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Numérique : vers une forte hausse de la consommation de métaux ?

Posté le 3 décembre 2024
par Stéphane SIGNORET
dans Matériaux

Les technologies du numérique sont dépendantes de nombreux métaux, dont certains précieux et d’autres critiques. Une récente étude de l’Ademe pointe les fragilités actuelles du secteur en la matière, et le risque d’une forte hausse de la consommation de ces métaux.

La sobriété numérique a été mise en avant depuis quelques années. À défaut d’avoir conquis le cœur du grand public, elle occupe l’esprit des experts. Une de leurs priorités est de déterminer les conséquences des usages digitaux de plus en plus croissants, afin de trouver des pistes de modération de leur développement. Une récente étude de l’Ademe propose justement une nouvelle analyse des impacts du secteur numérique en termes de consommation de métaux. Elle se concentre sur 20 équipements, des terminaux fixes et mobiles (ordinateurs, tablettes, smartphones, écrans, consoles de jeux, objets connectés, etc.) aux serveurs et moyens de stockage des data centers, en passant par les équipements de réseaux.

Une cartographie de 25 métaux utilisés dans ces équipements a été faite, chacun ayant une ou des caractéristiques qui le rendent quasiment incontournable pour certaines applications : il en va ainsi du dysprosium, du néodyme et du praséodyme pour la fabrication d’aimants ; du tantale pour la fabrication de condensateurs ; de l’yttrium, de l’indium et du germanium pour les écrans et l’optoélectronique ; de l’étain et de l’argent comme matériaux de soudure.

Une chaîne de valeur très dépendante de l’Asie

Tous ces métaux ne sont pas utilisés dans les mêmes volumes annuellement, certains comme l’aluminium et le cuivre atteignant presque la centaine de kilotonnes à l’échelle mondiale, tandis que la majorité est sous la barre des 1 000 tonnes par an. D’autres sont sous les 20 tonnes par an (palladium, antimoine, yttrium, platine, magnésium, dysprosium). Mais dans cette catégorie des faibles tonnages, on trouve des métaux qui représentent une forte part (plus de 75 %) de la demande mondiale : le germanium et le gallium pour leurs propriétés semi-conductrices, et l’indium pour les écrans. Certes consommés en faible quantité, ces trois métaux sont essentiels pour le secteur numérique et toute perturbation de leur production est un risque en termes d’approvisionnement.

Il est à noter que, pour tous les autres métaux étudiés, la part du numérique par rapport à la demande mondiale est de moins de 40 %. Pour huit d’entre eux, elle est même sous les 10 %, soit parce qu’ils sont importants pour d’autres industries, soit parce que leur prix freine leur usage (cas des métaux précieux).

Bien qu’il y ait un manque d’informations, l’étude analyse ensuite la chaîne de valeur de ces métaux, avec deux constats majeurs. Le premier est que sur cette chaîne, de l’extraction des matières premières à la fin de vie des équipements numériques, les impacts sociaux et environnementaux sont nombreux. L’extraction en particulier cumule les risques sociaux (non-respect des règles de santé-sécurité dans les mines, relations avec les communautés locales, corruption) et, en y ajoutant le transport et le raffinage des ressources, ainsi que la phase de fabrication des équipements numériques, il y a de forts impacts sur la consommation d’énergie et d’eau, sur la pollution des ressources aquatiques et sur la production de déchets.

Le second constat est que la chaîne de valeur est fortement concentrée dans certains pays, notamment en Asie et plus particulièrement en Chine. Cette dernière est le premier producteur de 15 des métaux étudiés et a le quasi-monopole sur le dysprosium, le gallium, le germanium, le néodyme, le praséodyme, le tungstène et l’yttrium. De son côté, l’Afrique du Sud domine l’extraction de platine et de ruthénium, la République démocratique du Congo celle du cobalt et de tantale, l’Australie celle du lithium, l’Indonésie celle du nickel, la Russie celle du palladium, le Chili celle de cuivre et le Mexique celle d’argent.

Cette hyper centralisation dans certains pays hors d’Europe de l’extraction minière – et d’ailleurs aussi de l’affinage des métaux et de la production des équipements numériques – pose des enjeux d’approvisionnement. Plus globalement, la criticité des 25 métaux est mise en avant par l’étude, en particulier pour l’étain, l’argent, le ruthénium, le nickel et l’antimoine. Mais elle relève que les acteurs économiques du numérique en France y sont pour l’instant peu sensibles.

Sans sobriété, la quantité de métaux va exploser

À l’horizon 2050, les quatre scénarios Transition(s) de l’Ademe dessinent différentes possibilités d’évolution du secteur numérique selon que les curseurs de conception écoresponsable, de mutualisation des équipements, de priorisation des services utiles, de normes de sobriété, etc. seront poussés plus ou moins loin. Mais dans un scénario tendanciel (hors intelligence artificielle), l’étude montre que le taux de croissance des équipements entre 2020 et 2050 augmente fortement : entre +13 % et +50 % pour les téléviseurs, smartphones, ordinateurs portables, tablettes, consoles de jeux, etc. ; entre +100 % et +200 % pour le stockage, les serveurs et les stations de base ; une moyenne de +1 360 % pour les appareils connectés (IoT) et de +1 890 % pour les mondes virtuels.

Même si une évaluation à 2050 dans le domaine du digital doit être prise avec des pincettes, la tendance montre que la hausse du nombre d’équipements va conduire à une hausse de la consommation des métaux, malgré des progrès d’efficacité ou de substitution. Les taux de croissance restent modérés pour certains métaux (en dessous de +50 % pour le magnésium, le praséodyme, le cobalt, le palladium, l’étain, le néodyme) et très élevés pour d’autres : entre +200 % et +400 % pour l’antimoine, l’or, le germanium et le manganèse ; +682 % pour l’yttrium et près de +3 000 % pour le gallium ! Tous les autres sont compris dans la fourchette allant de +50 % à +200 %.

Ainsi, l’étude conclut que les choix sociétaux et technologiques actuels vont déterminer les consommations futures de métaux pour le secteur numérique. En plus de rendre les chaînes de valeur plus transparentes et de mettre en place une stratégie de souveraineté sur les métaux, elle recommande ainsi « d’amorcer une réflexion sur la mise en place de bonnes pratiques de sobriété ». Une formule bien prudente alors, qu’à l’évidence des enjeux présentés, il devient urgent d’envisager dès maintenant le renoncement à certaines solutions technologiques comme la 5G ou le déploiement massif de l’internet des objets.


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