Sequans Communications fait partie des entreprises lauréates de l’appel à projets lancé par le gouvernement sur le thème de la relocalisation de productions industrielles clés pour le pays. Explications avec Guillaume Vivier, CTO de Sequans.
Sequans Communications est une startup créée en 2003. L’entreprise est aujourd’hui spécialisée dans la fourniture de semi-conducteurs pour les terminaux 4G et 5G.
Le projet CRIIoT (Critical IoT), porté par l’entreprise, a été retenu à l’occasion de l’appel à projets lancé par le gouvernement dans le cadre du volet « relocalisation » du plan de relance impulsé par le gouvernement depuis le mois de septembre.
Il ambitionne de développer une solution permettant aux industriels, et plus particulièrement aux secteurs dits « verticaux », d’évaluer puis de déployer rapidement des solutions 4G/5G pour connecter leurs objets et optimiser et sécuriser leur usage. Le projet permettra par exemple d’expérimenter la récupération des données de vol d’un moteur d’avion ou de mettre en place des objets connectés à communications critiques dans le secteur ferroviaire.
Guillaume Vivier, CTO de Sequans Communications, est revenu pour Techniques de l’Ingénieur sur les objectifs du projet CRIIoT, et plus largement sur les enjeux liés au développement de la 5G, notamment au niveau industriel, sur lequel Sequans a décidé de concentrer ses efforts.
Techniques de l’Ingénieur : Pourquoi l’entreprise Sequans a-t-elle fait le choix de s’éloigner de l’univers des smartphones pour privilégier l’IoT il y a une dizaine d’années ?
Guillaume Vivier : En 2011, Sequans a décidé d’investir dans la technologie d’avenir, à l’époque 4G, et ne pas se disperser à rattraper le passé en développant les technologies 2G/3G indispensables aux smartphones. De plus, la concurrence dans ce marché des smartphones est particulièrement forte ; nous avons préféré innover et optimiser notre technologie (en coût et performance) pour les applications IoT. Le pari était judicieux même si ceci a été problématique au début car les réseaux n’avaient pas encore une couverture 4G globale et il a permis de placer Sequans comme le leader de la technologie cellulaire 4G et 5G pour ces applications IoT.
Nous nous sommes donc spécialisés sur tous les types d’objets connectés, sauf les smartphones : routeurs portables, CPE… avec des technologies 4G/5G opérant à grands débits (>150Mb/s) ou à l’inverse à bien plus faibles débits, pour des capteurs, traceurs etc… Mais opérant souvent avec des batteries, et nécessitant une très faible consommation énergétique. Ces technologies utilisent les catégories cellulaires de « bas profil » LTE-M et NB-IoT (débit 10-100kb/s), récemment introduites par le standard cellulaire.
Aujourd’hui, l’avènement à venir de la 5G nous a amené à développer des composants pour ces deux marchés : nous avons déjà une offre 5G couvrant les bas débits et d’ici quelques années notre offre 5G « haut débit » sera elle aussi disponible.
C’est autour de ces composants pour la 5G que le projet CRIIoT s’est mis en place. Pouvez-vous nous en expliquer les objectifs ?
L’objectif du projet pour lequel nous avons été retenus est de favoriser le développement de ce composant optimisé pour la communication avec les objets connectés en 5G.
L’enjeu de souveraineté autour de la 5G a été mis en avant ces dernières années quand les Etats-Unis ont commencé à développer une stratégie protectionniste, en bannissant des compagnies comme Huawei par exemple. Cela a mis en exergue le fait que les Américains n’avaient plus la maîtrise de bout en bout de leurs réseaux via leurs acteurs locaux… Des entreprises comme Motorola, Lucent n’étaient plus en mesure d’assurer ce rôle. Cela a montré l’interdépendance qui existait sur ce secteur d’activité. Depuis, la crise du Covid-19 est venue nous rappeler que des produits de base, comme les masques ou les médicaments, sont tous fabriqués en Asie. Cela a battu en brèche l’idée que nous nous faisions de notre souveraineté.
Cette problématique est alors devenue, pour l’Etat, une préoccupation très importante, dans certains secteurs clés comme la sécurité alimentaire, la sécurité médicale et la sécurité des réseaux, entre autres.
Quelles sont les clés pour retrouver une souveraineté en Europe sur tout ce qui touche aux réseaux et à la 5G en particulier ?
En Europe, nous avons encore deux compagnies majeures dans le domaine des infrastructures, Ericsson et Nokia. Sur la 5G, Huawei, qui a investi de façon massive, est reconnu par beaucoup comme un des premiers acteurs à proposer des solutions abouties.
En France et en Europe, nous avons aujourd’hui les briques technologiques qui, mises bout à bout, pourraient permettre d’avoir un réseau 5G intégralement « made in Europe », et pourquoi pas « made in France ».
Le projet « CRIIoT » que nous avons mis en place consiste à réunir ces acteurs, pour mettre bout à bout ces briques technologiques. Avec l’ambition d’être également plus agiles et flexibles.
Quelles sont les entreprises réunies autour du projet CRIIoT ?
Sequans est à la tête du consortium mis en place autour du projet CRIIoT. Trois autres entreprises françaises sont impliquées. La première est Amarisoft, une petite entreprise d’une quinzaine de personnes en Île-de-France qui propose une solution logicielle permettant de faire un réseau 4G/5G très optimisé. Ensuite, il y a AW2S, propriété de SERMA, une entreprise experte dans l’ingénierie et la production de systèmes radiofréquence, l’élaboration de solutions de traitement des signaux numériques nécessaires aux systèmes de télécommunication, ainsi que le développement de solutions complètes de transmission hauts débits utilisant les technologies 4G/5G.
La troisième est un opérateur télécom également fournisseur d’accès internet au niveau territorial, agile et flexible : l’entreprise Alsatis.
