Entretien avec Alain Lombard, expert en toxicologie et animateur de la formation Perturbateurs endocriniens, chez Techniques de l’Ingénieur.
Techniques de l’Ingénieur : Alain Lombard, que sait-on aujourd’hui des risques que représentent les perturbateurs endocriniens ?
Alain Lombard : Nous savons qu’ils miment les hormones naturelles, se collent sur les sites d’actions de ces dernières, et vont donc bloquer leur fonctionnement naturel. On en compte plus d’une centaine, présents dans des produits naturels tels le soja, le houblon, mais également dans les produits chimiques.
C’est une problématique qui concerne de nombreux secteurs, à commencer par l’alimentaire avec le bisphénol A présent dans les vernis intérieurs de protection des cannettes métalliques, L’industrie des plastiques est en premier lieu concernés, notamment par les phtalates, présents par exemple dans les PVC mous, utilisés dans les jeux et jouets pour enfants.
La crainte, c’est donc que les perturbateurs endocriniens viennent perturber le système hormonal des enfants et donc leur développement. Chez l’adulte, le risque est la dérégulation hormonale, cause de cancers et autres maladies. Dans la nature, on a pu observer les conséquences des perturbateurs endocriniens sur les alligators du lac Apopka en Floride notamment, les mâles ayant été féminisés, sont devenus incapables de se reproduire.
Les risques sur les plantes sont moins évidents, mais il est certain qu’une fois qu’on ingère celles-ci, les perturbateurs endocriniens y étant présents vont avoir des effets sur notre corps. C’est pour cela qu’aujourd’hui, on ne peut traiter ce problème que sur la globalité du cycle de vie, et non uniquement sur un segment de celui-ci.
Techniques de l’Ingénieur : Comment réagit le législateur à ce risque ?
Alain Lombard : Au coup par coup. Il n’y a pas de définition internationale fixée de ce que sont les perturbateurs endocriniens. Chaque pays a sa stratégie. En France, sous la pression des milieux écologistes, la législation est plus restrictive qu’elle ne l’est au niveau européen : l’EFSA, l’agence européenne de la santé alimentaire, est plus souple que l’ANSES, l’agence nationale de sécurité sanitaire, plus prudente car sous contrôle de la société civile.
Pour l’industrie, l’objectif est de s’assurer que les produits mis sur le marché ne risquent pas d’émettre des perturbateurs endocriniens une fois sur le marché. Il est donc indispensable de détecter les perturbateurs endocriniens dès leur synthèse, avant leur mise sur le marché. On peut essayer de détecter les structures chimiques semblables à celles des hormones naturelles, ou développer une stratégie de tests. La stratégie des tests a été décrite par l’OCDE. Elle comprend des tests sur cellules, ou sur animaux de laboratoire. Ces tests sont couteux et long. La crainte des industriels est d’être accusés de produire des perturbateurs endocriniens, et de devoir prouver que ça n’est pas le cas, ce qui n’est pas une mince affaire.
D’où la tentative de mise en place, en France sous l’égide du ministère de l’Environnement et du Développement Durable, d’une plateforme public-privé d’évaluation et de validation des méthodes de test des substances sous forme d’un partenariat entre les industriels, et la recherche publique , pour permettre de définir en amont si un produit est ou non à risque.
Techniques de l’Ingénieur : Vous animez Chez Techniques de l’Ingénieur une formation sur ce thème, c’est sur cet axe qu’elle se positionne ?
Alain Lombard : Oui. Je m’applique à présenter un panorama le plus complet possible de cette problématique de perturbateurs endocriniens. Cette formation n’a pas pour objectif de créer des experts sur les perturbateurs endocriniens, mais de donner des clefs pour trouver les informations nécessaires à une prévention des risques efficaces, et pour suivre les évolutions des recherches et des textes réglementaires dans ce domaine, plutôt que d’attendre que le problème se présente subitement.
Elle s’adresse donc prioritairement aux chimistes, pour qu’ils intègrent ce risque dans la conception de leurs produits, mais également aux commerciaux, pour qu’ils puissent répondre aux questions de leurs clients, et ne vendent pas des produits à risque qui pourront avoir des répercussions sur la santé de l’utilisateur final, à des fabricants de produits de grande consommation, de biberons par exemple. Enfin, cette formation peut également intéresser la grande distribution, puisque le risque pour eux est de mettre sur le marché une grande quantité de produits contenant des perturbateurs endocriniens, et du jour au lendemain, de se retrouver accusés mettre en danger la vie de leurs consommateurs.
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