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Paris 2024 : les athlètes respireront-ils vraiment un air plus sain au cœur du Village olympique ?

Posté le 13 mars 2024
par Benoît CRÉPIN
dans Environnement

L’annonce de l’installation sur la place du Village des Athlètes des JO de Paris 2024 de mobiliers urbains censés offrir une véritable « douche d’air pur » aux sportifs a suscité de nombreuses réactions, souvent empreintes de doute et d’incompréhension… Ces dispositifs tiendront-ils leurs promesses ? Et quid de l’air intérieur ? Voici quelques éléments de réponse.

« Ridicule », « inutile », « grotesque »… Les critiques acerbes et autres formules à l’emporte-pièce n’ont pas tardé à fleurir sur les réseaux sociaux après l’annonce, en février dernier, de la mise en service au cœur du Village des Athlètes des JO de Paris 2024, d’une série de dispositifs destinés à débarrasser l’air extérieur d’une grande partie des particules fines qui le polluent : les Aerophiltres. Nombreux ont ainsi été les internautes à mettre en doute la légitimité d’une telle installation, mais aussi – et surtout – à nier d’emblée son efficacité, appelant pour beaucoup à planter des arbres plutôt que de s’en remettre à ce qui s’apparente à leurs yeux à une énième approche technosolutionniste… Si le scepticisme est, à n’en pas douter, une réaction saine et légitime face aux alléchantes promesses du projet, il convient peut-être, toutefois, de se pencher un peu plus en détail sur le fonctionnement du dispositif.

Une technologie brevetée

Sous leurs faux airs de soucoupes volantes, ces cinq ombrières géantes de 4,6 à 5,6 mètres de hauteur pour 6 mètres de diamètre cachent en effet une technologie brevetée – fruit d’une décennie de recherche et de deux années de développement – incarnée par un dispositif : le Para-PM. Mis au point par l’entreprise Aerophile, connue notamment pour ses ballons captifs, le système est capable, selon ses concepteurs, de capturer à grande échelle les particules fines qui polluent l’air. Comment ? Grâce à un filtre électrostatique innovant, que nous décrivait en novembre dernier le co-fondateur d’Aerophile, Jérôme Giacomoni : « Il s’agit d’un filtre électrostatique à trois étages, qui est breveté. Le système commence par ioniser les particules polluantes, qui sont ensuite collectées avec un champ électrique très intense. Nous avons, en plus, ajouté un troisième étage, une innovation sur laquelle porte notre brevet. Il permet d’accroître drastiquement l’efficacité du système. Les filtres électrostatiques existent depuis des décennies, mais le dispositif que nous avons inventé se révèle ainsi particulièrement adapté pour traiter les pollutions de l’air ambiant. »

L’Aerophiltre a été choisi dans le cadre de l’appel d’offres de la SOLIDEO (Société de Livraison des Ouvrages Olympiques) pour l’aménagement de la place des athlètes à Paris Saint-Denis (France) en 2024. ©Aerophile-ParaPM

Aerophile affirme ainsi avoir obtenu, dans le cadre d’une campagne de tests menée dans une cour d’école parisienne, des résultats particulièrement probants, avec une capture de pas moins de 95 % (en masse) des PM2,5 et 10. Un chiffre basé sur des simulations numériques, mais aussi sur des mesures de terrain présentées en août 2023 par Aerophile. « Six capteurs de pollution Pollutrack ont été installés par un laboratoire extérieur, dans l’école, pour suivre en direct la concentration en PM2,5 côté rue, pour connaître la pollution ambiante locale, et dans la cour pour mesurer l’efficacité du dispositif », explique le groupe, qui indique ainsi que « durant la première période de cette expérimentation[1] […] les capteurs ont permis de mesurer […] un taux de dépollution des particules fines à un niveau de 95 % au moins en sortie de tous les appareils ».

Une première phase suivie d’une seconde période d’expérimentation, prévue pour s’étendre jusqu’en avril 2024 avec, à la clé, l’analyse des mesures des capteurs par un laboratoire indépendant, mandaté par la mairie du 9e Arrondissement de Paris.

L’occasion d’une nouvelle expérimentation grandeur nature

Si l’impartialité des premiers résultats affichés peut, ainsi, difficilement être remise en cause, la question de la transposabilité de ces résultats demeure légitime, d’autant plus que la configuration du site d’expérimentation se révèle particulière, comme le note le groupe Aerophile lui-même : « un espace à ciel ouvert de 330 m2 entouré de murs de 12 m de haut ». Une situation naturellement propice à « l’effet canyon » qui, s’il favorise en temps normal l’accumulation de polluants, pourrait aussi dans ce cas, à l’inverse, avoir une influence positive sur les résultats obtenus en matière de dépollution, puisque favorisant une circulation de l’air en boucle fermée, par effet de cloche, freinant ainsi l’arrivée de nouvelles particules polluantes…

Le doute quant à l’efficacité réelle des cinq ombrières filtrantes mises en place au cœur du Village des Athlètes est donc effectivement toujours permis. Il n’en demeure pas moins que l’opération se veut, justement, une nouvelle occasion de mettre à l’épreuve la solution dans un autre cadre, et à une autre échelle. « Pour en mesurer précisément l’efficacité sur toute la zone, un protocole est établi par AirParif[2] et sera mis en place prochainement », révèle en effet le groupe Aerophile.