Ces partenaires de fourniture technologique, mis bout à bout, permettent d’imaginer une solution globale. Sequans fournit les composants, AW2S et Amarisoft les solutions réseaux, et Alsatis opère les réseaux.
Nous avons deux utilisateurs verticaux, un dans le ferroviaire, un dans l’aéronautique, plus le CEA qui apporte également des briques technologiques. Au final, nous avons là toute la chaîne de valeur pour réaliser un réseau complet.
On pourrait aussi penser à des acteurs du cloud : ces derniers existent en France, comme OVH par exemple, et sont compétitifs.
Nous n’avons donc pas rassemblé l’intégralité des acteurs du secteur, le but est de montrer que la possibilité de réaliser un réseau 4G/5G sur des briques locales et en particulier dans le domaine des réseaux privés ou industriels, en mettant l’accent sur la sécurité des données et des informations, est réelle. Avec comme externalité pour Sequans une réorientation vers la problématique des objets connectés critiques.
Cette réorientation est-elle également liée aux controverses qui entourent la mise en place de la 5G, particulièrement en France ?
Cela fait effectivement partie de notre réflexion. L’actualité récente a vu se développer une défiance du grand public envers la 5G, illustrée par la dégradation de matériels mis en place pour implanter la 5G par exemple. C’est aussi pour cela que nous avons choisi, à travers ce projet, d’orienter notre stratégie vers la 5G industrielle.
Qui plus est, le potentiel de la 5G s’exprime beaucoup plus à travers son utilisation industrielle. Pour les utilisateurs de smartphones, la 5G n’est rien de plus qu’une 4G améliorée.
Nous sommes convaincus que les apports technologiques de la 5G, sur la latence, les débits, la sécurité, bénéficieront essentiellement aux secteurs “verticaux”, avec une segmentation du réseau focalisée sur le type d’industrie ou le domaine d’activité. C’est pour cela que nous nous tournons aussi vers le développement de réseaux privés, qui donneront par exemple la possibilité à un industriel, sur un site de fabrication, de déployer son propre réseau, avec une fréquence dédiée allouée par le régulateur. Ce type de régulation existe aujourd’hui en Allemagne, où des entreprises comme Audi ou Bosch ont mis en place des réseaux privés sur leurs sites de production. Les Etats-Unis se sont également emparés de ce sujet, avec le développement du Citizens Broadband Radio Service (CBRS).
En France, le sujet commence à émerger et l’ARCEP songe de plus en plus à la possibilité d’allouer des bandes de fréquences pour les utilisateurs verticaux.
Revenons à la problématique de la relocalisation de la production, condition nécessaire pour retrouver une souveraineté industrielle. La France et l’Europe peuvent-elles combler leur retard sur l’Asie, pour ce qui est de la fabrication des semi-conducteurs ?
Aujourd’hui en effet, la fabrication des semi-conducteurs se concentre essentiellement en Asie, et plus particulièrement à Taïwan, avec des tensions ces derniers mois en termes d’approvisionnement, liées entre autres à des incendies ayant détruits quelques usines clés, et bien sûr à la crise sanitaire. Cela met à nu une dépendance importante par rapport à quelques acteurs clés du secteur, comme le fabricant taïwanais TSMC. Rapatrier ces productions en Europe nécessiterait des investissements extrêmement lourds.
Les deux principaux fondeurs européens, GlobalFoundries et STMicroelectronics, ont fait des choix technologiques différents des gros acteurs asiatiques comme TSMC ou Samsung. Aujourd’hui par exemple, en termes de finesse de gravure, TSMC travaille en production sur du 5 nanomètres, en expérimentant du 4 et même du 3 nanomètres. En Europe, GlobalFoundries, en production, travaille sur du 12 nanomètres. L’écart est donc important en termes de performance.
Dans ce contexte, il faut se souvenir que Sequans est une entreprise fabless. Nous nous occupons de la conception des semi-conducteurs, mais pas de leur production. Une partie de notre production est faite à Taïwan, par TSMC, et une autre partie en Europe. Cela dit, il est aujourd’hui impossible de se passer de l’Asie pour la fabrication de semi-conducteurs. Le design du circuit, par contre, peut tout à fait être fait en Europe. Sequans en est une parfaite illustration.
Il faut avoir à l’esprit que le monde du semi-conducteur pour le cellulaire est un secteur très particulier, dans lequel les acteurs ne sont plus très nombreux. Il y a Qualcomm, Samsung, et bientôt MediaTek, qui sont en passe de trouver des solutions technologiques compétitives. Huawei, depuis qu’il a été banni des usines de production taïwanaises à cause des règlements américains, est dans une situation où l’entreprise possède la technologie mais est dans l’incapacité de produire.
Un fabricant comme Intel a décidé d’abandonner la 5G il y a quelques années, car il n’avait pas l’ambition d’investir massivement pour être compétitif.
Finalement, en Europe, si l’on s’intéresse à la fabrication des composants numériques et RF du côté du terminal, Sequans reste le seul acteur à ce jour. Il y a également STMicroelectronics, mais cette entreprise est plus spécialisée dans la fabrication de composants analogiques et sur tout ce qui touche aux équipements de smartphones, comme les accéléromètres par exemple.
Au-delà de Sequans, les investissements de l’Etat autour des projets de relocalisation de certaines productions clés vous paraissent-ils à la hauteur des enjeux ?
Nous avons reçu un financement significatif pour développer le projet CRIIoT. On sent derrière tout cela une volonté de faire bouger les choses. Il y a une cohérence, et même un véritable écosystème qui s’est mis en place autour de la 5G. Ainsi, pour ce qui est du secteur des télécoms, la stratégie me paraît aller dans le bon sens.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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