La science permet non seulement aux paraplégiques de remarcher, ou aux personnes amputées de retrouver leur membre disparu, mais elle permet aussi à ceux qui ont perdu l’un de leurs sens, de le recouvrer.
Restaurer le sens du toucher
Les prothèses intelligentes sont “intelligentes” parce qu’elles peuvent être commandées par la pensée, mais aussi parce que, désormais, elles permettent de retrouver le sens du toucher. L’italien Pierpaolo Petruzziello et le danois Dennis Aabo Sørensen bénéficient ainsi d’une main robotique, conçue par une équipe de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, qui leur permettent de ressentir ce qu’ils touchent.
Connectée au système nerveux par des fils et des électrodes implantés dans les nerfs, contrôlable par l’esprit, la prothèse, baptisée “LifeHand”, permet de saisir des objets, mais aussi de sentir les objets tenus. Concrètement, des capteurs sont reliés aux tendons de chaque doigt et aux nerfs du bras, où des électrodes ont été implantés. Des ordinateurs convertissent le signal des capteurs en une forme capable d’être détectée par les nerfs. Les électrodes envoient ainsi une sorte de “feedback sensoriel”, ou “feedback tactile”.
La DARPA, agence de recherche de l’armée américaine, veut aller plus loin en permettant aux personnes amputées de ressentir la position et le tonus de leurs membres artificiels. Cette forme de sensibilité profonde, la proprioception, nous permet notamment de savoir comment sont positionnés nos bras et nos jambes, même sans les voir.
Le programme Haptix (Hand Proprioception and Touch Interfaces) consiste à développer des interfaces permettant de mesurer et de décoder les signaux moteurs envoyés par les nerfs et les muscles. La prothèse conçue par la DARPA a été testé avec succès, procurant à son utilisateur (un patient paralysé depuis 10 ans suite à une blessure à la moelle épinière) des sensations tactiles.
“Au lieu d’appuyer sur un seul doigt, un membre de l’équipe a appuyé sur deux doigts sans le dire au patient. Ce dernier a répondu en plaisantant qu’on essayait de le piéger. Là, nous avons compris que les sensations qu’il percevait à travers la prothèse étaient proches des sensations naturelles”, indique Justin Sanchez, qui dirige les recherches à la DARPA.
Autre sens, mais même principe, avec les “yeux bioniques”, qui permettent de donner, ou de redonner, la vue aux aveugles. Fruit de 20 ans de recherche, Argus II, conçu par le laboratoire Second Sight, est actuellement en cours de test. Cette rétine artificielle se compose d’une paire de lunettes qui enregistre l’image, et d’électrodes implantés sur la rétine, qui reçoivent l’information visuelle par impulsions électriques.
L’oeil bionique de Second Sight a permis de redonner une vision, même partielle, à des aveugles ou à des personnes souffrant de maladies dégénératives. Des patients sont allés jusqu’à percevoir des mouvements, s’orienter et se déplacer, reconnaître des objets, et lire des caractères. Seul bémol : cet implant oculaire reste cher. Il faut ainsi débourser 115 000 euros pour un tel appareil.
Implants cochléaires et “nez électroniques”
Pour les sourds et malentendants, cela fait déjà vingt ans que l’implant cochléaire existe. Porté par plus de 200 000 personnes à travers le monde, cet implant est divisé en deux : un microphone placé derrière l’oreille, et des électrodes implantés sous la peau. Grâce à ce système, qui coûte environ 45 000 euros (couvert par la Sécurité sociale en France), un sourd, même de naissance, peut recouvrer l’ouïe.
En ce qui concerne l’odorat, sens très important pour l’être humain (notamment pour des questions de sécurité), les recherches n’en sont par contre, encore à leurs balbutiements. Mais des prototypes de “nez électroniques” sont en cours de conception. En France, la startup Aryballe Technologies, issue du CEA-CNRS, met ainsi au point un prototype, composé de nano-capteurs d’odeurs. Ceux-ci imitent les récepteurs olfactifs humains. Un espoir pour les patients qui souffrent d’anosmie (perte de l’odorat).
Pour l’instant, le prototype d’Aryballe Technologies, NeOse, ne capte qu’une trentaine d’odeurs, contre 10 000 pour le nez humain, mais la startup ne compte pas s’arrêter là. Son idée est de développer un véritable dispositif d’intelligence artificielle, basé sur les réseaux de neurones (le “deep learning” cher à Google et AlphaGo), capable de reconnaître les odeurs (les composés organiques volatils, ou COV) et d’apprendre de ses erreurs.
De l’homme réparé à l’homme augmenté
De la réparation à l’augmentation, il n’y a qu’un pas. Les dispositifs permettant de recouvrer nos sens, ne pourraient-ils pas aussi nous servir à les décupler ? Par exemple, en nous permettant de voir plus loin ? Ce sera l’objet de l’épisode suivant de ce dossier, consacré à l’homme augmenté.
Par Fabien Soyez
Cet article se trouve dans le dossier :
Transhumanisme : de l'homme réparé à l'homme augmenté
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- Homme augmenté : où en sont les recherches ?
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- Transhumanisme : les théories sont-elles crédibles d'un point de vue scientifique ?
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