La piézoélectricité, vous connaissez ? Peut-être pas, même si le nom vous dit quelque chose. Derrière celui-ci se cache la propriété que possèdent certains matériaux de se polariser électriquement sous l’action d’une contrainte mécanique et, réciproquement, de se déformer lorsqu’on leur applique un champ électrique. Découverte au XIXème siècle, la piézoélectricité est aujourd’hui une technologie qui est utilisée dans de nombreux secteurs de la vie quotidienne. Pour autant, elle reste très peu connue du grand public mais également de l’industrie, alors qu’il s’agit d’une technologie qui a encore « beaucoup à dire ». Pour essayer de faire jeu égal avec les Etats-Unis et le Japon qui disposent dans ce domaine de plusieurs grandes équipes de recherche, l’Europe a décidé de regrouper ses forces, jusqu’alors dispersées, afin notamment de développer des projets en commun. D’où la création à l’été 2008 du Piezo Institute qui compte à ce jour environ 150 chercheurs, parmi lesquels des Français, dont l’équipe du professeur Marc Lethiecq de l’Université François Rabelais de Tours qui est l’un des deux initiateurs de ce projet. Coordinateur scientifique du Piezo Institute, cet universitaire esquisse le portrait de cette structure originale. Propos recueillis par Jean-François Desessard.
BE France : Comment est née l’idée de créer le Piezo Institute ?
Marc Lethiecq : Dans le cadre du 6ème PCRD, nous avons déposé avec l’entreprise danoise Ferroperm Piezoceramics une demande de création d’un réseau d’excellence européen baptisé MIND (Multifunctionnal Integrated Piezoelectrics Devices) qui a été acceptée. Coordinateur de ce réseau, cette entreprise en assure la gestion financière notamment et joue le rôle d’interface avec la Commission européenne. Le programme de travail du réseau MIND prévoyait notamment la création d’un institut qui puisse pérenniser ses différents développements. C’est ainsi qu’est né le Piezo Institute au début de l’été 2008, sous la forme d’une association internationale sans but lucratif dont le siège est situé à Bruxelles. Il est composé de membres fondateurs et de membres associés, issus du monde académique ou du secteur industriel de différents pays européens. Le Piezo Institute est une structure ouverte. Aussi, à partir du moment ou un partenaire potentiel exerce une activité significative dans le domaine de la piézoélectricité et souhaite travailler en collaboration avec des membres du Piezo Institute, nous lui ouvrons les portes pour qu’il devienne membre associé. Au bout d’un à deux ans, si ce membre associé s’est véritablement impliqué, il peut alors devenir « full member » et disposer d’un siège dans la structure.
BE France : Etait-il important, voire urgent, de réunir au sein d’un institut toutes les forces existantes en Europe dans le domaine de la piézoélectricité ?
Marc Lethiecq : Qu’elles soient académiques ou industrielles, les compétences européennes en matière de piézoélectricité sont très dispersées. L’objectif était donc de permettre aux multiples petites équipes qui sont présentes en Europe d’échanger davantage et de collaborer plus largement afin d’optimiser leur expertise, mais aussi de mettre en commun leurs équipements respectifs. Aussi tout membre du Piezo Institut peut-il désormais faire appel à une sorte d’institut virtuel qui dispose d’équipements uniques auxquels il n’aurait jamais pu avoir accès, ceci à des conditions avantageuses. Aujourd’hui, le Piezo Institute constitue une masse critique d’environ 150 chercheurs européens, à même de rivaliser avec leurs homologues américains et japonais, en particulier en développant des projets en commun que « labellise » le Conseil scientifique de cet institut. Il est d’autant plus important que l’Europe occupe une place parmi les leaders mondiaux dans ce domaine, que la piézoélectricité intéresse de nombreux secteurs. Il faut rappeler que les énormes progrès enregistrés par les moteurs diesel en termes de consommation sont dus au système « Common Rail » dans lesquels les injecteurs sont dotés d’actionneurs piézoélectriques qui permettent d’envoyer une quantité précise de fuel à chaque instant du cycle d’explosion du moteur. De même, les micromoteurs qui équipent les dispositifs auto-focus des appareils photos intégrés dans les téléphones portables utilisent la piézoélectricité, tout comme les cartouches des imprimantes à jet d’encre d’une célèbre marque.
BE France : Quelles sont les principales thématiques de recherche auxquelles s’intéressent les membres du Piezo Institute ?
Marc Lethiecq : Le développement de nouvelles céramiques piézoélectriques, ne renfermant aucun matériau qui présente un danger pour l’environnement, constitue un enjeu important. Le matériau standard disponible sur le marché, le PZT, est constitué en effet de zirconium, de titane et de plomb. Or le plomb fait l’objet d’une interdiction dans toute l’industrie, notamment dans le secteur électrique, exception faite pour la piézoélectricité du fait qu’il n’existe pas aujourd’hui de matériau qui puisse remplacer le PZT. Du côté des procédés de fabrication, les équipes du Piezo Institute travaillent beaucoup sur les micro et nanotechnologies, leur objectif étant de parvenir à réaliser des structures miniatures piézoélectriques, soit sous la forme de films très minces, soit sous la forme de structures plus complexes tels des nanofils ou des nanotubes.En termes d’applications, nos membres s’intéressent tout particulièrement à l’imagerie ultrasonore haute-résolution, dont la résolution doit permettre de réaliser des images de structures superficielles telles que la peau ou la cornée, voire l’iris, de l’oeil. Ces technologies devraient également aboutir à la conception de sondes miniatures qui pourront être introduites dans les vaisseaux sanguins afin d’obtenir des images de leur paroi et de détecter d’éventuelles plaques d’athéromes. La récupération d’énergie à partir de structures vibrantes constituées de matériaux piézoélectriques, par exemple une aile d’avion, fait aussi partie de leurs préoccupations en matière de recherche. Les chercheurs envisagent également de concevoir des implants de type pacemaker ou prothèse auditive, auto-alimentés par l’électricité produite par les mouvements du corps humain.En savoir plus : Marc Lethiecq : tél. +33 (0)2 54 55 84 24 – email : marc.lethiecq@univ-tours.fr- Olivier Souchon : tél. +33 (0)2 47 36 70 88 – email : olivier.souchon@univ-tours.fr- http://www.piezoinstitute.comRédacteur : ADIT – Jean-François Desessard – email : jfd@adit.frOrigine : BE France numéro 235 (30/11/2009) – ADIT / ADIT