Une carte interactive des sites de stockage de CO2 au Royaume-Uni
Dans une optique de réduction des gaz à effet de serre, et avec un mix énergétique britannique encore largement dominé par le gaz naturel et le charbon, le développement des techniques de capture et de stockage du carbone (CCS, carbon capture and storage) représentent un défi crucial pour le Royaume-Uni. Dans cette optique, plusieurs projets se sont penchés sur les différents aspects de ces techniques, depuis les centrales-pilotes équipées de processus de capture jusqu’aux méthodes et aux sites de stockage de carbone.
Sur le front du stockage, l’Energy Technology Institute (ETI, institut des technologies de l’énergie), en partenariat avec le British Geological Survey (BGS, équivalent britannique du BRGM), a mis en ligne récemment le site CO2 Stored, dont le but est de rendre disponible des données détaillées sur les sites de stockage de carbone présents sur le territoire britannique offshore.
Basé sur les résultats du projet UK CO2 Storage Appraisal Project (UKSAP, voir encadré), le site CO2 Stored présente les caractéristiques de près de 600 sites géologiques appropriés au stockage de carbone (par exemple des gisements de pétrole ou de gaz épuisés, ou des aquifères salins). Parmi les informations disponibles, on peut y trouver :
- les données géologiques (lithologie, porosité, perméabilité, épaisseur et profondeur des formations, pression, salinité, etc.) ;
- une estimation de la capacité de stockage ;
- des données relatives aux risques.
Lancé en juin 2013, ce site est accessible moyennant l’obtention d’une licence, et représente le premier accomplissement d’un programme de recherche d’1 M£, pour une durée de cinq ans, entre le BGS et le Crown Estate (organisme en charge du domaine royal britannique). Par ailleurs, depuis le 12 septembre 2013, le site propose également une carte interactive des sites de stockage, rendant d’autant plus accessibles les informations pour les acteurs intéressés.
Le directeur de la Science et de la Technologie au BGS, professeur Mike Stephenson, a déclaré en juin : « Le CCS est une technologie importante dans la lutte pour la réduction du CO2 dans l’atmosphère, et un pilier de la politique énergétique britannique. Le stockage du CO2 dans les roches de la mer du Nord pourraient représenter des opportunités industrielles conséquentes dans les prochaines années, et CO2 Stored […] offre un accès à des informations sur près de 600 sites sous-terrains […]. CO2 Stored représente une étape majeure dans le développement national et international du CCS, et permettra d’aider au lancement de cette nouvelle industrie. »
L’objectif de cette base de données, rendue accessible, est de permettre d’une part d’améliorer la visibilité du Royaume-Uni dans le domaine du stockage de carbone, en communiquant les opportunités existantes pour les industriels, et, d’autre part, de faciliter la recherche dans ces technologies. Ces informations pourront notamment permettre de catalyser la réduction des coûts grâce à de meilleures connaissances des conditions de transport et de stockage nécessaire.
Acidification des océans : une menace pour les Etats-Unis
L’acidification des océans est un problème majeur, lié au réchauffement climatique, qui menace la biodiversité des océans. Depuis la révolution industrielle, les océans ont absorbé un quart des émissions de CO2 liées à la combustion d’énergie fossile (2 000 milliards de tonnes). Cet effet de « puits de carbone » limite l’impact du réchauffement climatique, du moins à court terme, mais augmente considérablement l’acidité des océans, qui atteint aujourd’hui des niveaux record. Plusieurs rapports, auxquels ont contribué de nombreux scientifiques américains, publiés au cours des dernières semaines, font état des mêmes résultats inquiétants sur les conséquences de l’acidification des océans. La côte Nord-Ouest des Etats-Unis, dont une partie de l’économie dépend fortement des ressources marines, est d’ores et déjà affectée par les conséquences de l’acidification des océans et la côte Est commence également à s’en inquiéter.
