Dans le cadre d'un cycle de réflexion sur les territoires, Léonard, la plate-forme de Vinci dédiée à l'innovation, a voulu savoir si les avancées technologiques pourraient permettre aux villes de conserver leur actuel mode de croissance. Dans les prochaines décennies, la technologie sera-t-elle une actrice majeure ou un frein notoire au développement de la croissance verte ? Quatre experts en économie verte ont été invités à débattre le 15 janvier dernier à Paris.
Les avancées technologiques ont-elles leur place dans une économie verte ? Cette question intéresse et interroge Léonard, la plate-forme de prospective et d’innovation de Vinci. La structure est partie du constat selon lequel durant les dernières décennies, le progrès a contribué à améliorer la vie des usagers dans de multiples secteurs. Mais ce confort a été gagné au prix de dépenses énergétiques et de consommations de ressources conséquentes. Or, la France, tout comme le reste de l’Union européenne à l’exception de la Pologne, tend à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Dans ces circonstances, le champ d’action et de développement des entreprises technologiques sera-t-il le même à l’avenir ? C’est pour répondre à ces questions que Léonard a décidé de réunir, le temps d’une table ronde, quatre experts en économie verte. Étaient présents Philippe Bihouix, directeur général adjoint d’AREP ; Stéphanie Chrétien, en charge du Paris Fonds Verts et partenaire chez Demeter ; Thomas-Olivier Léautier, directeur de l’Université Groupe de Management chez EDF ; et Christophe Tallec, partenaire et directeur marketing adjoint chez Hello Tomorrow. Le débat s’est tenu le 15 janvier dernier, dans les locaux parisiens de Léonard.
French Tech innovante et débat démocratique
«L’un des vrais enjeux est de faire émerger les nouvelles technologies. Et ce même si l’on ne sait pas encore quels seront les résultats exacts sur l’efficacité énergétique» a déclaré Christophe Tallec, avant de rappeler que «c’est la voie que suit la French Tech». Cette allégation dénote ainsi qu’en termes de technologie, la France donne actuellement la priorité à l’innovation. Mais selon lui, innovation et environnement ne sont pas incompatibles, et il avance qu’un développement des entreprises qui leur permettrait d’atteindre la «Série B» pourrait être bénéfique pour la croissance verte. Pourtant, questionné sur la capacité mondiale à aboutir rapidement à un réel verdissement de l’économie, ce dernier a concédé que «faire adopter de nouveaux usages sera quelque chose de complexe, même s’il suffit de 10% d’acteurs pour changer une culture».
Une pensée positive partagée par Thomas-Olivier Léautier, qui estime que du point de vue énergétique la France est en bonne posture. «Nous avons la chance d’avoir un parc nucléaire. C’est une technologie qui n’émet pas de carbone et qui produit des kilowatts, bien moins polluante que les centrales à gaz ou à charbon» se félicite-il en relativisant la problématique des déchets nucléaires. De façon plus générale, Thomas-Olivier Léautier veut croire à l’efficacité du débat démocratique, d’où émergeraient les solutions et les bonnes pratiques à mettre en place pour assurer un avenir écologique pérenne. «Un consensus politique sur l’importance du réchauffement climatique est nécessaire. Sans cela l’Australie va continuer de brûler, et d’autres pays auront de plus en plus chaud» assène-t-il.
Pour l’économie verte, donner un prix au carbone
Afin de parvenir à une efficacité énergétique mondiale, Thomas-Olivier Léautier estime qu’il est nécessaire de «mettre un prix au carbone». Selon lui, cette solution serait la condition sine qua non pour «aboutir à un mix entre nouvelles technologies et réductions des émissions de CO2». Ce dernier reste confiant quant aux réserves de ressources naturelles nécessaires aux progrès technologiques, qu’il s’agisse de ressources fossiles ou de terres rares. Christophe Tallec rappelle qu’actuellement «capter une tonne de carbone coûte trente euros», et que la problématique financière a tendance à freiner les entreprises dans leur verdissement.
C’est pourquoi Stéphanie Chrétien considère qu’il faut «savoir parler aux entreprises dans un langage qu’elles comprennent. Il faut leur parler en termes de création de valeur, et privilégier les solutions qui, à coût égal, sont plus bénéfiques». Elle rappelle également qu’il est nécessaire de les accompagner dans leur transition. C’est ce que fait Paris Fonds Vert, un fonds d’investissement créé par la mairie de Paris qui vise à soutenir le développement des PME et à accélérer la transition énergétique et écologique des grandes métropoles. «Le défi pour nous est d’orienter les financements vers la croissance verte, et rendre la croissance grise plus verte» explique-t-elle. Pour ce faire, Paris Fonds Vert travaille avec le cabinet Carbone 4, qui réalise une «due diligence» pour évaluer les points sur lesquels une structure doit travailler. L’accompagnement par Paris Fonds Vert doit durer dix ans.
Une accumulation technologique aux effets pervers
Philippe Bihouix faisait office de contradicteur durant cet échange. Le directeur général adjoint d’AREP considère que l’idée selon laquelle les progrès technologiques favoriseraient l’efficacité énergétique et écologique est biaisée car une nouvelle technologie ne vient pas nécessairement remplacer la précédente, et souvent s’y ajoute. Pour lui, «on n’a jamais su capter les biens technologiques. Blablacar n’a pas fait baisser le nombre de voitures sur les routes, et une ligne à grande vitesse ne suffirait pas pour désengorger l’aéroport de Blagnac». Il évoque également le cas de la 5G, qui en plus d’être plus énergivore que la 3G et la 4G, ne les remplacera pas mais viendra s’y ajouter. «On s’éloigne aujourd’hui de l’économie circulaire» craint Philippe Bihouix.
Au sujet d’une taxation mondiale des émissions de CO2, le directeur général d’AREP se montre encore dubitatif. «Je suis d’accord pour dire qu’un prix carbone universel serait diablement efficace. Le problème, c’est qu’on ne l’aura jamais car tous les pays n’ont pas les mêmes intérêts. Je ne sens pas une dynamique planétaire qui va en ce sens, je ne crois pas au consensus collectif» a-t-il répondu à Thomas-Olivier Léautier. Philippe Bihouix parle également d’une «fuite en avant» causée par les avancées technologiques, qu’il n’estime pas inéluctable. Selon lui, la transition écologique doit passer par une meilleure optimisation de l’existant. «On utilise très mal les bâtiments qu’on a, comme les écoles qui sont fermées le soir, ou les voitures qu’on remplace intégralement en fin de vie.»
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