La crise sanitaire liée au coronavirus a plongé le monde dans une crise économique forte. Au sein de l’Union européenne, la France est le pays le plus durement touché par la récession au premier trimestre 2020. Pourtant, dans ce moment de ralentissement économique, certains acteurs ne s’interdisent pas de penser à l’après. C’est notamment le cas de Maxime Combes, économiste et porte-parole de l’association Attac France, pour qui la reprise des activités devrait prendre en compte les aspects écologiques et sociaux. Cependant, ce dernier émet quelques réserves quant à la mise en place rapide et efficace d’un Green Deal européen.
Techniques de l’Ingénieur : Pensez-vous qu’il était possible de prévoir une crise telle que celle du Covid-19 ?
Maxime Combes : Certaines personnes avaient suffisamment de compétences pour pointer le risque d’une pandémie de ce type à l’échelle internationale. Mais aucune institution internationale ou nationale ne les a écoutées. Justement, en 2017, dans son livre L’année du Lion, l’écrivain sud-africain Deon Meyer évoquait le fait que les grands spécialistes des pandémies mondiales avaient décrit ce qui se passe actuellement avec le coronavirus.
Ce moment de crise économique permet-il de remettre en question la mondialisation ?
Cette crise du coronavirus rend explicites toutes les fragilités de la mondialisation. Nous subissons le fait que ce qui se passe dans un pays peut avoir, du jour au lendemain, des répercussions de l’autre côté de la planète. Cela révèle la fragilité de cette mondialisation du commerce, et de la mondialisation financière. Cette crise révèle également l’extrême fragilité de nos services publics. Cela fait des années que les coûts de fonctionnement des services de santé sont réduits au nom du principe de compétitivité et de rentabilité financière.
Depuis mars, certains métiers ont été mis en avant et considérés comme essentiels. Qu’en pensez-vous ?
La valorisation des métiers est une question-clé. C’est incroyable de voir que les métiers qui étaient vilipendés avant – les soignants, ceux qui prennent soin de nous, les paysans, les éboueurs – sont aujourd’hui au firmament des métiers valorisés. C’est un basculement de valeurs gigantesque. Mais la question est de savoir si cela est pérenne ou pas. Et l’enjeu, c’est que ça le soit, et que ça ait des implications y compris du point de vue de la revalorisation des rémunérations et des conditions de travail. Aujourd’hui, un soignant vaut plus qu’un trader. Demain, cela devra se traduire d’une manière ou d’une autre.
Quel regard portez-vous sur l’actuelle situation économique en France ?
Selon les chiffres de la Banque de France et de l’INSEE, aujourd’hui on considère qu’il y a environ 35 % de l’activité en France qui est à l’arrêt. Cela représente une perte de PIB importante. L’actuelle situation économique est à l’image de cette crise sanitaire : profondément détériorée et dans une zone d’incertitude extrêmement forte. Tous les États sont en train de mettre sur la table des sommes colossales pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Aujourd’hui au sein de l’Union européenne, plusieurs acteurs essaient de pallier l’incapacité d’action du secteur privé. La France dépense beaucoup d’argent pour éviter que les salariés se retrouvent au chômage partiel et que les entreprises mettent la clé sous la porte. Aujourd’hui, nous assistons à une socialisation des pertes, alors qu’en temps normal on privatise les profits.
Comment faire évoluer notre modèle économique, a fortiori durant ce temps de récession ?
Nous pourrions envisager de soutenir les entreprises et les secteurs les plus nocifs, à condition qu’ils opèrent une reconversion écologique et sociale de leurs activités. Ça peut valoir pour l’industrie pétrochimique, mais également pour des entreprises comme Air France, ou même des PME. Les pouvoirs publics devraient profiter des plans de relance pour faire bifurquer notre système économique. Plusieurs scénarios seraient possibles. Le principal serait le patriotisme économique. En clair, cela revient à prôner le retour des chaînes de valeur en France. C’est ce que défendent Emmanuel Macron et les libéraux, mais également certains représentants de la droite sociale et de la gauche classique.
Est-ce également le positionnement souhaité par Attac France ?
Nous avons une position légèrement différente. Nous pensons que l’enjeu ne réside pas seulement dans le fait de relocaliser en France l’intégralité des activités qui contribuent depuis des années à aggraver la situation écologique et sociale. Il faudrait plutôt transformer ces activités-là. Nous devons prôner une reconversion écologique et sociale beaucoup plus volontariste. Et elle devra s’opérer sur tous les secteurs. En somme, cela reviendrait à dire : pas un euro pour les pollueurs sans reconversion écologique. Nous sommes en faveur du soutien de tous les secteurs, pourvu qu’ils prennent de solides engagements écologiques. Nous espérons également la mise en place d’un Green Deal solide à l’échelle européenne.
Pensez-vous qu’une telle réorientation économique soit possible dans le contexte actuel ?
Ce n’est pas tout à fait ce qui est sur la table. Aujourd’hui, tout l’argent mis sur la table l’est sans aucun conditionnement préalable. Aucune révision des systèmes économiques et financiers n’est aujourd’hui envisagée, ni impulsée.
Dans ce cas, à quoi pourrait ressembler la reprise économique selon vous ?
Tout se jouera au niveau des plans de relance. Il est très possible qu’une grande partie des États européens profitent de ces plans de relance pour y associer à chaque fois un chapitre sur l’économie verte. En clair, il ne s’agira pas d’une transformation des secteurs, mais du développement systématique d’une filière verte. Par exemple, on sauvera le secteur automobile, et on ajoutera un chapitre pour développer les activités vertes. Mais l’enjeu n’est pas là. Il ne s’agit pas d’avoir un secteur vert qui se développe à côté des secteurs classiques. Il faudrait que le secteur vert se développe à leur place.
L’actuelle économie ralentie implique-t-elle une inéluctable démondialisation ?
La démondialisation n’est pas inéluctable. Néanmoins, il serait bon de moins dépendre des ressources des pays du Sud, et des énergies fossiles. Au contraire, il faudrait aider ces pays à développer leur propre relocalisation écologique et solidaire. Nous aurions également besoin d’un plan de souveraineté alimentaire. Un tel plan pourrait répondre à une logique territoriale plutôt que frontalière. En effet, il n’y a pas de souci à échanger entre Vintimille et Nice, ou entre Bruxelles et Lille.
Pensez-vous que ce nouveau fonctionnement de l’économie pourrait voir le jour ?
Je pense que le scénario qui va probablement apparaître est une forme de maintien de la mondialisation telle qu’elle fonctionne, avec des amendements, et des modifications à la marge. Ainsi, les entreprises de plusieurs secteurs, au nom du patriotisme économique, vont effectivement être relocalisées et de nouveau protégées. Cela va être le cas du secteur du médicament et de certains secteurs stratégiques industriels. Mais il sera impératif que nos productions, notamment nos médicaments, soient à la disposition de l’ensemble des populations de la planète.
Propos recueillis par Chaymaa Deb.
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