Un phénomène inquiétant
Le premier volume du cinquième Rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), publié fin septembre, décrit précisément ce phénomène et les changements observés dans la chimie des océans. L’Ocean Health Index, publié il y a quelques semaines, témoigne également des changements en cours dans les océans, de la nécessité d’une meilleure gestion pour les protéger et de mesures plus précises sur l’acidification. Cet index rend compte chaque année de l’état des services éco-systémiques liés aux océans. Il est dirigé par Ben Halpern, directeur du Center for Marine Assessment and Planning à l’Université de Californie à Santa Babara. Le rapport se base sur 10 services écosystémiques rendus par les océans pour établir leur « état de santé » comme par exemple le stockage du carbone, la propreté des eaux, la biodiversité, la protection des côtes, les économies de bords de mer ou encore le tourisme. Cette année, les chercheurs estiment que le facteur présentant le plus grand danger est la capacité des océans à répondre à nos besoins alimentaires. Enfin, la semaine dernière, State of the Ocean, une étude réalisée tous les deux ans dans le cadre du programme international sur l’état des océans, soulignait également les dangers de l’acidification croissante des océans.
Des impacts directs sur l’économie américaine
L’acidification des océans augmente aujourd’hui à un taux plus rapide qu’au cours des dernières 300 millions d’années, ce qui présente un danger majeur pour un grand nombre d’espèces. En effet, l’acidification rend plus difficile la construction des coquilles et des squelettes, à partir du carbonate de calcium (CaCO3). Aux Etats-Unis, les conséquences de l’acidification se font déjà sentir, comme le montre le reportage ci-dessous (anglais) réalisé par PBS, une chaîne nationale publique américaine, qui présente les conséquences de l’acidification des océans dans le Nord-Ouest américain, dont l’économie dépend fortement des fruits de mer, et les inquiétudes croissantes de la côte Est :
Des recherches sont nécessaires pour mieux comprendre le phénomène et évaluer son ampleur
L’acidification, la diminution de la concentration en oxygène et le réchauffement des eaux présentent un risque direct pour les coraux mais également pour les espèces qui construisent une coquille qui risque de devenir de plus en plus mince et de plus en plus fragile (comme les moules, les huîtres, les homards ou encore les crabes). Les scientifiques du laboratoire sur l’environnement marin du Pacifique de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) ont d’ailleurs récemment observé la dissolution des coquilles de ptéropodes, présents dans le Nord-Ouest du Pacifique et dans les eaux arctiques. La NOAA travaille également sur des projections de l’acidification des océans pour étudier leur impact sur l’industrie de la pêche au crabe, particulièrement développée en Alaska. De nombreux organismes et écosystèmes dépendent également de ces espèces (oiseaux, baleines, poissons). Le cas du saumon rose est exemplaire : les ptéropodes représentent 60% de son alimentation.
La NOAA a lancé une nouvelle expédition au cours de l’été, rassemblant des chimistes et des biologistes, pour mieux comprendre les conséquences de l’acidification sur les différents organismes marins dans les eaux du Nord-Ouest des Etats-Unis.
Un prix lancé pour encourager le développement de capteurs plus performants et moins chers
S’il est clair que les océans s’acidifient de plus en plus à un niveau global, il reste de nombreuses incertitudes sur le niveau des changements selon les différentes régions et les niveaux de profondeurs. Obtenir des données plus précises permettrait de faire avancer les connaissances scientifiques et de mieux préparer les politiques de protection des océans. De nombreux tests ont été réalisés mais ils sont encore assez coûteux et difficiles.
Pour résoudre ce problème, un nouveau prix a été lancé en septembre dernier qui propose d’offrir une récompense d’un million de dollars à une équipe capable de développer un moyen de tester facilement et à moindres coûts l’acidité des océans (sans réétalonnage fréquent) et un autre million de dollars à l’équipe qui développera le détecteur le plus précis (pouvant fonctionner à plus de 3000 mètres de profondeur et capable de détecter une variation de pH de 0.002). L’objectif de ce prix est d’avoir des données sur l’acidité des océans similaires à celles que nous avons pour la température.
