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Interview

« Notre filière n’est pas gérée comme les autres filières de produits ciblées par la loi AGEC »

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

La loi AGEC pour l’automobile, qui n’est toujours pas appliquée, a créé une grande incertitude parmi les acteurs de la filière de traitement des VHU. Ces derniers cherchent à se positionner, alors que l’entrée en vigueur effective de la loi devrait avoir lieu dans le courant de l’année 2025.

Mobilians est une organisation professionnelle qui fédère les vingt-trois métiers de la distribution et des services de l’automobile et de la mobilité. Parmi ces métiers, ceux relatifs au traitement des véhicules hors d’usage (VHU) se préparent, depuis plusieurs années, à l’application de la loi AGEC, qui va les contraindre à contractualiser, soit avec des éco-organismes, soit avec des systèmes individuels mis en œuvre par les constructeurs, pour être en mesure de poursuivre leur activité.

Patrick Poincelet, Président de la branche des recycleurs au sein de Mobilians depuis 2001, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur la situation très particulière du secteur automobile et du traitement des VHU depuis des décennies, au regard de l’application de la loi AGEC.

Techniques de l’Ingénieur : Expliquez-nous pourquoi la loi AGEC appliquée à l’automobile a accouché d’une situation très tendue chez les opérateurs.

Patrick Poincelet : Il est important de préciser un certain nombre de choses concernant la loi AGEC. Tout d’abord, il faut savoir que cette loi intègre pas moins de 22 produits. Parmi tous ces produits, deux présentent des particularités, à savoir les DEEE et l’automobile. En premier lieu, la loi impose aux opérateurs, pour ces deux produits, de contractualiser avec les éco-organismes ou les systèmes individuels pour pouvoir continuer à exploiter.

Patrick Poincelet, Président de la branche des recycleurs au sein de Mobilians.

La seconde particularité en ce qui concerne l’automobile, et les DEEE dans une moindre mesure, est que les filières de recyclage existent depuis longtemps. Pour ce qui est du traitement des VHU, la filière a éclos à la fin de la seconde guerre mondiale, pour deux raisons : A l’époque, les produits automobiles étaient composés à 75% de matériaux métalliques, ferreux et non ferreux, qui avaient une grande valeur. Aussi, les pièces détachées ayant été réquisitionnées massivement pour l’effort de guerre, ces dernières manquaient, d’où la nécessité de développer le réemploi pour réparer les véhicules, qui tombaient fréquemment en panne.

Dans ce contexte, la loi AGEC pour l’automobile n’avait pas pour rôle de mettre en place une filière mais plutôt de l’encadrer.

Ensuite, notre profession est réglementée par une loi européenne de 2000, transposée dans le droit français en 2003 et applicable depuis 2006. La loi AGEC n’apportait dès le départ strictement rien de supplémentaire à cette loi en termes de valorisation. Il faut savoir que l’automobile est un des produits de consommation les plus valorisés, puisqu’on atteint aujourd’hui en moyenne un taux de valorisation de près de 97% sur la masse d’un véhicule.

La profession répondait déjà aux besoins en termes de traitement des VHU. Notre filière est une des seules pour laquelle il n’y a pas d’écotaxe sur les produits, elle est économiquement viable.

Autre particularité, en France tous les déchets sont traités par les collectivités, c’est-à-dire que le détenteur du produit n’a pas à gérer le déchet final. Dans le cas de l’automobile, l’utilisateur a la responsabilité de diriger son produit hors d’usage vers la bonne filière de traitement.

Enfin, à l’inverse de tous les déchets concernés par la loi AGEC pour lesquels il est impossible d’identifier qui en est le dernier détenteur lorsqu’ils sont abandonnés, un véhicule peut être identifié grâce à deux éléments : la voiture elle-même, et sa carte grise. Avec la mise en place des filières REP, les constructeurs sont responsables du devenir d’un VHU, mais pas pour autant propriétaires du produit en question. C’est une autre particularité de l’automobile par rapport aux autres produits concernés par la loi AGEC.

