Au cours des dernières décennies, diverses études scientifiques ont attiré l’attention sur des effets éventuels sur les organes ou la fonction de reproduction de substances chimiques présentes dans l’environnement. Des études épidémiologiques observent en particulier une évolution de la fréquence de pathologies diverses touchant notamment les organes de la reproduction ou encore des altérations de la fertilité pour lesquelles les chercheurs interrogent une relation possible avec des effets perturbateurs endocriniens. Ainsi, de fortes préoccupations sont exprimées par certains scientifiques, des organismes de recherche indépendants et des associations sur l’impact sanitaire éventuel de substances, présentes dans l’environnement ou dans des produits de consommation sur le système hormonal. La compréhension exacte du rôle joué par ces substances dites « perturbateurs endocriniens », leurs modalités d’action, comme la part attribuable de leur effet dans l’accroissement de ces pathologies fait l’objet de controverses scientifiques et sociétales .
L’Anses réalise des travaux d’évaluation du risque, de veille scientifique et de référence sur les perturbateurs endocriniens. Elle a notamment lancé un travail d’envergure visant une trentaine de substances identifiées comme préoccupantes au regard de leur action de perturbateur endocrinien. Elle soutient par ailleurs des travaux de recherche via son Programme national de recherche en environnement-santé-travail (PNR-EST).
Que sont les perturbateurs endocriniens ?
Diverses définitions existent au niveau international qui font l’objet de débat. La définition proposée par l’Organisation mondiale de la santé en 2002 est la plus communément admise :
« Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance ou un mélange exogène, possédant des propriétés susceptibles d’induire une perturbation endocrinienne dans un organisme intact, chez ses descendants ou au sein de (sous)- populations. Cette catégorie est divisée en deux sous- catégories : la catégorie 2a pour les perturbateurs endocriniens suspectés et la catégorie 2b pour les perturbateurs endocriniens pour les substances possédant des indications de propriétés de perturbation endocrinienne. »
De manière générale, il s’agit de substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle qui peuvent interférer avec le fonctionnement des glandes endocrines, organes responsables de la sécrétion des hormones. Cette action peut passer par différentes voies :
- Le perturbateur endocrinien peut mimer l’action d’une hormone naturelle et entrainer ainsi la réponse due à cette hormone
- La substance peut empêcher une hormone de se fixer à son récepteur et ainsi empêcher la transmission du signal hormonal
- Enfin la substance peut perturber la production ou la régulation des hormones ou de leurs récepteurs.
Parmi les substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens : le bisphénol A,phtalates, composés bromés, …
D’où viennent les perturbateurs endocriniens ?
Les perturbateurs endocriniens peuvent être d’origine naturelle (hormones et phytoestrogènes) ou être une conséquence des activités humaines (produits issus de l’industrie chimique contenus dans des objets de consommation courante, produits de traitement des cultures, médicaments, cosmétiques, etc …). Ils peuvent ainsi être présents, de manière naturelle ou du fait d’une contamination, dans différents milieux (eaux, aliments, produits ou articles de consommation…).
In fine, en perturbant le système endocrinien, ces substances peuvent altérer différents processus tels que la production, l’utilisation et le stockage de l’énergie et plus largement la régulation du métabolisme et le développement. Certaines de ces substances peuvent par ailleurs avoir d’autres effets toxiques, notamment sur la reproduction, et nuire à la fertilité ou perturber le développement du foetus.
Quelles sont les particularités de ces substances ?
De nombreux effets attribués aux perturbateurs endocriniens sont observés dans des études expérimentales chez l’animal. Toutefois elles soulèvent dans de nombreux cas la question de l’extrapolation des résultats des effets à l’homme, notamment pour des expositions à des faibles concentrations. Il semble que les effets des perturbateurs endocriniens ne passent pas tous par des mécanismes de toxicité « classique » (dysfonctionnements ou mort cellulaire) mais soient liés à des phénomènes de signalisation et de régulation de l’organisme. Certains effets perturbateurs endocriniens n’apparaissant par ailleurs qu’à de très faibles niveaux de concentrations.
