marchés publics.
- Opportunités liées au lancement de nouveaux produits et services minimisant l’impact du consommateur sur les écosystèmes, participant à la séquestration de carbone ou à la protection de bassins versants sur des marchés émergents, favorisant l’émergence de nouveaux modèles économiques basés sur des ressources naturelles détenues par l’entreprise, ou proposant du bois, des fruits de mer, des légumes ou d’autres produits éco-labellisés.
Financement
- Risques liés à la mise en place par les banques de conditions de prêt plus rigoureuses en matière de crédit aux entreprises.
- Opportunités liées à des offres de modalités de crédit plus favorables par les banques, ou bien à des prises de participation par des investisseurs dans des sociétés proposant des produits et services visant à améliorer l’écoefficacité de l’utilisation des ressources naturelles ou à restaurer des écosystèmes dégradés.
Malheureusement, les entreprises omettent bien souvent d’établir le lien entre la santé des écosystèmes et leur rentabilité. Nombre d’entre elles ne se rendent pas réellement compte de l’ampleur de leur dépendance ou de leur impact vis-à vis des écosystèmes, ni de leurs possibles conséquences. De même, les systèmes de management environnementaux et autres outils d’audit environnemental sont fréquemment peu adaptés à la détection des risques et opportunités découlant de l’exploitation et de la dégradation des services rendus par les écosystèmes. À titre d’exemple, de nombreux outils s’avèrent plus adaptés pour gérer des enjeux «traditionnels» de pollution ou de consommation des ressources naturelles. La plupart sont axés exclusivement sur les impacts environnementaux, et non sur l’aspect de dépendance. Par ailleurs, ils se concentrent aussi uniquement sur les risques, et non sur les opportunités commerciales. Les entreprises risquent donc de se trouver prises au dépourvu ou de rater des occasions de bénéficier de nouvelles sources de revenu associées aux évolutions écosystémiques.
L’évaluation des Services rendus par les Écosystèmes aux Entreprises (ESR) a été conçue précisément pour combler ces lacunes. Elle présente une méthodologie structurée permettant aux gestionnaires d’entreprise de mettre au point des stratégies de gestion des risques et opportunités découlant de leur dépendance et de leur impact vis-à-vis des écosystèmes, au-delà de ce que permettrait une simple étude d’impact environnemental. Les entreprises pourront réaliser un audit ESR en tant que procédure autonome, ou l’intégrer dans leur système de management environnemental existant. Dans les deux cas, la méthodologie peut utilement compléter et optimiser les outils d’évaluation dont l’entreprise dispose déjà.
Créer de la valeur
L’évaluation des services écosystémiques peut contribuer à créer de la valeur pour des entreprises de secteurs ayant une interaction directe avec les écosystèmes, de type agriculture, fabrication de boissons, traitement des eaux, exploitation forestière, pétrole, gaz, extraction minière ou tourisme. Elle s’avérera de même pertinente pour les secteurs de la grande distribution, de la santé, du conseil, des services financiers ou autres industries tertiaires, dans la mesure où leurs fournisseurs et/ou clients interagissent directement avec les écosystèmes. Les grands distributeurs par exemple peuvent se trouver confrontés à des risques de marché ou d’image si certains de leurs fournisseurs sont responsables de la dégradation d’écosystèmes et des services que rendent ces derniers.
Ce document décrit les cinq étapes de réalisation d’une Évaluation des Services Écosystémiques (Tableau 1). Il présente un cadre analytique, des études de cas ainsi que des suggestions utiles pour faciliter chacune des étapes. Enfin, un descriptif de moyens et outils à la disposition des gestionnaires d’entreprise pour réaliser une évaluation ESR est proposé en conclusion, y compris une feuille de calcul sur «l’évaluation de dépendance et d’impact», des comptes-rendus scientifiques, des approches d’évaluation économique et autres outils spécifiques à ce domaine.
La dégradation, à l’échelle planétaire, des écosystèmes et des services qu’ils rendent menace de transformer les conditions dans lesquelles opèrent les entreprises. L’Évaluation des Services Écosystémiques est une démarche volontaire permettant aux entreprises de mieux gérer leurs risques et opportunités émergents. Elle leur permettra par ailleurs d’établir le lien entre la santé des écosystèmes et leurs résultats financiers, en encourageant non seulement des bonnes pratiques d’entreprise plus durables, mais également en favorisant le soutien du monde des affaires à des politiques visant à protéger ou à restaurer les écosystèmes.
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