Signe du destin ou ironie du sort ? C’est sous une pluie battante que la société TSE a inauguré la canopée agricole qu’elle a installée chez un agriculteur à Brouchy, dans la Somme. Ce parc photovoltaïque de production d’électricité manquait de soleil ce jour-là, mais il compte bien ouvrir une nouvelle dimension au développement de l’énergie solaire en France.
En quoi consiste cette canopée ? À l’image de l’étage supérieur d’une forêt, elle recouvre l’étage inférieur. En haut les panneaux solaires photovoltaïques, en bas les cultures agricoles. L’agriculteur, Benoît Bougler, a accepté de consacrer 3 de ses 450 hectares à la mise en place de cette installation. Elle est complétée – une première mondiale selon le président de TSE, Mathieu Debonnet – par un système original d’irrigation, pour réussir simultanément de la production alimentaire, de la production d’électricité et des économies d’eau.
TSE a entièrement développé sa technologie en déposant plusieurs brevets. Elle couple deux enjeux. Le premier est de disposer d’une structure portant les panneaux tout en laissant la place pour les travaux agricoles. TSE a opté pour une série de pylônes espacés de 27 mètres permettant le passage des tracteurs, reliés entre eux par des câbles qui portent les panneaux solaires à 5-6 m du sol. Chaque pylône est planté à 2-3 m de profondeur et les haubans qui assurent la tension des câbles plongent à 10-15 m. Réalisée en 6 mois, en partenariat avec plusieurs entreprises (Groupe Clisson, Canametal, DEP Engineering, Chabert MTI), la structure en acier et béton a une faible emprise au sol, de 0,5 % de la surface agricole couverte par la canopée. Elle porte des panneaux photovoltaïques de JinkoSolar sur une vingtaine de rangées, pour une puissance totale de 2,9 MWc. Soit environ 5 500 modules bifaciaux : la lumière directe du soleil, ainsi que celle réfléchie par le sol et les plantes, est dès lors convertie en électricité.
Les panneaux au service des cultures
Le second enjeu est de pouvoir piloter l’installation tant pour la production électrique que pour protéger les cultures. Les panneaux solaires sont orientables et, grâce à un algorithme de suivi du soleil, génèrent une production 5 à 15 % plus élevée qu’une installation au sol fixe. L’orientation des panneaux va aussi dépendre d’autres conditions, selon les informations données par des capteurs météorologiques et mécaniques. Ainsi, en cas de pluie, les panneaux se mettent à la verticale pour permettre l’irrigation naturelle du terrain. Inversement, la position horizontale des panneaux sera privilégiée lors d’épisodes de grêles pour éviter les dégâts, tout comme lors de trop fortes chaleurs pour faire de l’ombre aux cultures. Les résultats du premier site pilote à Amance en Haute-Saône montrent déjà une limitation des fortes températures de l’air et du sol, et une protection contre le stress hydrique, alors que les épisodes caniculaires se multiplient avec le bouleversement climatique.
Parmi les partenaires du projet, l’INRAE va mener une étude pendant 9 ans sur le site de Brouchy, en bénéficiant d’une surface témoin de cinq hectares à côté de celle de la canopée. Les autres sites de TSE seront également suivis afin de disposer de données fiables dans une diversité de situations (variétés de cultures, types de techniques agricoles, conditions météorologiques, possibilité d’élevage, etc.).
Le système d’irrigation mis en place par TSE va être inclus dans l’étude agronomique. Depuis un forage réalisé à côté de la canopée, l’eau est amenée directement le long des poteaux de chaque travée de la canopée et distribuée via 114 canons disposés en quinconce. Installés à 3 m de haut, ces canons projettent l’eau avec un angle de 8 degrés et une portée de 16 m afin de ne pas toucher les panneaux solaires qui seront à ce moment-là en position horizontale. Le système est entièrement pilotable à distance par l’agriculteur, travée par travée. Sans manutention ni enrouleur à déployer, le gain de temps est réel, et les prévisions d’économies d’eau sont de l’ordre de 30 % par rapport à un système classique. TSE envisage même de disposer de sondes pour connaître le taux d’humidité du sol et d’adapter l’irrigation en fonction.
Électricité vendue en PPA
D’un point de vue commercial, comme bien souvent dans la filière photovoltaïque, TSE a un bail emphytéotique de 40 ans avec l’agriculteur. Ce dernier reste propriétaire de son terrain et perçoit un loyer d’environ 1 500 euros par an et par MWc. TSE assure la maintenance de l’installation. L’électricité produite ne bénéficie pas d’un tarif d’achat public, elle est revendue directement par TSE à l’entreprise Biomérieux dans le cadre d’un contrat de gré à gré (Corporate PPA) d’une durée de 20 ans.
L’investissement global de TSE dans l’installation de Brouchy s’élève à environ 7 millions d’euros. Elle a bénéficié d’une aide du Fonds Innovation de l’Union européenne (2,7 M€), d’où la présence de la commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simson, lors de l’inauguration qui a trouvé le projet « inspirant ». La commissaire a rappelé que la France a ouvert la voie en Europe de l’agrivoltaïsme et qu’il sera nécessaire de le développer massivement, car les solutions photovoltaïques habituelles (toitures, parcs au sol, etc.) ne seront pas suffisantes pour l’objectif global qui est de multiplier par 4 les capacités installées.
Un message bien entendu par TSE : l’entreprise compte monter en puissance pour pouvoir installer 5 GW d’ici 2025.
Crédit image de une : Julien Bru Studio
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