Les travaux réalisés montrent, en outre, que la sensibilité aux perturbateurs endocriniens peut varier selon les périodes de la vie. C’est notamment le cas de la période du développement foeto-embryonnaire, des nourrissons, et des jeunes enfants qui présentent une sensibilité accrue à ces substances. Il est ainsi nécessaire de prendre en compte la période d’exposition à ces substances dans l’analyse de leurs effets.
Enfin, divers composés suspectés d’être des perturbateurs endocriniens sont présents dans l’environnement à l’état de traces. L’individu se trouve, ainsi, exposé par de multiples voies (ingestion, inhalation, contact cutané) et de multiples milieux (eaux, aliments, produits ou articles de consommation, dispositifs médicaux,…) à des niveaux de concentration faibles de plusieurs composés dont les effets peuvent être variés et peuvent également être communs à d’autres causes.
La compréhension des effets des perturbateurs endocriniens demande ainsi d’adopter une vision intégrative en replaçant l’homme dans son environnement, mais également de prendre en compte l’exposition de l’individu à un mélange de substances et de comprendre leurs interactions au sein de l’organisme sur le long terme dès la période du développement foeto-embryonnaire et la vie in utero.
Face à cette complexité, la connaissance des effets des perturbateurs endocriniens aux doses rencontrées dans l’environnement se heurte actuellement aux limites de la toxicologie classique et des méthodes d’évaluation des risques. La question est donc d’en développer de nouvelles, adaptées aux spécificités de ces composés.
La communauté scientifique mobilisée
Selon la Commission européenne un perturbateur endocrinien est « une substance ou un mélange exogène, altérant les fonctions du système endocrinien et induisant de ce fait des effets néfastes sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou de sous-populations ». A l’heure actuelle, il n’existe pas de définition et de critères communs à l’ensemble de la législation européenne.
Diverses instances européennes (l’Autorité européenne de sécurité des aliments –EFSA-, l’Agence européenne des produits chimiques –ECHA-, la Commission européenne) travaillent en lien avec les autorités des États membres pour tenter d’identifier les critères pertinents pour classer ces substances.
Au niveau international, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement écologique) a défini des lignes directrices incluant des protocoles d’essais toxicologiques et écotoxicologiques afin de détecter des effets liés aux perturbateurs endocriniens et permettre ainsi d’identifier les substances responsables d’effets oestrogéniques. De même, l’Agence participe à des réflexions en cours sur la stratégie d’utilisation de ces différents tests afin d’accroître le niveau de connaissance des effets liés à ces substances chimiques. Aux États-Unis, le programme de recherche Tox 21 a été initié suite sur la base d’un rapport de la National Academy of Science . Son objectif est d’identifier les principales voies de toxicités activées par quelques milliers de composés afin, in fine, de pouvoir raisonner en terme de voies de toxicité activées (une vingtaine) et non plus de composés chimiques pris isolément (plus de 100 000 substances existantes).
Système hormonal et perturbateur endocrinien
Il existe plusieurs types de substances pouvant agir sur le système hormonal :
- Les hormones naturelles produites dans le corps : œstrogènes, testostérone, hormones thyroïdiennes, insuline, etc. Les hormones naturelles fabriquées par des plantes : phytoestrogènes (effets de type oestrogénique ou anti-oestrogénique), isoflavones (soja) ou resvératrol (raisin et le vin).
- Les substances chimiques produites pour leur effet hormonal (oestro-progestatifs des pilules contraceptives) de structure proche voire identique aux hormones naturelles.
- Les substances chimiques employées dans l’industrie, l’agriculture et les biens de consommation, ou utilisées comme sous-produits, mais dont l’effet sur les hormones n’est pas intentionnel.
Le rôle de l’Anses
A la demande du ministère chargé de la santé, l’Agence mène depuis 2009 un travail d’expertise d’envergure sur une trentaine de substances identifiées comme reprotoxiques de catégorie 3 ou/et perturbateurs endocriniens pour la reproduction et la fertilité. S’étalant sur plusieurs années, ce travail illustre le rôle joué par l’Anses sur la connaissance des substances chimiques, de leurs dangers et des risques. L’Agence a pour mission de :
- Caractériser les dangers des substances
- Identifier les produits et articles de consommation grand public contenant des substances toxiques pour les fonctions de reproduction, ou susceptibles de l’être
- Caractériser les expositions de la population générale à ces substances par ces articles ou produits. Cette expertise porte en particulier sur les populations vulnérables (période de gestation notamment) et les personnes exposées à ces substances dans un cadre professionnel
- Evaluer les risques pour la santé
- Identifier les substitutions possibles pour les produits ou substances pour lesquels un risque sanitaire aurait été mis en évidence.
