Le médecin et explorateur de 73 ans Jean-Louis Étienne se lance un nouveau défi d’envergure, plus de trente ans après sa traversée en solitaire du Pôle Nord. Cette fois-ci, cela se passera dans l’hémisphère Sud. Baptisée Polar Pod, tout comme le navire qui servira à la traversée, cette expédition au cœur de l’océan Austral débutera en 2023. Cette plateforme océanographique dérivante (ou « pod ») hors du commun sera le siège d’observations scientifiques diverses. Au cours d’une traversée de 22 000 kilomètres au plein cœur des cinquantièmes hurlants, ce navire, qui a la particularité d’être vertical et d’être plus grand que la statue de la Liberté, traversera tour à tour l’océan Indien, l’Atlantique et le Pacifique.
Lors d’un entretien accordé à Ouest France, Jean-Louis Étienne a confié que ce projet fait suite à une attente de la communauté scientifique : « Toutes les publications sur l’océan Austral se terminent par la même phrase : on a besoin de mesures in situ de longue durée ». En France comme à l’étranger, l’intérêt porté au projet ne se dément pas. Le CNRS, le Cnes, l’École polytechnique de Lausanne, ou encore la Nasa font partie des institutions intéressées par ces recherches. Un enthousiasme partagé par la chimiste de l’atmosphère au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et prix Nobel de la Paix 2007, Susan Solomon. « Pour nous, c’est comme si vous alliez sur la Lune », a-t-elle déclaré, rapporte l’Express.
L’océan Austral, plus grand puits de CO2 au monde
Au-delà de son intérêt scientifique indéniable, Jean-Louis Étienne souhaite donner à cette traversée de l’océan Austral une dimension militante. L’explorateur espère que les observations de Polar Pod contribueront à éveiller les consciences face aux effets du réchauffement climatique, notamment au sujet de la disparition des glaces pluriannuelles, qui ne fondent pas d’une année sur l’autre. De plus, le médecin rappelle qu’avec ses eaux froides et sa vaste étendue, l’océan Austral est le plus grand puits de carbone de la planète. Le dioxyde de carbone se dissout en priorité dans ses eaux froides. Donc, observer la concentration du CO2 ainsi que la dilatation de ces eaux qui se réchauffent permettrait aux scientifiques d’encore mieux appréhender les mécanismes du réchauffement climatique. « On va mesurer la capacité de cet océan à absorber le CO2 aux quatre saisons », précise Jean-Louis Étienne.
Lors de la dernière édition du Change Now Summit qui a eu lieu à Paris du 30 janvier au 1er février, l’explorateur a voulu faire une mise au point quant à ce que représente le réchauffement du climat d’un degré. En prenant un degré en un siècle, « la Terre a une légère fièvre », à l’origine d’un « dérèglement sérieux », explique-t-il. Pour mieux comprendre ce que cela implique et représente, Jean-Louis Étienne a établi un parallèle avec la fièvre humaine. « Lorsque notre température corporelle passe de 37,5 à 38,5 degrés, cela cause des désagréments et nous nous sentons fébriles. Pourtant, la variation n’est que d’un degré. Pour la planète, c’est la même chose », avait-il méthodiquement expliqué. Pour lui, « il est fondamental de limiter les émissions de gaz carbonique », et de le faire rapidement car, selon lui, il faudra a minima trente ans pour commencer à constater une amélioration.
Polar Pod, un navire vertical unique conçu à Lorient
Et dans le but de mener cette mission à bien, Jean-Louis Étienne a fait appel au bureau d’études Ship ST pour concevoir ce navire unique. Difficulté notoire : concevoir une structure qui puisse résister aux conditions climatiques tempétueuses de l’océan Austral. Ainsi, l’ingénieur Laurent Mermier, directeur général de Ship ST, a suggéré la confection d’un navire qui prendrait la forme d’un grand tube vertical, conçu sur le même principe qu’un flotteur. À la surface, un treillis permettra aux vagues de ne pas buter sur le navire vertical, pour favoriser sa stabilité. Le vaisseau est conçu pour assurer la sécurité et le confort d’une équipe de 8 personnes. L’équipage sera composé de trois officiers de marine marchande, quatre ingénieurs scientifiques, et Jean-Louis Étienne lui-même. Les relèves d’équipage auront lieu tous les deux mois.
D’une taille de cent mètres et pesant 1 000 tonnes, le Polar Pod sera immergé à 80 mètres sous le niveau de la mer. L’intérêt d’aller à 80 mètres sous la surface est de retrouver des eaux calmes. Cette stabilité retrouvée permet de faciliter les analyses. À cette profondeur seront immergés des micros appelés hydrophones pour écouter la faune. L’autre grand objectif de l’expédition sera d’établir un inventaire des espèces qui composent la faune aquatique australe.
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