Lors d’une audition devant la commission économique du Sénat le 10 février dernier, Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF, a dévoilé une nouvelle donne pour ce projet qui visait au départ à séparer EDF en plusieurs entités sous la coupe d’une holding. Rappelant au préalable qu’EDF n’était pas en direct sur les négociations avec Bruxelles, puisque c’est l’Etat qui discute, Jean-Bernard Lévy a néanmoins dévoilé que le projet repose sur une réorganisation du groupe en deux entités « complémentaires et jamais concurrentes », avec des actifs homogènes et des objectifs stratégiques clairs.
Une première entité, dénommée « EDF Bleu », regrouperait la production nucléaire et thermique. La production hydraulique, qui au départ aurait pu se retrouver dans cette première partie (d’où le « bleu »), serait désormais quant à elle transférée à une « quasi-régie », filiale à 100 % d’EDF Bleu. La seconde entité, dite « EDF Vert », regrouperait la distribution (Enedis), les services, les activités commerciales, la construction et l’exploitation des ENR (d’où son nom de « Vert ») et les activités à l’international. Elle inclura donc Enedis, qui sera une filiale à 100 % d’EDF Vert.
EDF vert serait « détenu très majoritairement par EDF Bleu et par l’Etat et quelques actionnaires minoritaires », le PDG laissant entendre une potentielle ouverture de capital à hauteur d’un quart…
C’est un modèle qui, a insisté le PDG, est retenu par les pays du Sud, comme Iberdrola, en Espagne, et Enel, en Italie.
L’Arenh du jeu perdant
Car, a insisté Jean-Bernard Lévy, le point de départ de l’action réside dans la nécessité de mettre fin à l’Arenh (Accès régulé à l’énergie nucléaire historique). L’Arenh contraint le groupe à vendre à ses concurrents un quart de sa production nucléaire « à un prix fixé, il y a dix ans, et jamais révisé depuis, sans même tenir compte de l’inflation », soit 42 euros/MWh, a insisté le PDG d’EDF. « C’est un poison qui a largement contribué à faire d’EDF un acteur endetté », poursuit-il, qui rappelle que l’Arenh est fondé « sur une injustice évidente, qui revient à subventionner nos concurrents ». Mais c’est cet Arenh qui est au cœur du débat avec Bruxelles, puisque c’est la Commission européenne qui avait imposé à EDF d’ouvrir le marché de la production que l’entreprise publique dominait largement alors.
Cette réforme permettra ainsi à EDF d’avoir les moyens de se développer plus rapidement, a martelé Jean-Bernard Lévy, la nouvelle régulation nucléaire devant, soit via un corridor de prix, soit via un prix fixe (option qui tient la corde aujourd’hui) – le même pour tous les fournisseurs (EDF y compris) –, « couvrir les coûts et les investissements (passés et futurs) sur le parc existant ».
Eviter le « déclassement » d’EDF
Et de brandir la menace d’un « déclassement par rapport aux autres grands groupes européens », faisant d’EDF un colosse aux pieds d’argile. « Ils peuvent annoncer des objectifs très supérieurs à ce que peut faire EDF dans sa configuration actuelle », a appuyé le PDG d’EDF. Enfin, Hercule doit permettre de « sécuriser nos concessions hydroélectriques » ajoute Jean-Bernard Lévy, qui souligne un « risque de désoptimisation du productible », voire aller jusqu’à « un appauvrissement des vallées concernées » si les concessions hydrauliques sont mises sur le marché.
Dans ce cadre, et même si EDF ne participe pas directement aux discussions bruxelloises, les négociations avec Bruxelles se font avec plusieurs « lignes rouges » définies par EDF et l’Etat. D’abord, EDF reste un « groupe public intégré (…) qui englobe tous les maillons de la chaîne de l’électricité, toutes les filières de production et tous les services » et répondant à « une seule stratégie ». Bruno Lemaire, le ministre de l’Economie, a d’ailleurs déclaré devant le Parlement que « ce n’était pas négociable ». Et Barbara Pompili l’avait également affirmé à l’Assemblée nationale.
Les entités « coopèrent entre elles » et « les salariés peuvent circuler de l’un à l’autre ». Le statut des IEG (industries électriques et gazières) ne sera pas remis en cause, insisté le PDG d’EDF. Une adresse quasiment directe pour répondre aux syndicats de la maison, qui sont vent debout contre cette réforme.
Pour le PDG d’EDF, « cette réforme est une vraie opportunité de développement au service de la neutralité carbone et de la transition énergétique ». Et d’ajouter que, alors qu’aujourd’hui, EDF vise 50 GW de renouvelables en 2030 – un chiffre porté à 60 GW, lors de l’annonce des résultats du groupe –, dans 10 ans, « avec la réforme, nous pouvons viser 100 GW, et avoir un rôle deux fois plus important ».
Des oppositions actives
Pas certain cependant, malgré toutes ces précisions, que les oppositions faiblissent. Les syndicats, en interfédérale (FNME-CGT, FO, CFE-CGC, CFDT) sont toujours en mouvement, et ont organisé plusieurs journée de grève, depuis janvier, pour réclamer l’abandon du projet… Avec une mobilisation plutôt forte.
Plus inhabituel, la FNCCR, la Fédération des collectivités locales et concédantes (qui, rappelons-le, détiennent les lignes de distribution) s’est fendue d’un communiqué indiquant que « les services publics de distribution d’électricité et leurs usagers ne doivent pas être les otages de la stratégie financière d’EDF ». Et la FNCCR de poursuivre : « l’ouverture d’EDF vert à un actionnariat privé massif pourrait casser la dynamique d’investissement d’Enedis, affecter la qualité des services publics de distribution qui lui sont confiés par les collectivités locales concédantes, et conduire à un renchérissement du prix de l’électricité pour financer les versements de dividendes aux nouveaux actionnaires privés, pénalisant les consommateurs, déjà massivement confrontés à de graves difficultés ». En tout état de cause, la FNCCR déplore « l’absence totale d’information des territoires, et a fortiori de concertation avec eux, en premier lieu avec les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, pourtant propriétaires des réseaux ». Enfin, la fédération représentant les collectivités réclame que les territoires soient associés à ce projet… Reste que, pour l’heure, les couloirs de Bruxelles sont très silencieux sur le sujet… Et ce n’est pas qu’à cause de la crise sanitaire !
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