Deux premiers rapports, publiés en septembre 2011, sont relatifs aux effets sur la santé et aux usages du bisphénol A. L’Agence identifie à cette occasion comme objectif prioritaire la prévention des expositions des populations les plus sensibles (nourrissons, jeunes enfants et femmes enceintes ou allaitantes). Elle recommande une réduction de ces expositions, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires. Le rapport final d’expertise sur l’évaluation des risques liés à l’exposition du bisphénol A, qui a été publié au mois d’avril 2013, confirme ces effets sanitaires, en particulier pour la femme enceinte au regard des risques potentiels pour l’enfant à naître. Il prend en compte, pour la première fois, une estimation des expositions réelles de la population au bisphénol A par voie alimentaire, mais aussi par inhalation (via l’air ambiant) et par voie cutanée (au contact de produits de consommation). Il met en évidence que l’alimentation contribue à plus de 80 % de l’exposition de la population.
Trois autres rapports ont également été publiés : un état des lieux des alternatives potentielles au bisphénol A, une évaluation des dangers d’autres composés de la famille des bisphénols et un rapport sur les incertitudes entourant les perturbateurs endocriniens. En outre, les travaux ont conduit à identifier d’autres situations d’exposition, notamment liées à la manipulation de papiers thermiques (tickets de caisse, reçus de cartes bancaires,…), en particulier dans un cadre professionnel.
Par ailleurs, ont été publiés en 2014 des rapports d’évaluation des risques et un avis relatifs à cinq substances considérées comme reprotoxiques de catégorie 2 et/ou perturbateurs endocriniens : méthyl tert-butyl éther (MTBE), toluène, n-hexane, cis-CTAC, O-phénylphénol (OPP). L’expertise des risques vise les expositions aux préparations (peintures, colles, parfums d’ambiance pour voiture, etc.) qui peuvent contenir ces substances.
Perfluorés, polybromés et phtalates font également l’objet d’expertises au sein de l’Agence, notamment sur les sources d’exposition, la contamination de différents milieux. L’Agence réalise aussi une synthèse des données récentes de toxicité relatives aux perfluorés et aux phtalates. Ces travaux ont servi de base à la priorisation des substances dans le cadre de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens.
Au-delà de ses travaux d’évaluation du risque, l’Anses exerce aussi des missions de veille, de recherche et de référence sur les perturbateurs endocriniens :
- Observatoire des Résidus de Pesticides : collecte et analyse de données relatives à la présence de résidus de pesticides dans les milieux.
- Deuxième Etude de l’Alimentation totale française (EAT2) publiée en 2011 : exposition des populations au-delà de l’âge de 3 ans à des substances d’intérêt dont certaines pouvant avoir une action de perturbateur endocrinien.
- Etude de la présence de composés perfluorés dans les ressources en eau et dans l’eau potable par le laboratoire d’hydrologie de Nancy de l’Anses.
- Programme « résidus médicamenteux et eaux » : hiérarchisation des substances à rechercher, développement de méthodes de détection et dosage dans l’eau.
- Contribution à la mise en œuvre des règlements européens REACh (autorisation/restriction de substances chimiques) et CLP (classification harmonisée) : évaluation scientifique et technique dans son champ de compétence.
- Laboratoire National de Référence pour les mycotoxines, contaminants (résidus de médicaments vétérinaires et colorants ; pesticides), contaminants physico-chimiques dans l’eau.
L’Anses participe aussi à la mise en place de coopérations internationales (notamment avec ses homologues allemands et nord américains), en vue de développer de nouvelles méthodologies d’évaluation des risques reconnues à l’international.
Source : Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
En savoir plus sur :
- l’ORP
- les études EAT
- le réglement REACh
- le laboratoire d’hydrologie de Nancy
- le laboratoire de sécurité des aliments de Maisons-Alfort
- la recherche « Les perturbateurs endocriniens en douze projets : comprendre où en est la recherche »
Et aussi dans les
ressources documentaires :
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