Aux Antilles françaises, la pollution des sols et des cours d’eau par la chlordécone est responsable d’une crise environnementale, sanitaire et socio-économique sans précédent. En cause : l’utilisation d’un insecticide dans les bananeraies jusqu’en 1993. On estime qu’environ 300 tonnes ont été déversées en Martinique et en Guadeloupe durant 20 ans. Aujourd’hui, les habitants consomment des produits locaux parfois contaminés, présentant un danger pour leur santé. Face à cette situation, l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et le CNRS ont mené un projet de recherche pour tenter de piéger la chlordécone dans le sol, en partenariat avec Valecom, une entreprise martiniquaise.
Les scientifiques ont testé la capacité du biochar à séquestrer la molécule toxique. Pour cette expérimentation, ce charbon biologique provenait de Valecom, qui le fabrique à partir de boues de stations d’épuration. Celles-ci sont d’abord transformées en biogaz ; le résidu organique issu de ce processus est ensuite soumis à un procédé de pyrolyse pour produire du biochar. Des essais ont été réalisés en laboratoire en cultivant des radis sur un sol contaminé dans lequel a été ajouté du biochar, à raison de 3 à 10 % de la masse totale de terre. Résultat : comparé à un sol qui n’en contenait pas, les chercheurs ont observé une augmentation du taux de piégeage de la chlordécone dans le sol contenant du biochar six fois plus élevé. Et au final, les légumes se sont révélés six fois moins contaminés.
« Il s’agit de travaux préliminaires qui semblent intéressants, mais il sera nécessaire d’aller au-delà, précise Thierry Woignier, directeur de recherche au CNRS (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie – IMBE de Martinique). Nous ne sommes néanmoins pas surpris par ce résultat, car nous avions auparavant réalisé des essais comparatifs en plein champ avec l’ajout de compost et nous avions déjà noté sa capacité à piéger la molécule. Sur des radis par exemple, nous avions observé que le taux de transferts de la chlordécone vers le légume était 10 fois plus faible. »
Facilement dégradable, le compost présente l’inconvénient de nécessiter des apports réguliers dans le sol, tous les 2-3 ans. Quant au biochar, c’est une matière organique beaucoup plus stable dans le temps. Sa capacité à piéger la chlordécone s’explique par sa grande porosité qui se traduit par une importante surface spécifique, s’élevant à une centaine de m² par gramme.
Gorger les sols en eau pour créer un milieu anaérobie
À l’avenir, l’utilisation d’une technique de séquestration de la chlordécone pourrait devenir une alternative aux méthodes dites de bioremédiation ou ISCR (In Situ Chemical Reduction) proposé par le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), dont l’objectif est de transformer la molécule dans le but de décontaminer les sols pollués. Surtout qu’en pratique, ces techniques de décontamination, actuellement en cours de développement, se révèlent complexes à mettre en place et coûteuses. Certaines d’entre elles nécessitent par exemple la mise en place d’un milieu anaérobie pour être efficaces. « Il est alors nécessaire de gorger les sols pollués en eau pour éviter que l’oxygène ne rentre à l’intérieur, puis de les bâcher pour éviter qu’elle ne s’évapore, explique Thierry Woignier. Ces techniques sont difficiles à mettre en œuvre, et elles ne peuvent être utilisées que sur des sols plats. De plus, nous ne sommes pas totalement sûrs de parvenir à détricoter totalement la molécule de chlordécone, avec le risque qu’il reste toujours des métabolites dans les sols qui présenteraient une certaine toxicité. »
Un autre élément vient perturber l’efficacité des techniques de décontamination : la nature des sols. Environ la moitié des sols contaminés de la Martinique sont appelés des andosols. Ce sont des sols très jeunes, situés dans le nord de l’île, et issus des éruptions volcaniques. Ils sont composés d’argiles particulières, nommées allophanes, qui présentent une importante microporosité dite fractale. « Ces sols ne sont pas décontaminables à l’aide de ces techniques, car la chlordécone vient se fixer à l’intérieur de ces micropores et devient inaccessible aux bactéries utilisées par les méthodes de bioremédiation ou de phytoremédiation. La technique de séquestration pourrait alors être une alternative face à ces difficultés. Nous allons poursuivre nos travaux de recherche en répondant à un appel à projets dans le cadre du quatrième Plan National d’Action Chlordécone (PNAC) », conclut Thierry Woignier.
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