Les robots sont capables d’apprendre des tâches et des savoir-faire limités. Pour passer au stade ultérieur, les chercheurs s’inspirent des théories en psychologie concernant le développement et l'exploration spontanée chez les enfants. Le point avec Pierre-Yves Oudeyer, chercheur à l’Inria Bordeaux.
Techniques de l’ingénieur : Les robots sont-ils capables d’apprendre ?Pierre-Yves Oudeyer : Ils sont capables d’apprendre depuis longtemps, mais pour des tâches et des savoir-faire limités. Apprendre, cela signifie changer son comportement dans le futur en fonction de mesures faites sur l’environnement autour de soi. Aujourd’hui, il faut qu’un ingénieur spécifie aux robots les tâches qu’il aura à faire assez précisément et à l’avance. Quand le robot a appris un savoir-faire, comme marcher ou attraper un objet, il s’arrête là. Avec mon équipe, nous travaillons sur comment apprendre une variété de tâches potentiellement recombinables et non précisées à l’avance. Pour cela, on peut s’appuyer sur la curiosité ou sur l’interaction sociale avec un humain non-ingénieur.
Comment peut-on rendre les robots curieux ?Nous nous inspirons des théories en psychologie concernant le développement et l’exploration spontanée chez les enfants. L’idée générale consiste à construire des machines capables de s’autoévaluer lorsqu’elles font des prédictions sur les conséquences de leurs actions. On peut ainsi mesurer la nouveauté ou la surprise d’un événement, et faire en sorte que le robot s’intéresse aux éléments nouveaux. Pour l’instant, nous n’arrivons pas à passer à un certain niveau de complexité.
Est-ce que cela a un sens de dire qu’un robot a le même âge mental qu’un enfant de 6 mois, 1 an ou 18 mois ?Cela n’a pas de sens. Sur certaines capacités précises, nous pouvons dire que le robot maîtrise une action qu’un enfant sait faire à tel ou tel âge. Nous pouvons envisager qu’un jour un robot puisse disposer des mêmes capacités qu’un enfant à un âge donné, mais nous sommes à des années lumières de cela !
Quels sont aujourd’hui les grands sujets de recherche ?Un thème important porte sur la capacité d’une machine à comprendre un contexte physique et social dans lequel elle se trouve. Par exemple, est-elle capable de comprendre les activités des humains ? Sont-ils en train de travailler devant un ordinateur ? De regarder la télévision sur un canapé ? Cela pose un problème de perception et aussi de compréhension des intentions d’une personne. C’est nécessaire pour que les robots nous rendent véritablement service. Si je demande à mon robot d’aller chercher mes clés, il faut qu’il comprenne en fonction du contexte s’il s’agit des clés de la maison, de la voiture ou d’une armoire par exemple. Un autre défi concerne les interfaces. Avant même de se poser la question des intentions, il faut que le robot comprenne les mots et les gestes. Cela nous semble facile mais c’est très difficile pour un robot. Il faut aussi qu’il soit capable de sentir dans quel état émotionnel nous sommes. Il serait intéressant que les machines s’adaptent à l’humain, et pas l’inverse.
Existe-t-il des freins psychologiques et sociétaux forts ?Il existe en effet des défis psychologiques et sociétaux très importants. En occident, une grande partie de la population voit d’un œil dubitatif l’arrivée des robots, avec parfois beaucoup d’hostilité. Comment peut-on concevoir l’arrivée des robots de manière à ce qu’elle soit acceptée socialement ? Ce ne sont pas uniquement les ingénieurs ou chercheurs roboticiens qui doivent répondre à cette question. Il est important que la société civile, les sociologues ou encore les philosophes s’intéressent à la place des robots dans notre quotidien. Il n’existe aujourd’hui aucune réflexion sociétale en Europe. Les personnes qui devraient s’y intéresser ne s’y intéressent pas. Les médias abordent le sujet soit d’un point de vue purement technologique, soit avec catastrophisme.
Et vous, comment voyez-vous l’avenir ?On peut voir les robots de plusieurs manières. Certains les voient comme pouvant servir à nous remplacer dans les tâches ménagères pénibles. D’après moi, il est plus intéressant de leur donner le rôle de nous accompagner dans l’éducation, dans les loisirs ou l’aide à la personne. Par exemple, un robot peut aider une personne âgée qui a des troubles de la mémoire en lui rappelant des faits de la journée. Des chercheurs s’intéressent par exemple au rôle que les robots pourraient jouer avec les enfants autistes : alors qu’ils sont en retrait des interactions sociales avec les autres humains et se focalisent souvent sur des comportements stéréotypés avec des objets inanimés, les robots sont des objets intermédiaires, plus prédictibles que les humains mais en même temps capables de les amener vers des interactions sociales, ce qui peut mener au final à plus d’interactions avec d’autres humains. Il ne faut pas chercher à remplacer l’humain mais à créer un objet nouveau pour nous enrichir. Dans le film Wall-E, l’homme a construit des machines pour le remplacer dans toutes les tâches physiques : il finit dans un état mental et physique pas très enviable !
Les robots pourront-ils garder des enfants ?C’est délirant d’un point de vue technologique ! Encore une fois, je pense qu’il ne faut pas chercher à remplacer l’activité humaine mais à enrichir notre environnement au quotidien avec de nouveaux types d’interactions.
Quand les robots feront-ils vraiment partie de notre quotidien ?Ils sont déjà très présents. La machine à laver qui s’adapte en fonction de la saleté est un robot. De même, les avions fonctionnent presque uniquement en mode automatique. Dans les magasins, on trouve des rayons entiers de robots ludiques et personnels. Le développement va se faire de manière très progressive, ce qui nous donne le temps de structurer le débat d’un point de vue sociétal.ParcoursPierre-Yves Oudeyer est chercheur à l’Inria Bordeaux. Il est responsable de l’équipe Flowers (Interactions, exploration et apprentissage en robotique développementale et sociale). Diplômé de l’Ecole normale supérieure de Lyon et titulaire d’un doctorat en intelligence artificielle à Paris VI, il a travaillé comme chercheur au sein du Sony computer science laboratory à Paris pendant huit ans. Pour en savoir plus : http://www.pyoudeyer.com
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