Le problème ? « Cette affirmation est dénuée de tout fondement » explique sur son blog personnel Cédric Philibert, expert de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), dans un billet intitulé « L’Allemagne brouille-t-elle la vue des électriciens français? » et publié le 27 janvier 2014. « Sans les renouvelables, et compte-tenu du prix du gaz, l’Allemagne recourrait bien davantage encore au charbon – et l’augmentation de son usage résultant de la sortie progressive du nucléaire serait bien plus rapide encore » prévient-il.
Les énergies renouvelables n’y sont pour rien
Selon ce spécialiste des questions énergétiques à l’échelle internationale et qui a dirigé la rédaction de plusieurs rapports de l’AIE sur les énergies d’avenir, trois facteurs sont responsables du léger et récent regain du charbon en Allemagne : le recul du nucléaire, la multiplication par trois depuis 10 ans du prix du gaz en Europe qui est indexé à celui du pétrole, et enfin la faiblesse du prix du CO2 dans le cadre du système communautaire d’échange de quotas d’émission (EU ETS). On peut aussi ajouter les prix bas du charbon sur le marché consécutivement au boom du gaz de schiste aux USA. « Les renouvelables n’y sont pour rien – sinon pour n’avoir pas crû assez vite » conclue l’expert.
Une question de déontologie
« La transition énergétique allemande est vraiment incomprise en France, c’est le moins qu’on puisse dire. Les articles assassins sont légion, et très souvent biaisés de façon étonnante, médias reprenant en boucle idées reçues et désinformations » regrette Cédric Philibert.
Un problème de déontologie se pose pour les journalistes. La mise en avant des avantages réels du nucléaire, comme par exemple la capacité de produire de l’électricité en continu, en particulier l’hiver où la production électro-solaire est plus faible, ou de réduire la facture liée aux importations de combustibles fossiles, n’est-elle pas suffisante pour que certains en viennent à mentir de manière délibérée à propos des énergies renouvelables ? Au nom du sauvetage de la filière nucléaire française, fleuron national, et de la volonté de prolonger le fonctionnement de nos vieilles centrales nucléaires jusqu’à 2040, tout est-il permis, y compris de faire preuve au pire de malhonnêteté intellectuelle délibérée ou, au mieux, d’ignorance ?
En une décennie la part des ENR a progressé de 16 points en Allemagne
En 2003, selon la BDEW, l’association fédérale des industries de l’énergie et de l’eau, le charbon et le lignite représentaient 50 % de la production électrique allemande, le gaz 10 %, le nucléaire 27 % et les ENR 7 %. En 2013 le couple charbon-lignite est passé à 46 %, le gaz est resté à 10 %, le nucléaire a chuté à 15 % et les ENR ont fortement progressé pour atteindre 23 %. La hausse significative des ENR (+16 points) s’est ainsi accompagnée d’une baisse du couple charbon-lignite (-4 points), d’une chute du nucléaire (-12 points) et d’un maintien du gaz à son niveau initial.
La ponctuelle et légère hausse du charbon entre 2012 et 2013 (passage de 18,5% à 19,7%), qui s’accompagne par une baisse symétrique du gaz (passage de 12,1 % à 10,5 %) ne change rien à la tendance de fond engagée en Allemagne, dynamique vertueuse d’un pays qui s’est doté un objectif clair à horizon 2050 : 80 % d’ENR. Le gaz naturel américain va parvenir sur le marché européen (liquéfaction et transport par navire méthanier) d’ici environ 2 ans, ce qui contribuera à changer la donne.
Dans une tribune intitulée « Energies renouvelables : sortons de la caricature ! » publiée dans Les Echos le 4 janvier 20114 », Jean-Louis Bal, président du Syndicat des Energies Renouvelables (SER) a rappelé que pour la France les énergies renouvelables « constituent le moyen le plus efficace de progresser vers trois objectifs fondamentaux : la réduction de notre dépendance énergétique (60 milliards d’euros d’importations chaque année), la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et la construction de filières industrielles françaises puissantes, dont les débouchés mondiaux sont une réalité. »
ci-dessus : Production d’électricité en Allemagne par source
« Tourne ton visage vers le soleil et tu laisseras l’ombre derrière-toi » (adage africain)
François Hollande, qui s’est engagé devant le peuple français à réduire la part du nucléaire dans le mix électrique française de 75% à 50% d’ici 2025, a annoncé lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014 son souhait que soit crée une grande alliance franco-allemande dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.
Cette idée d’EADS des énergies renouvelables pour l’Europe a été proposée dès 2011 par Serge Orru, à l’époque directeur du WWF-France. François Hollande a comme projet phare la construction d’une méga-usine franco-allemande de production de panneaux solaires photovoltaïques susceptible, par effet d’échelle, de faire baisser les coûts de production et ainsi devenir en mesure de concurrencer les producteurs asiatiques sur le marché mondial.
Vers un tarif d’achat unique pour toutes les ENR en Allemagne, et comparable à celui du nucléaire EPR en Grande-Bretagne
L’Allemagne a choisi de se focaliser sur les filières énergétiques les plus pertinentes sur le plan économique, l’éolien terrestre et le solaire photovoltaïque. Le coût du photovoltaïque a fortement chuté ces dernières années grâce à la forte ambition chinoise sur ce marché d’avenir, ce qui a déstabilisé l’industrie européenne dans ce domaine. De manière pragmatique, les mécanismes de soutien des filières biogaz et éolien maritime, trop coûteuses en période de crise économique, viennent d’être revus à la baisse outre-Rhin. Dès 2015, un tarif moyen de 12 centimes le kWh sera mis en place qui tombera ensuite à un tarif unique de 9 centimes pour toutes les filières renouvelables. Il convient de « garantir que la transition énergétique soit un succès non seulement sur le plan écologique mais aussi économique » résume Rainer Baake, le nouveau Secrétaire d’État au ministère fédéral de l’environnement, ex directeur du think-tank Agora-EnergieWende.
A titre de comparaison EDF a fait pression auprès du gouvernement britannique pour obtenir un tarif d’achat (« strike price ») de 10,9 centimes pour le nouveau nucléaire (EPR). Ceci alors que le nucléaire n’est pas une énergie renouvelable : la ressource utilisée, l’uranium 235 a un stock très limité, de seulement quelques décennies au rythme de la consommation mondiale actuelle. Et cette filière, du début jusqu’à la fin, pose de sérieux problèmes sur le plan de la sécurité, de la santé, de l’environnement
En France aussi, comme en Allemagne, l’avenir peut être solaire. Sauf si les journalistes acceptent la pollution, par tous les moyens, du débat énergétique par les défenseurs des énergies non durables, semant ainsi la confusion dans l’esprit des citoyennes et citoyens français. Il s’agit d’une question éminemment éthique étant donné qu’elle nous engage pour les décennies à venir.
Par Olivier Danielo
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