Le prix, qui porte le nom de son initiatrice, « Wendy Schmidt Ocean Health X PRIZE », a déjà connu un certain succès dans le secteur des océans ; par exemple en 2010, ce concours a permis le lancement d’une technologie capable d’accélérer le nettoyage des eaux de surface des océans suite à des déversements de pétrole [10]. Créé en 1995, l’ONG XPrize organise régulièrement des prix dans 5 catégories (énergie et environnement, exploration, développement sciences de la vie et apprentissage). Espérons que de nouveaux succès dans le domaine de la mesure du pH contribueront à la compréhension de l’évolution des océans, et à leur sauvegarde.
Changement climatique et communication scientifique : faire simple sans être simpliste ?
La communauté scientifique britannique est fortement impliquée dans l’étude du changement climatique, et nombre de ses chercheurs ont participé à la rédaction ou à la discussion du dernier rapport de l’International Panel for Climate Change (IPCC, ou GIEC en français) rendu public le 27 septembre 2013.
Elle a donc suivi avec intérêt sa présentation officielle, et organise de nombreuses présentations, conférences, et débats sur le sujet, au sein des universités ou dans les sociétés savantes. Ainsi la Royal Society a-t-elle tout récemment invité le co-président de l’IPCC, Thomas Stocker, à faire plusieurs présentations successivement devant des fonctionnaires britanniques, auprès d’un grand public éclairé, et lors d’un colloque scientifique intitulé « next steps in climate science ».
La communication vers le public, préoccupation traditionnelle du monde scientifique britannique, à travers notamment l’action des sociétés savantes, et activité encouragée par les pouvoirs publics, prend cependant dans ce domaine du changement climatique une connotation cruciale et délicate, compte tenu d’une part de sa complexité, et d’autre part de sa dimension de politique publique.
Sir Mark Walport, Chief Scientific Adviser auprès du gouvernement britannique, a ainsi souligné l’importance de cette communication vers une large audience, en relevant que sa fonction auprès du gouvernement était justement de faciliter cette transition du scientifique vers le politique grâce à cette communication, en décrivant les trois « lentilles » à travers lesquelles la politique publique se doit de voir le problème : réalité physique du phénomène et des risques , approche économique (prix de l’énergie, coût des dommages), et sécurité d’approvisionnement énergétique. Les risques liés au changement climatique figurent bien tout en haut de liste du National Risk Register du gouvernement, mais Sir Mark Walport a fait état de sondages auprès de la population du Royaume-Uni, qui montrent que la perception de l’importance du changement climatique diminue graduellement, tendance probablement liée au contexte économique défavorable et à l’évolution des prix de l’énergie au Royaume-Uni.
Le Science and Technology Committee de la Chambre de Communes vient également de lancer des auditions publiques sur le thème « climat : compréhension du public et ses implications politiques ». Les premières auditions ont mis l’accent sur le rôle des communautés locales et l’effet d’une communication proche du terrain, mettant en avant les impacts quotidiens et les risques sur les populations, et l’intérêt concret des économies d’énergies. Et en matière de communication grand public justement, plus les auteurs du rapport de l’IPCC sont convaincus de leurs mesures, de leurs hypothèses et de leurs modèles, plus ils apparaissent précautionneux dans la formulation de leurs résultats, peut-être échaudés par des polémiques passées et par la contradiction portée par certains climatosceptiques.
Il est vrai que le sujet est d’une telle complexité qu’il se prête mal à cette exercice de simplification. Une fois affirmée la conviction des auteurs « à 95 % » que, depuis 1950, le réchauffement climatique est « non équivoque » et « sans précédent depuis un millénaire », que l’influence humaine sur le climat est « évidente », et que la hausse des températures au cour de ces trente dernières années est « certainement » la plus forte depuis un siècle, et « probablement » depuis plus de 1 500 ans, il faut déjà comprendre que ces assertions s’appuient sur toute une série de mesures et de constatations (fonte continue des glaces, élévation accélérée du niveau de la mer, forçage radiatif total positif, dû essentiellement à l’accroissement du taux de CO2 atmosphérique, etc.) , prenant en compte les perturbations solaires et les éruptions volcaniques, le tout avec de grandes précautions méthodologiques.
