Les innovations technologiques permettent aujourd’hui une compréhension et une analyse de la performance qui révolutionnent les méthodes d'entraînement. C’est particulièrement vrai dans les sports collectifs, pour lesquels on passe aujourd’hui d’une analyse individuelle de la performance à une analyse collective, beaucoup plus pertinente pour les spécialistes. Rencontre avec Arnaud Santin, cofondateur de SportsDynamics.
La société SportsDynamics développe une technologie, brevetée, permettant de mesurer et relever des indicateurs dynamiques de la performance individuelle et collective lors de rencontres de sport professionnel. Cette technologie est actuellement destinée à être utilisée par les clubs professionnels et les médias, dans le domaine du football principalement, mais aussi pour d’autres sports.
Arnaud Santin, cofondateur de SportsDynamics, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur ce qui différencie la technologie développée par la jeune start-up créée en 2019 des autres technologies existant actuellement pour améliorer la compréhension et l’analyse stratégique du jeu, alors que le championnat d’Europe de football se tient actuellement.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle est l’histoire derrière la genèse de SportsDynamics ?
Arnaud Santin : Nous avons créé Sport Dynamics à la fin de l’année 2019. La société a été cofondée par Vincent Bacot, docteur en physique, et moi-même. Elle est issue de la recherche publique, menée notamment au CNRS et à l’école Polytechnique, et qui a abouti à breveter la technologie et la méthodologie développées. Nous proposons, aux clubs et aux médias, des outils d’analyse scientifique du jeu qui permettent une analyse beaucoup plus fine de la performance des joueurs, collectivement et individuellement.
Avec quels objectifs ?
L’objectif principal de SportsDynamics est de révolutionner l’analyse tactique dans le domaine du football et d’autres sports, à partir d’éléments dynamiques et de mouvements issus des sciences physiques. Se faisant, nous nous mettons en rupture des analyses statistiques usuelles qui sont, selon nous, trop limitantes dans la compréhension et l’analyse du jeu, que ce soit du côté des clubs ou pour les médias.
In fine, nous permettons aujourd’hui aux acteurs du sport, du côté sportif et du côté médiatique, de développer une analyse se basant sur des données scientifiques.
Quelles sont les limites dans l’analyse du jeu actuellement ?
La limite de départ est la différenciation entre une analyse statique, peu pertinente, et une analyse dynamique du jeu, ce qui est beaucoup plus intéressant. L’analyse dynamique, qui a toujours existé dans le sport, consiste à prendre en compte de manière globale les mouvements coordonnés des joueurs, la trajectoire de la balle : cette analyse est opérée de manière subjective par les entraîneurs et les journalistes sportifs, qui appliquent leur compréhension fine du football à l’analyse d’un match.
Le déferlement des datas aujourd’hui disponibles dans le football, par exemple l’historique des confrontations entre les deux équipes, et les statistiques des joueurs, permet d’avoir des informations en amont du match, et pendant le match. Mais ces informations ne sont pas coordonnées entre elles.
Pour prendre un exemple, aujourd’hui il est très facile de savoir combien de passes vers l’avant a effectué un joueur pendant un match. Au-delà, il est impossible de croiser ces données statiques, pour les rendre dynamiques et plus pertinentes pour l’analyse du jeu.
Combien de joueurs sont disponibles devant le porteur du ballon lorsqu’il fait une passe vers l’avant ? Est-ce que des défenseurs bloquent certaines lignes de passes ? La passe réalisée permet-elle de mettre le joueur à la réception du ballon en bonne condition ?… Ces informations dynamiques ne sont pas prises en compte aujourd’hui pour analyser les actions et les choix d’un joueur pendant le match. C’est ce que nous voulons apporter avec la technologie SportsDynamics : fournir aux clubs, aux entraîneurs, et aux médias des outils d’analyse du jeu dynamiques et scientifiques.
Pouvez-vous nous donner un autre exemple ?
