[Tribune] Chris Rhodes
Le « peak oil » est interprété comme le moment où l'on va manquer de pétrole. Mais c'est le « gap oil », quand l'offre ne couvrira plus la demande, qui doit nous inquiéter. Explication.
Vous entendez certainement cette expression pour la première fois : le , ou le . J’ai fabriqué ce terme, qui me paraît nouveau, et qui résume la situation qui va prévaloir en matière d’approvisionnement et de prix du pétrole. On entend beaucoup parler du pic pétrolier, et on l’interprète de façon d’ailleurs erronée en considérant qu’il signifie que le monde va manquer de pétrole sous peu [un pic pétrolier désigne en fait le sommet de la courbe qui caractérise la production pétrolière d’un puits ou d’un champ pétrolier, ndlr]. Or le Dr Richard Pike, président de la Société Royale de Chimie et un ancien professionnel du pétrole, a montré avec des arguments convaincants qu’il y a davantage de pétrole – environ deux fois plus – à extraire que le chiffre généralement avancé de 1,2 milliard de barils. En fait, c’est le rythme de récupération de ces réserves de pétrole qui est au cœur du problème. Le monde extrait environ 84 millions de barils par jour, soit un peu plus de 30 milliards de barils par an. C’est un quantité énorme qui alimente les mécanismes mondiaux de l’économie moderne et une population de 6,7 milliards d’êtres humains. Si l’on en croit l’OMS, la population mondiale dépassera 9 milliards en 2050 et atteindra peut-être 12 milliards au siècle suivant. Tous nourris par le pétrole. D’autres estimations font état d’un plateau à 7,1 milliards d’ici 2024, avant une décroissance à 2,5 milliards vers 2100. Or la croissance de la demande pour le pétrole apparaît tout aussi inexorable. On estime que dans vingt ans la Chine consommera plus de pétrole que les Etats-Unis et que, d’une façon générale, la demande mondiale aura augmenté de 50 %. Il est évident que quelles que soient les réserves dans le monde, elles ne pourront être récupérées à un rythme permettant de répondre à cette demande. Il y aura donc un gouffre grandissant entre demande et offre, comme cela s’est produit l’été dernier avec pour effet de faire grimper le prix du baril jusqu’à 150 dollars. Cette situation de « gouffre pétrolier » aura une conséquence similaire : le prix du pétrole va s’envoler bien au dessus de sa valeur actuelle et l’impact sur l’économie mondiale sera sévère, avec des oscillations sur les marchés d’une amplitude sans précédent. Il y aura aussi des pénuries de pétrole, les fournitures allant au plus offrant, et donc des changements dans l’équilibre des pouvoirs économiques et politiques, qui iront dans les mains de ceux qui détiennent ce pétrole. Cela va se produire que l’on soit ou pas arrivé au pic pétrolier. Le concept de pic pétrolier mondial est trompeur dans la mesure où les puits pétroliers sont à des étapes différentes de leur exploitation : la Russie produira encore du pétrole longtemps après la fin des gisements de mer du Nord, et l’Arabie saoudite en sortira sur une période encore plus longue. Certains pays vont donc dépendre d’autres. Le pic pétrolier mondial correspondra au moment où les plus grand puits culmineront. Quand le gisement géant de Ghawar en Arabie saoudite sera à ce stade, nous pourrons dire adieu à nos styles de vie de consommation. Cela va conduire à un nouvel âge de l’efficacité énergétique et un recours plus systématique à des économies durables, plus localisées et donc moins dépendantes des transports, et davantage centrées sur la bio-économie, fonctionnant à partir de ce qui peut être cultivé. Les solutions technologiques, par exemple celles fondées sur l’hydrogène, n’arriveront pas avant des décennies, si tant est qu’elles arrivent. Au mieux, nous aurons besoin de solutions intermédiaires. L’avenir de l’humanité va reposer sur la durabilité de la photosynthèse, plutôt que sur les carburants fossiles qui furent produits par une photosynthèse il y a des millions d’années. Quand le pic pétrolier arrivera, il va encore élargir ce gouffre pétrolier. C’est lui que nous devons redouter, ce moment où l’offre ne répondra plus à la demande, et qui est inévitable et imminent.