Les tenants de la sobriété énergétique ont de quoi se réjouir : ce 6 octobre, le Gouvernement français a présenté un plan de mobilisation générale pour consommer moins d’énergie. La hausse des prix du gaz due à la crise géopolitique avec la Russie, les tensions sur l’approvisionnement en carburants et la perte de puissance du parc de production électronucléaire national créent une situation d’urgence à la hauteur du choc pétrolier des années 1970. La sobriété, rejetée encore il y a quelques mois, est ainsi devenue un maître-mot de la politique publique.
Mais quelle sobriété ? Les spécialistes de l’Association négaWatt ont présenté 50 mesures pour réduire la consommation d’énergie de 10 % en deux ans : dans leur analyse, ces actions peuvent et doivent être mises en œuvre tout de suite par le plus grand nombre. Elles s’inscrivent dans une vision de long terme où d’autres mesures de sobriété plus générales (sur les biens de consommation, sur l’alimentation, sur les déplacements) se couplent à des solutions d’efficacité énergétique, à des fiscalités et des réglementations adaptées, à une répartition équitable des efforts, etc. pour que la division par deux des consommations d’énergies d’ici 2050, incontournable pour atteindre la neutralité carbone, soit synonyme de justice sociale. Cet impératif de solidarité dans la sobriété a d’ailleurs encore été rappelé récemment par des chercheurs de l’IDDRI.
Un plan d’urgence sur la base du volontariat
Les dispositions prises par le Gouvernement semblent-elles aller dans le même sens ? La Première ministre Élisabeth Borne a reconnu dans son discours que « peu d’entre nous étaient familiers de ce concept », mais que la sobriété « s’impose comme une nécessité », que « chacun doit agir selon ses moyens » et que « c’est une affaire de collectif ». Elle souhaite que « cette prise de conscience » permette « d’inscrire la réduction de la consommation dans le temps long ». L’État veut être exemplaire et incite entreprises, collectivités et citoyens à faire de même. Mais le positionnement est clair, il n’y aura pas d’obligation : il s’agit de « miser sur la responsabilité collective et non sur la contrainte », a rappelé Élisabeth Borne. En ligne avec la position du président Emmanuel Macron, elle a aussi précisé qu’il faut atteindre « des baisses maximales sans pénaliser l’économie » et qu’être « sobre, ce n’est pas produire moins ». La décroissance attendra.
L’objectif premier est donc « d’éviter les consommations inutiles et de ne pas consommer tous au même moment ». Par cette chasse au gaspillage, le Gouvernement entend en premier lieu passer l’hiver (spécialement les pointes de consommations électriques), mais aussi faire de la sobriété énergétique un « pilier de la planification écologique », « un levier essentiel pour sortir de la dépendance des énergies fossiles », et une manière pour les Français de retrouver du pouvoir d’achat.
Les mesures du plan gouvernemental sont nombreuses et se nourrissent d’engagements pris par plusieurs fédérations professionnelles, organisations syndicales et collectivités. Les 15 principales touchent :
- Le secteur du bâtiment : respecter la consigne de chauffage de 19°C, décaler la période de chauffe de 15 jours, réduire l’usage voire arrêter l’eau chaude sanitaire dans les bureaux, lorsque c’est possible régler son chauffe-eau à 55°C, inciter au télétravail les agents de l’État (avec une augmentation de 15 % de leur indemnité forfaitaire), regrouper les services publics dans les locaux les mieux adaptés pour réduire le nombre de mètres carrés chauffés, diminuer ou arrêter la ventilation des bureaux en période d’inoccupation.
- Le secteur du transport : favoriser le covoiturage, inciter les agents de l’État à limiter la vitesse à 110 km/h.
- Les collectivités : réduire voire éteindre l’éclairage public, réduire le chauffage des équipements sportifs de 2°C, et en lien avec les fédérations sportives, réduire les temps d’éclairage avant et après les matchs.