Toutes ces particularités compliquent fortement notre fonctionnement, puisque notre filière n’est pas gérée comme les autres filières de produits ciblées par la loi AGEC.

Dans ce cas, pourquoi avoir intégré les produits automobiles dans la loi AGEC ?

C’est la première question que nous nous sommes posés, dès que la loi AGEC est entrée en phase de projet. Un problème majeur concerne les filières illégales. Aujourd’hui, on estime que 30% des véhicules hors d’usage sont traités via ces filières. Ce taux est d’ailleurs à peu près le même dans la plupart des pays européens.

Je dirai qu’à travers la loi AGEC, l’Etat s’est déchargé de ses responsabilités en ce qui concerne la traque des filières illégales. Je m’explique : pour exercer notre activité, nous sommes soumis à deux réglementations obligatoires. La première est immobilière, nous sommes des entreprises ICPE. Aussi, nous devons disposer d’un agrément préfectoral pour le traitement des VHU, qui nous autorise à détruire administrativement une carte grise. Ainsi, nous nous battons depuis des années pour exiger de l’Etat qu’il se porte garant de l’application de la loi en veillant au respect de ces deux réglementations. Ce qui permettrait de lutter efficacement contre les filières illégales.

De son côté, l’Etat argue du fait que nous sommes en filière REP depuis 2015, ce qui nous oblige à mettre en place les moyens nécessaires pour que les VHU entrent tous dans les filières de recyclage légal. C’est ainsi que les opérateurs et les pouvoirs publics se renvoient la responsabilité, depuis de nombreuses années.

Aujourd’hui, le législateur a tranché, en incluant l’automobile dans la loi AGEC. Ainsi l’Etat transfère la responsabilité de la lutte contre les filières illégales vers les producteurs et les opérateurs existants.

La loi AGEC est-elle dès lors uniquement vécue comme une contrainte ?

Que ce soient les producteurs ou les opérateurs de la filière automobile, personne n’avait demandé à être intégré à la loi AGEC. Pour nous tous, il s’agit d’une contrainte et pas d’une avancée. En ce qui concerne les opérateurs, ces derniers étaient jusqu’alors indépendants vis-à-vis des producteurs, qui ne fournissent que 10% des VHU à la filière de traitement. Étant donné que la filière est viable économiquement, ses acteurs évoluaient jusque-là avec une certaine forme de liberté.

Dès lors que cette loi AGEC va entrer en application, que faire ?

Aujourd’hui, les producteurs sont dans une situation de responsabilité, alors que les opérateurs, propriétaires des produits, veulent être en mesure de poursuivre leurs activités. Avec l’obligation de contractualiser avec un éco-organisme ou un système individuel.

Il faut savoir que la France est plus favorable aux éco-organismes qu’aux systèmes individuels. Cependant ces derniers ont été actés au niveau européen, donc l’Etat français ne peut pas s’opposer à leur mise en place sur son sol. Ajouté à cela, les producteurs automobiles ont beaucoup de mal, pour ne pas dire plus, à coopérer entre eux : ils ne sont donc pas du tout moteurs dans la création d’éco-organismes, via lesquels ils se trouveraient potentiellement dans l’obligation de travailler avec d’autres acteurs du secteur.

Quelle est la stratégie des constructeurs ?

Trois leaders du secteur ont affirmé dès le départ leur volonté de créer des systèmes individuels : Renault Group, Stellantis, et Volkswagen. Cela représente 80% des voitures pour les particuliers en circulation.

Ainsi, à l’inverse des autres produits concernés par la loi AGEC, en France l’automobile va être gérée par des systèmes individuels.

A l’heure actuelle, seul l’éco-organisme RMV (Recycler mon Véhicule) est officiellement agréé. Renault Group, Stellantis et Volkswagen ont chacun déposé leur dossier, qui est toujours en cours d’instruction.

L’arrêté d’agrément n’est sorti qu’en novembre 2023, donc les opérateurs, qui avaient besoin des textes finaux pour déposer leurs dossiers, n’étaient pas en mesure d’être prêts pour le début de l’année 2024. C’était matériellement impossible.