Prenons un exemple qui fait partie des statistiques que l’on peut avoir aujourd’hui en direct pendant un match : les passes. Les datas collectées aujourd’hui durant un match vont permettre de dire qu’un joueur, milieu de terrain par exemple, a touché un certain nombre de fois le ballon. On va également pouvoir dire s’il a fait ses passes vers l’avant, vers l’arrière, combien de fois il a perdu le ballon… Toutes ces statistiques existent, mais les spécialistes du football savent qu’elles n’ont qu’un intérêt limité. En effet, le nombre de passes réalisées pendant un match par un joueur n’a qu’une pertinence limitée dans l’analyse du jeu si on ne prend pas en compte d’autres indicateurs. Dans cet exemple, nous analysons, sur chaque passe d’un joueur ciblé, si une autre passe susceptible de casser la ligne des milieux ou de défense adverse était possible. Ainsi, on obtient un indicateur beaucoup plus pertinent sur l’efficacité du joueur en question dans un système de jeu donné. Aujourd’hui dans le football, il y a beaucoup de joueurs moyens qui vont toucher beaucoup de ballons pendant le match, mais dont l’utilisation de la balle n’aura pas d’impact réel sur le jeu de leur équipe. Au contraire, d’autres joueurs vont toucher moins de ballons, mais en trouvant des passes qui cassent les lignes, ce qui est fondamental aujourd’hui pour être compétitif.
Pour résumer, il ne s’agit pas pour nous d’aller plus loin en termes de statistiques mais plutôt de changer le prisme en termes d’analyse, en proposant des indicateurs plus compliqués à mesurer, mais beaucoup plus intéressants en termes d’analyse et de pertinence pour les clubs et les médias.
Comment fonctionne votre solution au niveau technologique ?
Nous nous appuyons sur des modèles physiques et des algorithmes associés qui nous permettent de livrer nos indicateurs. Nos données d’entrée sont les positions des joueurs ou coordonnées de ces derniers, ainsi que celles du ballon, durant le match. Nous récoltons les datas de deux manières : d’abord par l’intermédiaire des ligues nationales, qui font appel à des prestataires pour installer des caméras vidéo au sein des stades et récolter les données via du videotracking. Elles les fournissent ensuite aux prestataires des clubs dont nous faisons partie, sous forme de coordonnées x/y des joueurs ou x/y/z du ballon pendant toute la durée des matchs. La seconde méthode, qui se développe de plus en plus, consiste à récolter les données via le flux vidéo également mais celui des des diffuseurs des matchs des différentes ligues.
Nous proposons à nos clients une personnalisation de ces indicateurs, ce qui selon moi est très important pour les utilisateurs. Cela permet à un entraîneur et son staff de recueillir des indicateurs relatifs à une certaine philosophie de jeu, à une stratégie précise : ainsi, la pertinence de l’analyse est décuplée. Aussi, l’analyse de la performance des joueurs prend une autre dimension, puisqu’elle peut être décortiquée scientifiquement en fonction de la stratégie mise en place par l’entraîneur.
Pour les médias, cette personnalisation permet au journaliste d’orienter son analyse du jeu selon l’angle qu’il a choisi.
Quels vont être les indicateurs qui vont guider la performance dans le football actuel ?
Ce que nous allons regarder chez un joueur, c’est sa position sur le terrain, son jeu avec le ballon, son jeu sans ballon, en fonction de la position de ses partenaires et de ses adversaires… Le football étant un sport collectif, nous allons pouvoir évaluer la pertinence des décisions des joueurs en fonction des opportunités qui se présentent à lui sur chaque action. Scientifiquement parlant, la solution collective étant la plus pertinente en football – à part pour quelques joueurs de classe mondiale, sur des schémas d’action très spécifiques – nous allons être en mesure d’établir si un joueur a pris une décision optimisée, scientifiquement parlant, en traitant simultanément les données individuelles et collectives.
Après, il faut bien comprendre que nous ne sommes pas là pour nous mettre à la place des techniciens et dire si un joueur a choisi une bonne ou une mauvaise solution. Ce que nous allons pouvoir fournir aux entraîneurs, ce sont les différentes possibilités qui s’offraient à un joueur au moment de sa prise de décision. Le fait de statuer si le joueur a pris ou non la bonne décision relève de la responsabilité du staff par rapport à la stratégie mise en place.
Peut-on imaginer une analyse par les médias en direct à la télévision grâce à votre technologie ?
Notre technologie a pour vocation à être utilisée en direct pendant les matchs mais le niveau des datas brutes que nous devons traiter est pour le moment trop limité en live. Cependant, nous avons d’ores et déjà le plaisir de collaborer pendant l’Euro de football avec une chaîne de télévision française – la chaine L’Équipe – qui va se servir de notre technologie en near-live pour analyser les buts marqués lors des différents matchs de la compétition.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
Image d’illustration : Illustration d’une situation de match à destination des médias. ©SportsDynamics
Réagissez à cet article
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.
Inscrivez-vous !
Vous n'avez pas encore de compte ?
CRÉER UN COMPTE