Un plan de suivi, prévu, mais pas encore bien détaillé, devrait permettre de savoir si les efforts portent leurs fruits.
Quelques mesures de soutien
Pas de contraintes, mais quelques aides vont faciliter certaines actions. Ainsi la prise en charge des frais liés aux services de location de vélo électrique par les employeurs sera élargie à des loueurs privés dès janvier 2023. L’aide à l’installation d’un programmateur sur la chaudière sera maintenue (via le dispositif des certificats d’économies d’énergie). Dans les bâtiments tertiaires, la mise en place d’un système d’automatisation et de contrôle verra son aide multipliée par deux en 2023. Le programme Baisse les Watts de La Poste peut accompagner les TPE/PME à améliorer leur performance énergétique. D’autres soutiens, plutôt de l’ordre de l’efficacité énergétique, vont aussi s’ajouter à l’existant. Ainsi, dans le cadre de MaPrimeRénov’, l’aide pour le remplacement d’une chaudière gaz par une pompe à chaleur en logement individuel ira jusqu’à 9 000 euros, et le raccordement d’un bâtiment de logement collectif à un réseau de chaleur sera aidé afin que le reste à charge soit de 200 euros par logement. Du côté des bâtiments de l’État, un nouveau programme de 150 millions d’euros permettra des travaux d’économies d’énergie rapides. Enfin, les projets de transition écologique des collectivités seront soutenus par un fonds vert qui sera doté de 1,5 milliard d’euros lors de sa création prévue en 2023.
L’engagement des entreprises est également de mise, certaines adhérant même à une charte du plan sobriété. Les fournisseurs de gaz et d’électricité devraient spécialement proposer des offres donnant une prime ou un bonus aux clients maîtrisant leur consommation d’énergie. Les sociétés de services énergétiques, au sein de la Fedene, se sont également engagées à aller voir tous leurs clients pour relayer les écogestes, au premier chef desquels elles considèrent comme prioritaires la consigne de la baisse de chauffage, l’examen des appareils de chauffage, la purge des radiateurs, l’équilibrage et le désembouage des réseaux d’eau chaude.
Convaincre une majorité
Même si beaucoup d’actions de sobriété paraissent des mesures de bon sens, encore faut-il convaincre la population d’agir. Le Gouvernement compte y arriver grâce à une campagne de communication lancée le 10 octobre. Elle va décliner trois messages clés : baisser (le chauffage, la vitesse, etc.), éteindre (l’éclairage public, les veilles des appareils électriques, etc.) et décaler (via un thermostat pour les radiateurs et en évitant les usages des appareils électriques lors des périodes de pointe entre 8h et 13h et entre 18h et 20h).
Il en faudra probablement un peu plus. En effet, le matin même de l’annonce gouvernementale, la Fedene présentait un sondage* : il en ressort qu’un tiers à une moitié des Français disent déjà faire certaines actions (programme éco des appareils électroménagers, baisse de la température la nuit, utiliser les heures creuses de consommation électrique, maintenir la température à 19°C, etc.) et qu’un autre tiers se dit prêt à s’y engager. Ils veulent néanmoins que l’État (à 52 %), les grands magasins (31 %), les grandes entreprises (30 %) et les collectivités (26 %) montrent l’exemple. Mais ils manquent cruellement d’informations ciblées : 81 % disent avoir besoin d’un suivi de consommation et 70 % d’un conseil personnalisé de la part d’un professionnel. À l’heure où 44 % d’entre eux (et 64 % chez les 25-34 ans) ont déjà des difficultés à payer leurs factures et que deux tiers pensent que celles d’énergie vont augmenter fortement, il est temps que le concept de sobriété devienne tangible pour tout le monde.
* étude menée pour la Fedene par Kantar Public auprès d’un échantillon de 1 000 personnes représentatif de la population, en ligne du 14 au 16 septembre 2022.
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