Interview

« Pour l’industrie, réduire les prélèvements d’eau ne suffit pas »

Posté le 22 mai 2023
par Pierre Thouverez
dans Entreprises et marchés

Interview de Christian Lecussan, Président de la Fenarive
La Fenarive regroupe des acteurs industriels autour de la problématique de la gestion de l’eau, dans un contexte de plus en plus tendu lié à la ressource eau sur le territoire français.

La Fenarive est une association créée en 1952, à l’initiative d’industriels installés dans l’Est de l’hexagone. Suite à la loi sur l’eau de 1964, l’association a étendu son activité sur l’ensemble des six bassins hydrographiques métropolitains. Des industriels de tous secteurs via des associations locales ainsi que des syndicats professionnels ont rejoint l’association au fur et à mesure, ainsi que des grandes entreprises comme EDF, la SNCF ou TOTAL.

Christian Lecussan, Président de la Fenarive, est également vice-président du comité de bassin Seine Normandie, membre du conseil d’administration de l’Agence de l’Eau Seine Normandie et vice-président du comité national de l’EAU. Il a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur les missions de la Fenarive, notamment pour soutenir les industriels dans leurs démarches de traitements de leurs eaux usées et de diminution de leurs prélèvements d’eau.

Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les missions de la Fenarive ?

Christian Lecussan : Nous nous focalisons, avec tout le panel industriel que nous représentons, sur les problématiques liées à l’eau, avec une approche essentiellement technique, en essayant d’être un interlocuteur privilégié du Ministère de l’Ecologie, pour faire au mieux le lien entre les différents acteurs sur l’amélioration de la gestion de l’eau utilisée par l’industrie.

Le plan eau présenté par le Président de la République à Savines-le-Lac au mois de mars dernier a fait remonter la problématique “eau” au tout premier plan, et depuis nous sommes très sollicités de toutes parts, notamment par les pouvoirs publics, ce qui montre que les enjeux autour de la ressource eau sont aujourd’hui au cœur des préoccupations, ce qui est une bonne chose.

De quand date la prise de conscience des industriels quant aux enjeux liés aux prélèvements et au traitement de leurs eaux usées ?

Je dirai qu’une prise de conscience s’est opérée chez les industriels depuis une vingtaine d’années, au minimum.

Christian Lecussan est Président de la Fenarive, vice-président du comité de bassin Seine Normandie, membre du conseil d’administration de l’Agence de l’Eau Seine Normandie et vice-président du comité national de l’EAU.

La mise en place des Agences de l’Eau, suite à la loi de 1964, a bénéficié en tout premier lieu aux industriels, même si à l’époque l’enjeu était surtout de limiter la pollution de l’eau plutôt que la consommation. Par la suite, quand on regarde les chiffres, on constate que depuis le début des années 2000, les prélèvements d’eau par les industriels ont fortement baissé, ce qui démontre que le secteur dans son ensemble s’est saisi de cette problématique depuis un moment déjà. Les événements – inondations, sécheresses… – survenus ces dernières années ont bien sûr donné une dimension plus immédiate au problème de disponibilité de la ressource eau, et montré à tous les secteurs qu’il faut continuer d’œuvrer pour limiter la pollution et la consommation d’eau par l’industrie.

Comment les industriels opèrent-ils aujourd’hui pour réduire leurs prélèvements d’eau et traiter leurs eaux usées ?

Tout d’abord, le prélèvement n’est que la résultante de la consommation, et il faut bien séparer les deux termes. Le paramètre consommation par unité produite est l’indicateur a à prendre en compte si on ne veut pas restreindre le développement industriel. Il faut bien comprendre que pour l’industrie, réduire les prélèvements d’eau ne suffit pas. Il est également nécessaire de réduire la pollution de l’eau à la sortie des process, pour être en cohérence avec la directive cadre sur l’Eau de 2000. Il faut donc traiter ces deux aspects de la problématique eau, pollution et consommation, ensemble. Cela passe par une amélioration des procédés utilisés par les différentes industries, donc par de l’innovation. Il me paraît indispensable, si l’on veut réduire les prélèvements d’eau et la pollution de l’eau utilisée par les industriels, de développer en France de manière plus soutenue la recherche fondamentale, que ce soit en chimie, en biologie, en physique… Ce sont ces sciences-là qui doivent améliorer les connaissances et les savoirs qui permettront l’avènement de technologies innovantes sur la gestion de l’eau.

Comment expliquer la très faible réutilisation des eaux usées après traitement en France ?

Le cadre réglementaire en France autour de la réutilisation de l’eau par l’industrie est très contraignant, et très mal perçu par l’ensemble des secteurs industriels. Il y a un blocage, au niveau du Ministère de la Santé, qui empêche les industriels français de réutiliser leurs eaux, comme cela se fait dans d’autres pays européens, par exemple. Des pays comme l’Espagne ou l’Italie ont un taux de réutilisation des eaux usées approchant les 10%, quand nous ne dépassons pas, en France, 1%. Nous nous battons pour obtenir des avancées sur la réutilisation de l’eau par les industriels, qui développent des procédés intéressants de collecte, de traitement et de réutilisation de leurs eaux malgré une rentabilité à moyen ou long terme, mais dont la mise en place est bloquée par les pouvoirs publics, pour le moment.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Nous avons dans nos membres un abattoir, en Bretagne, qui utilise de l’eau potable, et qui a mis au point un procédé de traitement de ses eaux usées, afin de les décontaminer pour pouvoir les réutiliser pour laver les sols. Le procédé qu’ils utilisent est un procédé d’osmose inverse, le même que celui utilisé pour potabiliser l’eau en Ile-de-France. Cet abattoir s’est vu refusé par les pouvoirs publics la mise en place effective de ce procédé, pour des questions d’hygiène. Pourtant l’eau traitée par cet abattoir obéit aux normes de qualités en vigueur pour ce type d’utilisation. Nous avons le même blocage dans deux blanchisseries industrielles sur Seine Normandie.

Pensez-vous que ce cadre va évoluer sur le court terme ?

Je ne vois pas comment le cadre réglementaire français pourrait rester tel quel. Il faut qu’il évolue, la question est plutôt de savoir jusqu’où on peut aller en termes de réutilisation. C’est en tout cas un passage nécessaire pour permettre aux industriels de mettre en place des stratégies ambitieuses de gestion de leurs eaux.

Quel est le rôle de la Fenarive dans la mise en place de solutions communes entre les différents acteurs industriels ?

Nous voulons trouver des liens entre toutes les activités que nous défendons. L’ambition est de trouver un cadre pour développer une politique commune de l’eau. Cela passe par la généralisation des bonnes pratiques au sein de chaque activité, mais aussi par la coopération entre secteurs industriels pour développer des solutions communes dans la gestion de leurs eaux, localement. La gestion de l’eau est avant tout une gestion locale. En France, l’empilement des structures de gestion complique la tâche des industriels, qui ne savent pas toujours à qui s’adresser. Il y a aussi des améliorations à apporter à ce niveau, mais il est sûr que très localement, au niveau d’une zone industrielle par exemple, les acteurs doivent mettre des solutions en commun pour limiter leurs prélèvements.

Propos recueillis par Pierre Thouverez


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