L’audition de l’Opecst fait écho à une précédente réunion de juin 2015, suite à la découverte d’une concentration anormalement élevée de carbone au centre du couvercle et de la cuve du futur EPR en construction à Flamanville. Des éléments fondamentaux d’un réacteur nucléaire qui ne peuvent souffrir d’aucune malfaçon. Le fabricant de ces composants, Areva, est alors entré dans une démarche de justification et de tests de résistance qu’a accepté l’ASN. Un dossier devant permettre l’utilisation de ces pièces majeures sera déposé auprès du gendarme du nucléaire fin 2016 qui devra arrêter une décision. Mais depuis, l’affaire a pris une autre tournure avec la multiplication des découvertes. « On est dans une toute autre situation que lors de ma dernière audition en juin 2015. On part de la cuve de l’EPR qui n’a pas de conséquence immédiate sur la sureté (car il est actuellement en construction) à une anomalie concernant des réacteurs en fonctionnement aujourd’hui », pose d’entrée Pierre-Franck Chevet, directeur de l’ASN. Et pour cause, les investigations de l’Autorité de sûreté ont conclu à une anomalie générique concernant de nombreux réacteurs français et plus seulement l’EPR de Flamanville. Pire, les recherches de l’ASN ont mis à jour de nombreuses irrégularités voire falsifications sur les rapports transmis par Areva.
Anomalie générique
L’anomalie constatée par le gendarme du nucléaire consiste en une concentration en carbone trop élevée sur des cuves, plaques tubulaires et fonds primaires de générateurs de vapeur, tous des éléments critique en terme de sûreté. « Ces concentrations de carbone altèrent les propriétés mécaniques et donc diminue la tenacité du matériau », explique Thierry Charles directeur général adjoint de l’IRSN. Or, la standardisation du parc français, qui a permis de notables économies d’échelle, implique que cette anomalie concerne une dizaine de réacteurs en fonctionnement. EDF mène alors des contrôles qui semblent démontrer que ces anomalies ne remettent pas en cause la sûreté de ces équipements. Sauf sur les fonds de cuve de générateurs de vapeur. L’ASN a en ligne de mire 12 réacteurs en particulier, équipés de générateurs de vapeur fabriqués par la Japan Casting & Forging Corporation (JCFC), un fournisseur d’Areva. Sept d’entre eux sont en cours de contrôle et cinq autres ont reçu l’ordre de l’ASN d’arrêter leur activité sous trois mois pour inspection. L’objectif de ces contrôles est de confirmer les hypothèses du dossier déposé par EDF. Le gendarme français du nucléaire l’étudiera et conclura, ou non, à la sûreté des réacteurs au cas par cas. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car en étudiant les archives de l’usine Areva de Creusot Forge, l’ASN a mis au jour de nombreuses « irrégularités » qui s’apparentent davantage à des falsifications. L’affaire prend alors une autre tournure.
Falsifications
C’est la partie explosive de cette audition fort heureusement ouverte à la presse. Lors de ses investigations l’ASN a découvert des « irrégularités sur des dossiers barrés » de l’usine de Creusot Forge. En étudiant de près ces documents, les inspecteurs ont pu constater des écarts importants sur des équipements de 24 réacteurs. « Il y a aussi des documents qui s’apparentent à des falsifications », indique Pierre-Franck Chevet. Preuves à l’appui, l’ASN démontre que les chiffres qui lui ont été transmis ne sont pas ceux observés lors des contrôles réalisés par Areva. Pire, il ne s’agit pas seulement d’équipements en cours de fabrication, mais en opération. C’est le cas du générateur de vapeur de Fessenheim 2, dont la virole basse fabriquée en 2008 par l’usine du Creusot n’a pas été rebutée comme il fallait, « avec des conséquences potentiellement majeures sur la sûreté », affirme l’ASN qui a suspendu le certificat d’épreuve de ce générateur de vapeur.
