C'était en décembre 1989. Depuis, on fait de la mécanique avec une seule molécule. Mais il n'y a pas encore de développement d'une technologie nouvelle qui serait basée sur des constructions atome par atome. Pour autant, faut-il se désintéresser des picotechnologies. Non ! Soyons patients et pensons à long terme.
C’était en décembre 1989. Une petite équipe de physiciens des surfaces du laboratoire de recherche d’IBM à Almaden en Californie démontrait comment écrire avec des atomes, en les poussant un par un à la surface d’un métal avec la pointe d’un microscope à effet tunnel. La pointe de ce tout nouveau microscope dont les inventeurs venaient juste de recevoir le Prix Nobel de Physique en 1986, devenait le prolongement technique du doigt de l’expérimentateur.Depuis, quelles nouvelles du monde matériel d’en bas ? Presque chaque année, les revues scientifiques prestigieuses comme Nature ou Science nous rapportent quelques « premières » comme ici un interrupteur électrique réalisé avec un seul atome ou une seule molécule, là un amplificateur dont le gain est assuré également par une seule molécule. On fait de la mécanique avec une seule molécule, on construit avec le microscope à effet tunnel des machineries moléculaires comme une crémaillère dont le pignon est fait d’une seule molécule de 1,2 nm de diamètre et on étudie même comment roule une molécule brouette de 1.5 nm d’envergure. Mais il n’y a pas vraiment d’avalanche de résultats ni même de développement d’une technologie nouvelle qui serait basée sur des constructions atome par atome de structures ou de machines, chaque atome ayant été placé au bon endroit par l’ingénieur et sa machine d’assemblage. Quand on lit sur les nanotechnologies, on rencontre surtout de la nano-fabrication, des nano-biotechnologies, des nano-matériaux et de la nano-médecine. Tous ces nano-Y s’appuient sur de bien jolis instruments comme le microscope électronique ou les diffractomètres à rayons X. Mais ces instruments ne sont pas nés d’hier. Dans la littérature, le glissement est parfois plus radical. Tous ces nano-Y sont embarqués en nanosciences comme pour donner un vernis de modernité à l’utilisation de la lithographie électronique ou de la chimie des matériaux. Ce glissement provient d’une confusion entretenue entre la précision de fabrication d’une pièce entrant dans la composition d’une machine et les dimensions hors tout de cette machine. Par exemple, la distance source-drain d’un transistor frôlera certainement un jour les 10 nm. L’isolant de grille aura une épaisseur de quelques nanomètres. C’est très bien pour l’industrie de la micro-électronique. Pourtant, le transistor lui-même aura des dimensions latérales gigantesques, proches des 50 nm, par rapport au diamètre d’un atome. Pourquoi cette absence technologique en provenance de la manipulation d’atome à l’unité ? D’abord, les expériences de manipulation ou de contact électrique sur un seul atome ou sur une seule molécule sont très délicates. Très peu de laboratoire de part le monde en possède la technologie même si des microscopes à effet tunnel ultra stable garantits « manipulateur d’atomes » sont maintenant en vente. Il faut parfois plusieurs années pour faire le tour d’une molécule depuis sa conception, sa synthèse, sa mise en route sur une surface et la compréhension de son fonctionnement en situation. Enfin, l’histoire des sciences nous enseigne qu’une nouvelle microscopie (optique, électronique, à effet tunnel) ne marque son époque que sur le long terme. Par exemple, la microscopie électronique née en 1932 fait encore des progrès de nos jours. Les nano-Y vont donc continuer à se développer car notre économie dépend de la fabrication de machines ou de matériaux avec une précision nanométrique depuis les puces électroniques, les détergents et les lessives jusqu’à l’enrobage des bonbons, les revêtements des poêles à frire ou la lutte contre les maladies. Mais ne gâchons pas l’ère nouvelle qu’à ouverte l’écriture atome par atome de décembre 1989. On a souvent l’impression que notre admiration légitime pour les prouesses des machineries macromoléculaires de la vie nous empêche de penser à des machines non vivantes fonctionnant à une échelle encore plus petite où la précision de construction serait de l’ordre de la dizaine de picomètre et non plus de l’ordre du nanomètre. Certains clament même qu’en poussant cet atome ci, l’expérimentateur l’aurait dérangé dans sa quiétude universelle. Dans un gigantesque effet « papillon », ce serait alors toute la création, ses mythes et ses valeurs de l’Eucharistie à la construction de l’âme qui seraient en danger. Ce n’est pas parce qu’une technologie n’a pas d’applications visibles à 20 ou 30 ans qu’il faut arrêter de remplir nos bibliothèques des savoirs et des savoir-faire qui en découlent. Par Christian Joachim, CNRS Toulouse En savoir plus
Détenteur d’un PhD en physique mathématique obtenu à l’Ecole Nationale Supérieure de l’Aéronautique et de l’Espace de Toulouse et d’un PhD de physique quantique, Christian Joachim est aujourd’hui directeur de recherche au CEMES à Toulouse (Centre d’Elaboration de Matériaux et d’Etudes Structurales) où il coordonne les travaux du groupe Nanosciences. Chercheur de renomée mondiale, il défend une approche des nanotechnologies ascendante, qui consiste à partir de l’échelle atomique pour construire atome par atome des structures ou des machines. |
Il est également l’auteur, en collaboration avec Laurence Plévert, du livre « Nanosciences : la révolution invisible », publié aux éditions du Seuil en janvier 2008.Par ailleurs, il contribue aussi aux éditions Techniques de l’ingénieur pour lesquelles il a écrit, en collaboration avec Xavier Bouju et André Gourdon, un article sur les Picotechnologies.
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