Et du côté des opérateurs ?

Notre chance est que nous avons beaucoup travaillé avec la CSIAM (Chambre Syndicale Internationale de l’Automobile et du Motocycle), pour la création d’un éco-organisme. En tant qu’opérateurs, nous avons tout intérêt à créer des éco-organismes. En effet, lorsqu’un opérateur contractualise avec un éco-organisme, il a le droit de traiter la totalité des véhicules réceptionnés. Aussi, à partir du moment où l’opérateur se conforme au cahier des charges, l’éco-organisme ne peut pas ne pas contractualiser avec lui.

Étant donné que Mobilians fédère la moitié des opérateurs en activité, il était primordial pour nous de créer un éco-organisme, seul moyen de garder une certaine indépendance et être un contre-pouvoir aux systèmes individuels et subir les contraintes de leurs cahiers des charges, sans autres alternatives.

Aujourd’hui les futurs systèmes individuels craignent de ne plus trouver d’opérateurs pour travailler. Dans les métiers du recyclage, l’approvisionnement en matière est capital. Or aujourd’hui, 50% de l’approvisionnement de nos centres sont des produits qui nous viennent directement des particuliers. Les producteurs n’en sont donc pas propriétaires.

Existe-t-il un risque que certains opérateurs ne puissent plus exercer ?

Les trois systèmes individuels en cours de création ont prévu de contractualiser avec environ 800 opérateurs, alors que ces derniers sont environ 1 700 sur le territoire. Ce qui veut dire que près de la moitié des acteurs actuels du secteur risquent de se retrouver hors circuit. In fine, ces derniers pourraient se retrouver à exercer dans l’illégalité, et comme je l’ai précisé, les filières illégales exercent depuis plus de cinquante ans sans que personne ne parvienne à les démanteler. Le risque est donc grand de voir ces filières illégales se multiplier.

Au final, quand je discute aujourd’hui avec les systèmes individuels, je leur pose la question : « Quel est l’intérêt pour nous, opérateurs, de contractualiser avec vous, étant donné que vous n’avez que peu de matière à nous fournir, et que vous allez nous imposer un cahier des charges extrêmement contraignant ? »

Quelle est leur réponse face à ces interrogations ?

Ils ont annoncé vouloir favoriser la vente de PIEC (pièces issues de l’économie circulaire) dans leurs réseaux. Ce qui n’est pas un problème pour les opérateurs, qui n’ont pas de difficultés pour vendre leurs pièces, puisqu’il y a beaucoup de demandes. Ils vont donc être dans l’obligation de se mettre autour de la table et de trouver avec les opérateurs des systèmes de fonctionnement qui conviennent à tout le monde. C’est ce qui est intéressant. D’ailleurs, nous avons toujours travaillé ensemble, et la recherche d’une solution qui permette à tous les acteurs de continuer à travailler est dans l’intérêt de tous. Le bon sens doit l’emporter.

Quand est-ce que la loi AGEC sera-t-elle effectivement appliquée, selon vous ?

Les différents agréments et contractualisations devraient se mettre en place d’ici 2025. Deux problématiques restent sur la table. D’un côté, la directive européenne est en train de devenir un règlement européen, ce qui pourrait remettre en cause un certain nombre de choses au niveau français. Enfin, il y a la problématique en devenir liée au traitement des batteries de véhicules électriques. Qui sera le propriétaire de la batterie ? La question pour nous est de dire que le produit est d’abord un VHU, et tous les déchets de ce VHU peuvent être gérés par d’autres filières REP, comme c’est le cas avec les huiles usagées ou les pneus. Nous voulons que ce soit la même chose avec la filière batterie. Sauf que la batterie représente une grande partie de la valeur d’un véhicule électrique, donc les producteurs veulent absolument que la batterie leur appartienne, alors qu’ils n’en sont pas les derniers détenteurs… C’est donc un autre combat qui s’annonce autour de ce sujet dans les mois à venir.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

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