Ces falsifications déjà nombreuses (87 cas déclarés) ne sont que la surface immergée de l’iceberg. « Nous découvrirons à n’en pas douter d’autres irrégularités. C’est une purge nécessaire qui n’est pas encore finie. Il y a encore 1 à 2 ans de travail pour vérifier pas à pas les 10 000 dossiers restants », prédit Pierre-Franck Chevet qui en a profité pour rappeler l’insuffisance des moyens humains qui lui sont octroyés, malgré la création cette année de 30 postes supplémentaires. L’une des principales questions à laquelle l’enquête de l’ASN devra répondre est de savoir si ces pratiques qui semblent avoir duré des années sont localisées uniquement au Creusot. Pour cela, le directeur de l’ASN prévient qu’il s’intéressera dans les prochains mois à d’autres usines du groupe Areva, notamment Chalon/St Marcel.
EDF et Areva font front commun
Très exposés lors de cette audition, les représentants d’EDF et Areva ont fait front commun. Ces derniers ont tenu des propos qui se veulent rassurants, et ce, malgré l’ampleur du scandale. Dominique Minière, directeur d’EDF en charge du parc nucléaire, a souligné la démarche vertueuse qu’avait entraîné la découverte de ces malfaçons, rappelant qu’il ne s’agit pas du premier problème générique auquel EDF doit faire face. « Dans le nucléaire on établit des marges importantes. Dans cette situation, on consomme de la marge, mais la sûreté reste assurée », indique Dominique Minière. Et de poursuivre : « Sur les 88 irrégularités découvertes sur le parc en exploitation, une seule pourrait remettre en cause la sûreté : la virole de Fesseheim 2. Nous avons anticipé l’arrêt de tranche pour vérifier cette pièce. Par ailleurs, deux autres pièces sacrificielles ont été construites pour confirmer nos hypothèses ». Bernard Fontana, directeur d’Areva, était lui en première ligne et s’il juge ces falsifications « inacceptables », la question des sanctions et des éventuelles conséquences pénales est en revanche largement ignorée. « Il nous faut en tirer les enseignements pour sortir plus fort de cette épreuve », se contente Bernard Fontana.
Monique Sené, vice-présidente de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli), estime désormais que la confiance est rompu malgré la loi de 2006 sur l’industrie nucléaire qui devait instaurer plus de transparence à cette industrie. Interpellé par la solidarité affichée entre l’exploitant et son fournisseur, Yves Marignac, de l’association WISE, interroge EDF sur le fait qu’elle ne se retourne pas contre Areva, ni que l’agence de répression des fraudes ne soit associée aux derniers déroulements de l’affaire. EDF entretient certes une relation contractuelle avec Areva, mais il ne faut pas oublier que l’électricien, sous ordre du gouvernement, s’apprête à racheter la partie réacteurs de son fournisseur, qui inclut l’activité de forgerie. L’électricien n’a donc aucun intérêt à la mettre en difficultés, notamment judiciaires, et au contraire l’électricien appuie comme très souvent les efforts de son fournisseur pour rendre une copie satisfaisante à l’ASN.
Impact financier et international
Malgré l’ampleur de ces vérifications, EDF se dit « confiant » de voir ses réacteurs redémarrer au plus vite. Une nécessité économique pour l’électricien français qui estime sa perte à environ 1 million d’euros par réacteur et par jour. Au petit jeu des calculs, cela représente une perte de plus de 70 millions d’euros par semaine pour EDF, pour la dizaine de réacteurs concernés. Et ce, à la veille de l’hiver qui correspond à la période de l’année où la consommation française est la plus importante. Si ces réacteurs ne sont pas autorisés à reprendre le service, EDF devra importer l’électricité manquante à un coût élevé. Une perspective qui ne doit guère enchanter l’électricien déjà dans une situation financière très compliquée, qui a conduit à une augmentation de capital exceptionnelle de 4 milliards d’euros en juin dernier, dont les ¾ au frais du contribuable.
Si cette affaire secoue l’ensemble de la filière nucléaire française, ses implications devraient aller bien au-delà de nos frontières. Les deux réacteurs EPR en fin de construction à Taïshan (Chine) pourraient également avoir été l’objet de malfaçons comme tous les autres équipements fabriqués et exportés par l’usine du Creusot, voire d’autres usines d’Areva ou de ses sous-traitants. « C’est un sujet qui peut concerner d’autres pays », confirme Pierre-Franck Chevet. Affaire à suivre.
Romain Chicheportiche
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