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NISP, un spectrophotomètre infrarouge pour cartographier l’univers

Posté le 5 juin 2020
par Séverine Fontaine
dans Innovations sectorielles

Un spectrophotomètre infrarouge mis au point par une équipe de chercheurs internationaux a été livré à l’Agence spatiale européenne (ESA) le 19 mai. Il sera embarqué à bord de la mission Euclid prévue en 2022 dont l’objectif est de cartographier l’univers pour y déceler la signature de la matière noire et l’énergie sombre.

Pendant six ans, le satellite Euclid va prendre des clichés de milliards de galaxies pour permettre aux scientifiques de déceler la signature de la “matière noire” et de l’“énergie sombre”. Euclid est doté de deux instruments scientifiques, placés derrière un télescope de 1,20 m de diamètre : l’imageur visible VIS (VISible) et le spectrophotomètre proche infrarouge NISP (Near InfraRed SpectroPhotometer). Ce dernier vient d’être livré le 19 mai à l’ESA, après plus de dix années de conception et fabrication. Il est le fruit d’une coopération internationale, coordonnée par la France, et incluant l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, le Danemark, la Norvège et les Etats-Unis.

La France livre le spectrophotomètre infrarouge NISP pour la mission spatiale européenne Euclid. Crédit : Euclid Consortium / LAM
Crédit : Euclid Consortium / LAM

La mission Euclid sera lancée en 2022 depuis le Centre Spatial Guyanais pour être mise en orbite au deuxième point de Lagrange. Il s’agit d’une région du système solaire, située à 1,5 million de km de la Terre, où les forces gravitationnelles du Soleil et de la Terre se combinent, permettant à un satellite de rester en permanence dans l’alignement des deux astres. Une orbite très prisée des missions scientifiques par la stabilité des conditions d’observation. Pour comprendre l’objectif de cette mission et des instruments qui la composent, nous avons échangé avec Jean-Gabriel Cuby, chercheur au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM) de l’Université Aix-Marseille.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous expliquer l’objectif de la mission Euclid pour laquelle le spectrophotomètre NISP a été mis au point ?

Jean-Gabriel Cuby : Euclid est une mission cosmologique dont l’objectif est la compréhension de l’univers, en particulier l’énergie sombre et la matière noire. On ne connaît pas grand-chose de cette énergie alors qu’elle représente environ 70 % du contenu de l’univers. Plusieurs théories s’affrontent, comme par exemple l’existence d’une constante cosmologique décrivant une propriété fondamentale de l’Univers ou une modification des lois de la relativité générale d’Einstein. La mission Euclid n’apportera vraisemblablement pas de réponse définitive mais permettra de fortement contraindre les différents modèles qui s’opposent. Selon ces modèles, les effets de structuration de l’univers au cours du temps ont des signatures différentes qu’Euclid mesurera.

Euclid va permettre de cartographier la distribution de ces galaxies dans l’univers et dans les grandes structures qui le composent (amas, super-amas, vides, etc.). Les propriétés de ces structures de galaxies mesurées par Euclid permettront de contraindre les différents modèles d’énergie sombre, en rejetant certains et en privilégiant d’autres. Cette cartographie, que l’on appelle grand relevé cosmologique dans notre jargon, Euclid va la réaliser pour environ 1,5 milliard de galaxies en mesurant leurs positions et leurs distances, et ce jusqu’à des distances correspondant à environ 2/3 de l’âge de l’univers.

Cela va être permis par le spectrophotomètre proche infrarouge NISP. De quoi est-il composé ?

Il y a 16 détecteurs infrarouge de 2 000 x 2 000 pixels fournis par la NASA. C’est la plus grande mosaïque de détecteurs infrarouges jamais construite pour aller dans l’espace. La structure du NISP est faite en carbure de silicium, un matériau de choix pour le spatial car très rigide et peu sensible aux dilatations thermiques tout en étant relativement léger. Le moindre kilo à lancer dans l’espace coûte en effet une fortune et les déformations thermiques et mécaniques y sont à proscrire. Il est également composé de grismes, des composants optiques complexes dont l’une des faces est gravée en un réseau de diffraction. Ils produisent un spectre de la lumière incidente, permettant ainsi de séparer les longueurs d’onde et de mesurer les raies d’émission des galaxies. En recherchant les raies d’émission dans les spectres, on va pouvoir mesurer la distance entre les galaxies.

Le relevé fait par Euclid va couvrir un champ à la fois très large et très profond. En raison de la structure du ciel composé d’étoiles de la Voie Lactée et de poussières du système solaire, la cartographie va être réalisée sur environ 1/3 de la surface de la voûte céleste, soit 15 000 degrés carrés sur les 41 000 de la totalité de la voûte. Le champ de vue individuel du NISP est de l’ordre de 1/2 degré carré. Une image va couvrir 1/2 degré carré, donc on doit faire plus de 30 000 pointés, avec pour chacun 16 poses différentes en changeant de filtres et en bougeant légèrement le télescope. Tout cela prend du temps. Environ 6 ans.

Euclid dispose également d’un deuxième instrument, l’imageur VIS…

La caméra VIS permet de réaliser une mesure statistique de la forme des galaxies. Par exemple, s’il n’y avait pas de matière et de déformation, on aurait une distribution statistiquement uniforme. Sauf qu’à cause de la matière, principalement la matière noire qui va perturber la trajectoire de la lumière, il y a des déformations statistiques qui permettent de reconstruire la quantité de matière sur la ligne de visée entre les galaxies que l’on observe et nous. Cette déformation s’appelle l’effet de cisaillement gravitationnel. La matière déformant localement l’espace, quand la lumière se propage à proximité de la matière, elle est légèrement déviée.

Les deux appareils sont très complémentaires, notamment en longueur d’onde. L’imageur VIS est sensible entre 0,6 et 0,9 micron, alors que NISP l’est de 1 à 2 microns. Les objets n’ont pas la même façon d’émettre ; ces deux domaines de longueur d’onde différents permettent d’observer plus de choses. De plus, VIS a plus de détecteurs et 9 fois plus de pixels que NISP, lui permettant de voir des détails plus fins.


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