« Coronavirus : vers une saturation des réseaux Internet ? », « Le trafic Internet peut-il saturer en raison du confinement ? », « Face au coronavirus, les opérateurs Internet appellent à la “responsabilité numérique” pour éviter la saturation »… Les titres alarmistes se sont multipliés ces dernières semaines dans la presse. En réalité, l’Internet est capable de résister aux nombreuses connexions. Explications avec Stéphane Bortzmeyer, spécialiste en réseaux.
Stéphane Bortzmeyer connaît très bien les moindres rouages de l’Internet. Il est notamment membre de Gitoyen (association loi de 1901 regroupant plusieurs entreprises et associations intervenant comme fournisseur d’infrastructure d’hébergement et d’accès à Internet) et de l’IETF (Internet Engineering Task Force) qui élabore et promeut des standards Internet. Selon cet expert, il n’y a pas de craintes à avoir.
Techniques de l’Ingénieur : De nombreux articles évoquent un risque de voir l’Internet saturé à cause du confinement. Quelle est votre opinion ?
Stéphane Bortzmeyer : L’Internet ne s’est pas écroulé contrairement à quelques prévisions sensationnalistes. Ces annonces alarmistes, indiquant que le trafic réseau a augmenté de tel ou tel pourcentage à certains endroits, n’ont pas de sens. L’Internet est un ensemble de réseaux qui sont connectés entre eux comme des tuyaux. Il y a une augmentation des usages, mais l’Internet en connaît en permanence. Tous les deux mois, nous avons un nouveau record ! Il y a toujours des tensions, car il y a toujours de nouveaux usages et services.
Certes, il y a eu des régions confinées où la capacité du réseau a été dépassée par moments. Cela ne signifie pas pour autant que l’Internet est « tombé ». Que l’on soit confiné ou que l’on travaille au bureau, nous utilisons l’Internet en permanence. Lorsqu’on atteint une limite, le débit ralentit. Pour l’utilisateur, cela se traduit par des téléchargements qui prennent un peu plus de temps ou des vidéos qui s’arrêtent quelques secondes ou minutes.
Report de Disney+, baisse des débits des plateformes de streaming vidéo… Toutes ces annonces sont-elles justifiées ?
Non, il s’agit plus d’un plan de communication pour se présenter comme des « gentils » qui acceptent de s’adapter à la situation pour ne pas saturer Internet. Pourtant, le report de quelques jours de Disney+ [la plateforme a annoncé le 21 mars qu’en accord avec le gouvernement français, elle reportait son lancement en France au 7 avril 2020, et non plus au 24 mars comme prévu initialement, NDLR] était inutile. La semaine prochaine, nous serons toujours en confinement et le trafic sera exactement le même…
Même en période de crise sanitaire, le business et les problématiques politiques ne disparaissent pas. Il y a toujours des rivalités qui se maintiennent.
L’Organe des régulateurs européens des communications électroniques, le BEREC (Body of European Regulators for Electronic Communications) a précisé dans son communiqué du 30 mars qu’il n’y a pas eu d’explosion du trafic.
De nombreuses personnes qui télétravaillent, ou des parents qui veulent se connecter à des serveurs de l’Éducation nationale (dont les « Espace numérique de travail » – ENT), se plaignent de lenteurs. Quelles en sont les causes ?
Elles peuvent être multiples. La cause peut se trouver dans l’ordinateur de l’utilisateur qui est infecté par des codes malveillants impactant ses performances. Le réseau domestique peut être également saturé à cause de multiples connexions simultanées dans le foyer. La liaison entre le poste de travail du salarié et le Système d’information (SI) de son entreprise peut présenter des goulots d’étranglement. Mais, dans la majorité des cas que j’ai pu étudier, c’est le SI qui n’était pas adapté pour une montée en charge aussi forte et ponctuelle. De nombreux sites web ont également été conçus sans aucune préoccupation de résistance à une forte audience. Résultat, ils deviennent inaccessibles plus ou moins temporairement. Il faut étudier chaque rouage de cette chaîne globale (du PC de l’ordinateur au SI de son organisation) pour repérer puis corriger les dysfonctionnements. Mais les équipes informatiques sont surchargées de travail en ce moment.
Le Plan Très haut débit prévoit de couvrir 80 % du territoire français d’ici 2022 avec des accès FTTH. Cet objectif ne sera pas atteint*. Si plus de foyers étaient équipés en fibre optique, la situation serait-elle moins compliquée ?
Je ne pense pas. Comme je viens de l’expliquer, c’est un ensemble de facteurs qui a un impact sur la qualité de la connexion. A Paris, je capte une trentaine de réseaux wifi qui se partagent tous la même ressource en 2,4 GHz. La fibre, c’est très bien. Mais que l’on soit ou non connecté à la fibre n’y change rien. Dans la plupart des cas, ce sont les serveurs et les sites qui ont été mal configurés. Toute la difficulté réside dans la nécessité de trouver un équilibre dans toute la chaîne.
Quelles leçons peut-on tirer de cette crise ?
C’est un événement exceptionnel qui était difficile à anticiper et il n’est pas sûr qu’il se reproduise. Il existe de nombreux virus, mais ils n’ont pas eu un impact aussi fort. S’il y a une leçon à retenir, c’est qu’il faut optimiser les serveurs en matière d’économie et de performances.
Propos recueillis par Philippe Richard
Crédit photo Une : Antoine Lamielle
* En termes de couverture territoriale, le câblage fibré n’atteint que 20 %, selon les résultats publiés par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques) fin 2019.
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