Après le jugement de l’Affaire du siècle qui a reconnu « un préjudice écologique » lié à l’inaction climatique de l’État, voici celui de « Justice pour le vivant » qui reconnaît un « préjudice écologique » lié à l’utilisation des pesticides. Les cinq ONG menant la fronde – Pollinis, Notre Affaire à tous, l’Association nationale de protection des eaux et rivières, Biodiversité sous nos pieds et ASPAS – qualifient dans un communiqué commun cette décision d’ « historique ».
Dans sa décision du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris reconnaît un « préjudice écologique » lié à la « contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols » par les pesticides. Celui-ci entraîne le « déclin de la biodiversité et de la biomasse » et porte « atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement ». Le tribunal donne à l’État jusqu’au 30 juin 2024 pour le réparer en respectant ses trajectoires de baisse de l’utilisation des pesticides et en protégeant les eaux souterraines contre leurs effets.
Les plans Ecophyto dans le viseur
Le tribunal reconnaît que « le préjudice écologique […] n’aurait pas revêtu son ampleur actuelle sans la carence de l’État à respecter ses objectifs en matière de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ». C’est la première faute : l’État n’a pas respecté ses objectifs de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques liés aux plans Ecophyto successifs. Lancé en 2008 suite au Grenelle de l’environnement, le plan Ecophyto visait à réduire de 50 % la consommation des pesticides en France d’ici 2018 « si possible ». Loin de diminuer, la consommation de pesticides continuait d’augmenter entre 2009 et 2013, relevait Techniques de l’ingénieur en 2015.
En 2015, le plan était remodelé en plan Ecophyto II avec le report de l’objectif à 2025, doté d’un palier intermédiaire en 2020, à -25 %. Face à un nouvel échec, les ministères de l’Agriculture, de la Santé, de la Recherche et de la Transition écologique annonçaient en 2018 le lancement du plan « Ecophyto II+ ». Les résultats ne sont, là encore, pas au rendez-vous.
Le tribunal reconnaît une deuxième faute : l’État n’a pas suffisamment protégé les eaux souterraines « contre les incidences des pesticides ». Il s’appuie ici sur des données de l’Agence de l’eau portant sur les bassins Seine-Normandie, Adour-Garonne et Rhin-Meuse où les pesticides sont mis en cause dans le déclassement et le mauvais état des eaux souterraines. Le tribunal ne retient toutefois pas de carence dans la protection des eaux de surface.
Les cinq ONG demandaient aussi au tribunal d’ordonner la révision des méthodologies d’évaluation des risques des pesticides. Ce ne sera pas le cas. Elles ont annoncé faire appel de cette décision devant la Cour administrative d’appel de Paris, et introduire, en parallèle, un nouveau recours devant le Conseil d’État.
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