Si tous les goûts sont dans la nature… sans doute les couleurs le sont-elles également ! C’est en effet ce que tend à démontrer Pili, start-up fondée en 2015 avec l’objectif de produire des colorants et des pigments issus non pas de la pétrochimie, mais de ressources vivantes.
« Nous nous sommes appuyés sur la vague de ce que l’on appelle la biologie synthétique, qui consiste à produire des molécules par fermentation de microorganismes, et ce à l’échelle industrielle », dévoile Guillaume Boissonnat-Wu, directeur scientifique et industriel de Pili. Une approche comparable à celle adoptée, depuis des millénaires, pour obtenir par fermentation des produits tels que le vin ou la bière… À ceci près que la start-up toulousaine fait appel, quant à elle, à des microorganismes obtenus par ingénierie génétique, comme l’explique le responsable : « Nous avons créé un microorganisme capable, après insertion de gènes, de produire une molécule aromatique, un type de molécule souvent à la base de la chimie des colorants. Il s’agit, à notre connaissance, d’une première ».
Autre spécificité de la technologie développée par Pili : à la brique technologique de fermentation s’ajoutent des procédés innovants de synthèse organique, visant à convertir ces fameuses molécules aromatiques en colorants et pigments. « Nous sommes capables de produire les deux », souligne Guillaume Boissonnat-Wu. « Nous faisons à la fois des colorants, qui sont des molécules solubles dans l’eau, et des pigments, qui sont quant à eux insolubles dans leur milieu », précise le directeur scientifique et industriel.
Les principes de la chimie verte
Pour obtenir ces molécules colorées, les équipes de Pili ont ciblé des molécules aromatiques connues du monde de la pétrochimie, tout en adaptant à la marge leurs procédés de transformation. « Nous commençons par faire de la synthèse organique classique, mais nous lui appliquons les principes de la chimie verte, qui consistent à réduire l’impact des procédés chimiques sur l’environnement », décrit le responsable. Plutôt que d’utiliser les réactifs en proportions stœchiométriques, Pili fait appel à des catalyseurs. Elle utilise également des solvants verts – qu’elle recycle – et parvient également à diminuer drastiquement les consommations énergétiques des procédés de transformation qu’elle met en œuvre.
La jeune pousse estime ainsi à au moins 50 % la réduction des émissions de CO₂ permise par son procédé, par rapport à la synthèse de colorants par la voie de la chimie conventionnelle. « Cela est toutefois dépendant de la molécule visée », note Guillaume Boissonnat-Wu.
Pili s’est en tout cas, pour l’heure, concentrée sur la production d’un pigment particulier : l’indigo.
Vers l’indigo, et au-delà !
« Cette couleur était jusqu’à présent produite à partir de composés CMR[1], qui peuvent se retrouver dans le produit final. Nous n’en utilisons tout simplement aucun », se félicite le responsable.
L’étendue des possibilités de la technologie développée par Pili va toutefois bien au-delà de ce seul pigment utilisé notamment par l’industrie textile. Dans ses laboratoires de R&D, la start-up est en effet déjà parvenue à produire n’importe quelle couleur, qu’il s’agisse de pigment ou de colorant. « Nous avons pour l’instant prouvé que cela était possible à petite échelle. Notre objectif est désormais de porter cela à l’échelle industrielle, en développant notamment la trichromie : un ensemble de trois couleurs qui, comme dans une imprimante à jet d’encre, permettrait de produire l’ensemble des couleurs du spectre », dévoile Guillaume Boissonnat-Wu.
En matière de débouchés, Pili vise essentiellement, pour l’heure, l’industrie textile, très grande consommatrice de colorants. Côté pigments, la jeune pousse envisage d’investir le champ des peintures et encres, mais aussi celui des revêtements ou encore des polymères plastiques. « Beaucoup d’encres ou de peintures sont aujourd’hui déjà en grande partie biosourcées. Le seul élément qui ne l’est toutefois pas, en général, est justement le principe actif assurant la fonction colorante », observe le directeur scientifique et industriel de Pili, qui souligne également l’importance de développer des procédés biosourcés qui soient également vertueux sur le plan de leur empreinte carbone. Ce qui ne va pas forcément de soi…
Du pilote au démonstrateur
À l’issue de plusieurs années de R&D, Pili a aujourd’hui atteint le stade du pilote industriel. L’entreprise parvient ainsi, grâce à une installation opérationnelle depuis 2022 dans la vallée de la chimie, au sud de Lyon, à produire à une échelle d’un à cent kilogrammes. Fin février, la jeune pousse a toutefois annoncé avoir levé pas moins de 14,5 millions d’euros, avec un objectif : poursuivre sa dynamique d’industrialisation. « L’un des buts principaux de cette levée de fonds est de développer un démonstrateur permettant une production de l’ordre de la tonne, proche de l’échelle commerciale », projette Guillaume Boissonnat-Wu. Une étape qui ne sera toutefois pas encore un véritable aboutissement en soi, si on la compare aux capacités de production du marché : l’indigo, par exemple, est produit au niveau mondial à raison de plusieurs dizaines de milliers de tonnes chaque année… « Ce démonstrateur va toutefois nous permettre de développer nos procédés dans l’optique de construire ensuite un outil industriel de grande capacité », souligne le responsable. Une perspective que la jeune pousse toulousaine espère voir se concrétiser à l’horizon 2026-2027.
« Pili a une véritable vocation industrielle. Nous avons une volonté forte de développer notre propre site de production, au moins en France pour commencer », explique Guillaume Boissonnat-Wu, qui espère par ailleurs atteindre une échelle suffisante pour, in fine, rendre la technologie Pili compétitive face à ses équivalents pétrosourcés.
L’entreprise peut pour cela compter sur des partenaires de qualité, tels que les décrit Guillaume Boissonnat-Wu : le Toulouse White Biotechnology (TWB), le Cnam de Paris, mais aussi la plate-forme industrielle des Roches-Roussillon, en Isère. C’est là, en effet que Pili a installé son pilote, qui sera bientôt rejoint par le démonstrateur industriel que prévoit de développer la jeune pousse.
[1] Agents chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction
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