Les difficultés commencent avec la modélisation (c’est bien le cumul des émissions de CO2 qui offre la plus forte corrélation avec l’évolution de la température moyenne, et c’est une des bases de modélisation des scenarios), mais aussi parce qu’il faut passer d’un raisonnement global à des conséquences régionales : par exemple, il est fait état d’une variabilité interne accrue du système, en particulier en ce qui concerne la répartition spatiale et temporelle les précipitations, ce qui est déterminant pour une bonne prise en compte des conséquences concrètes sur les pays et les individus, alors même que les modèles dits régionaux sont encore très perfectibles.
Et cela devient vraiment délicat quand on rentre dans certains détails, tels le « warming hiatus ». Ce fléchissement depuis les années 2000 de l’accroissement de la température moyenne à la surface du globe ne remet pas en cause la conviction des auteurs d’un réchauffement global, fondée sur toute une série d’autres indices que cette température moyenne. Il soulève en revanche de vraies questions scientifiques sur la compatibilité de certaines séries de données, sur la validité de certains modèles, et sur la nature même du phénomène, que l’on tente d’expliquer par une variabilité temporelle mais surtout spatiale de l’accumulation de chaleur, notamment par un possible stockage profond de la chaleur dans les océans. Ce hiatus peut évidemment donner prise à des réactions de climatosceptiques (il n’y en a pas cependant pas eu de récentes pour l’instant au Royaume-Uni, contrairement aux USA et à la France).
Plus gênant reste le fait que, même si la température moyenne de surface du globe se révèle ne pas être toujours le meilleur indicateur du bilan énergétique du climat, c’est néanmoins celui qui sert de base aux différents scenarios et aux programmes de mitigation.
Afin d’enrayer toute mauvaise interprétation ou polémique, le Science Media Centre, qui est un organisme indépendant basé à Londres destiné à faciliter l’accès et les relations entre les journalistes scientifiques de la grande presse nationale (écrite et radio/télé) et le monde scientifique, a accompagné la sortie de ce rapport de l’IPCC par l’organisation d’un briefing spécifique entre la presse scientifique et une douzaine d’experts, et par la mise sur son site d’une trentaine de réactions de scientifiques de renom venant des principales universités du pays. S’agissant plus spécifiquement du warming hiatus (ou slowdown), le Science Media centre a mis ces derniers jours sur son site une « briefing note » synthétisant d’une manière très accessible la position dominante de la communauté scientifique sur ce sujet délicat.
Il y a néanmoins quand même un risque d’affaiblissement du message général, ou de relativisation possible des enjeux par les politiques. C’est déjà un peu déjà le cas au Royaume-Uni, où le ministre de l’agriculture, de l’environnement et des affaires rurales, Owen Patterson, qui est en particulier chargé au sein du gouvernement de l’adaptation au changement climatique, a indiqué au cours d’une intervention devant la conférence annuelle du parti conservateur que le risque de changement climatique avait été exagéré. Il a déclaré être soulagé de voir que ce rapport prévoit une hausse des températures relativement modeste et déjà à moitié réalisée (sic !), et affirmé que l’humanité devrait pouvoir s’adapter dans le temps.
Les réactions de plusieurs scientifiques britanniques, certains directement impliqués dans la rédaction du rapport de l’IPCC, ont été évidemment rapides et plutôt virulentes, et d’autres membres du gouvernement ont pris des positions beaucoup plus mesurées, mais le débat politique n’est peut-être pas clos au Royaume-Uni, et cela dans un contexte d’austérité économique confirmée, et de vifs débats sur le prix de l’énergie.
Le rôle du Governmental Chief scientific Adviser dans ce dossier va donc être « probablement » assez délicat dans les prochains mois…
La rédaction