Quels que soient les résultats de cette nouvelle expérimentation grandeur nature, une autre question reste en suspens : pourquoi préférer ces potentielles « douches d’air pur » à une solution pour le moins éprouvée et surtout naturellement disponible : l’arbre ? Pour tenter d’y apporter un début de réponse, lançons-nous dans un petit calcul « à la louche »…

Pour dépolluer l’air, autant planter des arbres ? Pas si simple…

Prenons comme éléments de base les résultats d’un travail de modélisation mené par des chercheurs britanniques, publiés en 2009 dans la revue Environmental Pollution. Dans cette étude, les scientifiques estiment en effet à 0,009 tonne par an et par hectare la capacité de capture de particules fines (PM10) d’une zone située à l’est de Londres, virtuellement végétalisée à hauteur de 25 % d’arbres et de 75 % de prairies. Ceci, avec des valeurs de concentration annuelle moyenne en PM10 de l’ordre de 22,9 à 25,4 μg par m³ d’air, en fonction des points de la zone d’étude.

Si l’on s’en tient, d’autre part, aux premiers résultats d’efficacité du Para-PM – de 95 % – ainsi qu’aux capacités de traitement d’air avancées par Aerophile pour ses cinq ombrières du Village des Athlètes – 108 000 m3 par heure – et qu’on les combine avec une valeur arbitraire[3] de concentration en particules de 23 μg par m3, on aboutit à un potentiel de capture de particules par les Aerophiltres de l’ordre de 0,02 tonne par an[4]. Soit autant que 2,2 ha de surface urbaine végétalisée, telle que définie par les chercheurs britanniques. Et ce, sur une surface, cette fois, de quelques dizaines de mètres carrés, et au prix d’une puissance électrique soutirée de l’ordre de 5 kW…

À condition que les performances réelles de l’installation se révèlent à la hauteur des résultats obtenus dans le cadre des premiers tests menés sur le terrain par Aerophile, l’efficacité de la solution pourrait donc se révéler incommensurablement plus grande – si l’on s’en tient à la seule question de la pollution aux particules fines – que celle de l’implantation d’arbres. D’autant plus que l’effet des Aerophiltres ne s’arrêterait pas aux seules PM10 et 2,5 : grâce à l’ajout d’un catalyseur, ils pourraient également permettre, selon leurs concepteurs, d’abattre une partie de la pollution à l’ozone. Rendez-vous dans quelques mois, pour en avoir le cœur net.

Au Village des Athlètes, l’air intérieur lui aussi traité

Hormis ces « douches d’air pur » dont pourront bénéficier les athlètes à l’extérieur de leur lieu de villégiature, un système de traitement de l’air intérieur des logements a également été mis en place. Il s’agit, en l’occurrence, d’entrées d’air filtrantes baptisées EHT2 EFT2 développées par le spécialiste des équipements de ventilation et de traitement de l’air Aldes sur la base d’une technologie mise au point par l’entreprise Teqoya : la e-filtration. « Ce procédé consiste à charger électrostatiquement les particules, puis, dans un second temps, à piéger ces particules dans un système de plaques polarisées. Les particules chargées électrostatiquement sont ainsi déviées par les forces électrostatiques vers l’une des deux plaques, celle qui a un potentiel opposé à leur charge », nous expliquait en mars 2023 Pierre Guitton, co-fondateur de Teqoya.

Une technologie dont les performances sont aujourd’hui clairement établies, comme le souligne Teqoya sur son site internet : « Sa performance est testée selon les mêmes conditions que la norme NF EN ISO 16890 : filtration de 90 % des particules supérieures à 10 µm, 80 % des particules supérieures à 2,5 µm et 77 % des particules supérieures à 1 µm ». En témoigne un ensemble de tests et certificats rendus publics par l’entreprise sur son site internet.

Sélectionnées par la SOLIDEO, les entrées d’air EHT2 EFT2 d’Aldes sont installées dans tous les logements des athlètes. À la faveur de leur passage dans ces entrées d’air, les particules polluantes seront capturées grâce au système d’e-filtration mis au point par Teqoya. © Aldes-Teqoya

[1] Qui s’est déroulée du 15 juin au 13 août 2023.

[2] Observatoire de la qualité de l’air en Île-de-France, membre du réseau des AASQA (associations agréées de surveillance de la qualité de l’air).

[3] Valeur qui correspond à la valeur basse des concentrations annuelles moyennes prises en compte sur leur zone d’étude par les chercheurs britanniques.

[4] 95 % de 23 μg par m3 donnent une capture de 21,85 μg de particules par m3 d’air traité. Multipliés par les quelque 108 000 m3/h brassés par les cinq Aerophiltres, on obtient une capture d’environ 2,36  grammes de particules par heure, soit 20 687 grammes environ en un an, ou 0,02 tonne.


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