Diplômé Polytech Sorbonne en 2005, spécialité Mathématique et Informatique Numérique, Pierre Jaeger compte plus de 17 ans d’expérience et a débuté sa carrière au CEA dans l’informatique scientifique et les codes parallèles, puis chez CSSI sur les plateformes scientifiques du CEA. Il a ensuite rejoint en 2006 IBM Technology Services pour y occuper un rôle d’IT Specialist, puis d’IT Architect.
Après 30 ans passés chez Accenture en tant que responsable France et Benelux de l’activité « Products », Alex Bauer a été nommé en octobre 2021 directeur général d’IBM Consulting (anciennement IBM Global Services) et d’IBM Interactive en France.
Techniques de l’Ingénieur : IBM Quantum est le leader mondial de la construction de matériel quantique. Votre feuille de route est un plan clair et détaillé. Quelles sont les dernières avancées ?
Pierre Jaeger : L’informatique quantique continue de progresser chez IBM grâce notamment à des partenariats avec différentes universités, dont celles de Tokyo et de Chicago. En juin 2023, nous avons ainsi annoncé des partenariats visant à créer un « superordinateur quantique ». Disponible d’ici 2030, ce dispositif d’une puissance de calcul de 100 000 qubits permettrait d’élargir toutes les applications rendues possibles par le quantique. Nous n’allons cependant pas remplacer les calculateurs « High Performance Computing » (calcul haute performance – HPC), mais nous allons faire du calcul HPC hybride. Et cela reste un projet de R&D à long terme. Notre objectif est de disposer de ce super calculateur quantique à horizon 2030. Pour relever les différents défis, nous avons besoin de partenaires (matériels, logiciels) et d’industriels comme EDF pour développer les différents cas d’usage identifiés. S’il n’y a pas de cas d’usage, le quantique ne servira pas à grand-chose.
La seconde annonce majeure autour de ces partenariats a eu lieu en décembre dernier : le Japon, les États-Unis et la Corée du Sud se sont associés pour créer un consortium visant à former 40 000 étudiants. Il est important de développer un écosystème global et des compétences.
La R&D reste-t-elle une priorité pour IBM ?
Pierre Jaeger : Même si nous avons une approche industrielle du quantique, la R&D fait en effet partie de notre ADN et nous avons la chance d’avoir en interne des experts qui ont une grande expérience des technologies de qubits. Nous considérons que pour répondre aux besoins et tenir notre roadmap, la technologie supraconducteur que nous avons retenue est la meilleure. Cela ne signifie pas pour autant qu’IBM se refuse de travailler en écosystème ouvert. Nous avons toujours eu cette philosophie d’open science. D’ailleurs, nous avons publié notre « Software Development Kit », Qiskit, sous une licence Apache, sûrement la plus permissive. Qiskit accompagne ainsi le développement de plein de projets, y compris des startups travaillant sur des solutions concurrentes. Il faut favoriser un écosystème vivant.
Est-ce que IBM a identifié d’autres cas d’usage que ceux présentés par EDF ?
Alex Bauer : Nous constatons qu’il y a les mêmes que ceux évoqués par Stéphane Tanguy d’EDF. Le quantique présente aussi un intérêt pour le développement de nouveaux médicaments. Nous avons d’ailleurs un partenariat avec Moderna pour marier la puissance du quantique avec tout ce que permet l’IA et la GenAI. De façon générale, le quantique permettrait aussi d’améliorer les modèles de l’IA et donc de créer de nouveaux usages. C’est par exemple le cas dans le secteur bancaire pour identifier les fraudes. Autre cas d’usage : l’optimisation des parcours des cargos marchands ou de gaz liquéfié. Notre priorité est de bien intégrer le quantique dans une architecture informatique centrée autour des datas et du sourcing de ces données. Il faut travailler cette maturité pour passer d’une valeur de R&D à une valeur business.
Les défis technologiques sont multiples. Il y en a au niveau des logiciels, des algorithmes, de la cryogénie, de la consommation d’énergie et bien évidemment, de la physique des qubits. Quels sont les plus importants ?
Pierre Jaeger : le premier défi n’est pas technologique, mais algorithmique. Il faut identifier les bons cas d’usage qui produisent de la valeur et ensuite nous devrons « l’écrire » en informatique quantique. Et ce n’est pas si simple du tout, car il faut de l’ingénierie ! Après, d’un point de vue constructeur informatique, chez IBM, nous avons tout ce qu’il faut pour continuer la roadmap de développement de manière assez sereine. Nous ne voyons pas de blocage majeur. Il y a néanmoins des points essentiels comme la cryogénie. Ce n’est pas la capacité à faire du froid qui est compliquée, c’est de passer le froid à l’échelle qui demande des technologies différentes. C’est facile de produire 10 à 50 qubits dans un coin et de ne jamais se poser la question du passage à l’échelle. Notre première machine quantique dans le cloud en 2016 n’était ainsi pas très stable d’un point de vue système, malgré de bons qubits. Nous avons depuis grandement amélioré la stabilité des systèmes (au niveau de l’électronique et du logiciel) pour répondre à cet enjeu majeur des industriels.
Avec l’arrivée de l’informatique quantique, certains prédisent la fin de la confidentialité des données échangées en permanence entre les entreprises notamment. Qu’en pensez-vous ?
Pierre Jaeger : je vais paraphraser une personne travaillant pour une agence de sécurité que je ne peux pas citer : « Quand je pense à l’informatique quantique pour l’usage, je suis conscient que c’est de la R&D. Quand je pense au quantique comme une menace, j’y vois une réalité ». Nos clients affichent une très forte demande sur la partie cryptographie post-quantique, car il faut du temps pour appliquer à l’échelle ces changements et processus. Ce sont des méthodologies complexes.
Alex Bauer : nous travaillons beaucoup sur la crypto agilité de manière à pouvoir anticiper les risques. Cette agilité représente un prérequis au même titre que le travail sur les datas, des données exploitables étant un prérequis pour le succès des projets d’IA, ou de quantique.
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