Les fondamentaux

Prendre en compte les incertitudes : vers une ingénierie réflexive

Posté le 29 septembre 2021
par La rédaction
dans Entreprises et marchés

Le modèle de la science appliquée, hérité du XIXe siècle, tend à considérer que les problèmes se résolvent par l’application de théories et le développement de technologies nouvelles. Ce modèle occulte les incertitudes, les changements, les conflits d'intérêt etc. L'ingénierie réflexive permettrait de les prendre en compte pour être plus proche du réel.

Un extrait de Évolution du rôle social à la responsabilité sociétale des ingénieurs, par Catherine ROBY

Si l’on définit l’ingénierie comme un métier dans lequel les choix et les arbitrages se font toujours dans un contexte particulier, le développement d’une capacité réflexive apparaît alors indispensable. Pour les ingénieurs, le savoir-faire efficace, allié au dynamisme et à l’énergie, est associé à la valeur du progrès matériel. Cette valorisation par la technique constitue une part de l’identité professionnelle, parfois au détriment d’une valorisation de la réflexion en tant que délibération, considérée comme antagoniste de l’action. Pensée et action sont alors données pour disjointes, alors même que l’analyse de l’activité humaine montre qu’elles sont toujours reliées. Cette dichotomie empêche de considérer leur nécessaire complémentarité pour le praticien réflexif. Or, si on conçoit l’ingénierie comme une pratique professionnelle caractérisée par l’incertitude, l’instabilité, et des conflits de valeurs qui limitent le champ de la compétence technique, la pratique réflexive devient un enjeu majeur pour les ingénieurs. Le défi est de taille car cette confrontation est loin du modèle historique des formations d’ingénieurs, celui de la science appliquée. Non seulement l’incertitude n’y a aucune place, mais elle est vécue comme une menace. Dans la logique de résolution, la façon de poser le problème est occultée, et le processus décisionnel ne peut être questionné.

La disparition d’une science appliquée au profit d’une pratique réflexive

Dans le monde de la pratique, les problèmes se construisent à partir des matériaux problématiques d’une situation complexe mêlant des facteurs d’ordre différent. Le praticien réflexif est capable de s’engager dans une conversation avec les matériaux étudiés. C’est la pierre angulaire d’une ingénierie qui ne peut être uniquement d’ordre technique. Cette pratique réflexive conduit l’ingénieur dans un dialogue où les personnes concernées par un problème travaillent ensemble à sa définition et à l’élaboration des solutions. C’est ce qui définit une ingénierie où analyse technique et intervention sociale vont de pair. Il s’agit de se donner les moyens de produire une connaissance rigoureuse par l’analyse des situations de travail, du fonctionnement des organisations, etc. Cette réflexivité doit se développer de l’intérieur, être incarnée dans les situations sociotechniques, ancrée sur le terrain de l’activité de l’ingénieur. La formation par la recherche interdisciplinaire peut aider, et surtout rendre opératoires les résultats de ces réflexions, par un travail effectif sur les pratiques, les outils, les situations, les connaissances et les objets de l’ingénieur.

Cette démarche conduit à entrer dans un véritable processus de coélaboration des décisions, sur la base d’une confrontation des expertises. Cette façon de procéder se situe à l’opposé de ce que serait le paradigme de « l’acceptabilité sociale » consistant avant tout à apprendre à « faire accepter » à des citoyens un projet pensé sans eux. La pratique professionnelle réflexive conduit à développer des compétences de régulation face à l’incertitude, au changement, à l’inattendu et aux conflits d’intérêts et de valeurs qui limitent sérieusement le champ de la compétence technique. Les savoirs et les techniques ne sont plus appliqués mais constituent des ressources réinterprétées en fonction des contraintes et des potentiels de la situation. De même, l’incertitude n’est plus une menace à réduire mais une donnée. Une telle perspective permet de repenser le positionnement de l’ingénieur dans la société en fonction de la manière dont il élabore des solutions, prenant ou non en compte les intérêts d’une diversité d’acteurs ; contribuant ou non à l’articulation entre les considérations des différentes formes de savoirs (concepteurs et usagers), entre les considérations pratiques techniques et celles de l’action industrielle, entre les projets industriels et les projets de société.

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Évolution du rôle social à la responsabilité sociétale des ingénieurs, par Catherine ROBY


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