À la suite de la publication de ses scénarios de transition énergétique, l’Ademe sort des « feuilletons » thématiques complémentaires. Celui sur le système électrique révèle plusieurs options et confirme que le choix des renouvelables n’est pas plus cher que le nucléaire.
Comme dans une série télé, les épisodes sur le futur système énergétique français n’en finissent pas de se succéder. Après les rapports de RTE et de négaWatt, l’Ademe a elle-même complété la publication de ses scénarios de transition par plusieurs « feuilletons » : onze sont déjà disponibles sur les effets macro-économiques, sur les modes de vie, sur les sols, sur les territoires, sur les matériaux de la transition énergétique, etc. Mais le plus remarqué est celui sur le mix électrique que la France pourrait choisir en 2050. Sujet délicat puisque le Président Emmanuel Macron semble avoir tranché avant tout débat démocratique…
Pourtant les travaux de l’Ademe sont riches d’enseignements pouvant alimenter ce débat. Ils se basent sur les quatre scénarios de l’Agence, arrivant tous à la neutralité carbone en 2050 mais aux profils très différents, ce qui se retrouve dans leurs mix électriques respectifs (dont un avec deux variantes), résumés dans le tableau suivant.
Des renouvelables en majorité
De tous les scénarios, seule la frugalité de S1 permet de consommer moins d’électricité qu’aujourd’hui, à l’inverse de S3 et S4 projetant une forte voire très forte hausse de la consommation. Les mix électriques comportent une grande part de sources renouvelables, a minima 72 % dans S4 et jusqu’à 97 % dans S1 : l’Ademe a vérifié qu’ils assurent tous l’équilibre entre l’offre et la demande au pas horaire entre 2020 et 2060, pour neuf scénarios météo différents.
Les capacités d’hydroélectricité subissant peu d’évolution, le développement des moyens de production renouvelables est surtout celui des ressources variables. Le solaire photovoltaïque est la technologie dont les capacités sont les plus développées par rapport à aujourd’hui, avec une multiplication par 9 de la puissance installée dans S1 et S2, et par 14 dans S3 et S4. Une approche avec des installations solaires moins centralisées est préférée dans S1.
L’éolien terrestre arrive à des niveaux de puissance similaires dans tous les scénarios, à hauteur de 3,5 fois les capacités actuelles. L’éolien en mer, tout juste naissant sur les côtes françaises, reste modéré dans S1, fortement développé dans S2 et encore deux fois plus dans S4. L’Ademe a créé deux versions de son troisième scénario : S3EnR privilégie justement le développement de l’éolien en mer au même niveau que S4, tandis que S3Nucléaire maintient l’éolien en mer au niveau de S2 en préférant construire du nouveau nucléaire.
Les capacités nucléaires sont variées entre les scénarios. S1 prévoit un arrêt des centrales au fil du temps et aucune nouvelle construction ; seul l’EPR de Flamanville est en fonctionnement en 2050. S2 et S3 maintiennent un quart du parc nucléaire actuel en activité, tandis que S4 en vise le tiers. La vraie différence vient de la construction de centrales neuves : S1, S2 et S3EnR refusent cette option, tandis que S3nucléaire et S4 prévoient respectivement 6 et 10 nouveaux EPR2.
En ce qui concerne la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, elle est élevée dans S1 et S2, les deux l’utilisant pour créer du méthane de synthèse et le deuxième aussi pour le transport. S3 a une demande élevée d’hydrogène dans tous les secteurs mais utilise l’électrolyse de manière modérée en ayant plutôt recours à des importations d’H2. S4 a une faible demande en hydrogène.
Tous les scénarios incluent un développement des interconnexions avec les pays voisins ainsi qu’un renforcement du réseau interrégional. La flexibilité de la demande joue aussi un rôle pour le maintien de l’équilibre offre/demande, en particulier dans S3 où il faut piloter certains usages (chauffage, eau chaude, climatisation et surtout véhicules électriques) pour déplacer les pointes de consommation du soir vers le midi. Des centrales gaz sont aussi nécessaires au système électrique, principalement dans S3 (où ce scénario prévoit 80 % de gaz décarboné) et dans S4 (où la part du gaz vert n’est que de 50 %) : ainsi, c’est dans le scénario comportant le plus de nucléaire (S4) que les réductions d’émissions de CO2 du système électrique sont les plus faibles, à 6 Mt au lieu de 13 Mt dans les trois autres scénarios ! Un résultat qui bat en brèche les habituels discours de la filière nucléaire vantant la décarbonation par l’atome.
L’étude économique ne justifie pas le nouveau nucléaire
Même avec une vision optimiste, le coût du nouveau nucléaire n’atteindra que 91 €/MWh selon l’Ademe, alors que la baisse des coûts des énergies renouvelables (EnR) d’ici 2050 va encore être d’un facteur 1,5 à 2 : on passe de 60 à 32 €/MWh pour le photovoltaïque au sol, de 82 à 43 €/MWh pour le photovoltaïque en toiture, de 60 à 47 €/MWh pour l’éolien terrestre et de 118 à 73-81 €/MWh pour l’éolien en mer. La modélisation des scénarios de mix électrique prévoyant que les solutions les plus compétitives soient privilégiées, ce sont donc les EnR qui prennent le dessus. De plus, l’Ademe est réaliste sur le coût d’accès au capital pour les investissements, avec un taux de 5,25 % pour les EnR et les interconnexions, et de 7,5 % pour les autres. Sur cette base, le coût complet pour le système électrique a été évalué en cumulé sur la période 2020-2060. Il inclut les investissements de production, de réseaux et les importations/exportations mais pas d’autres coûts liés au reste de la transition énergétique (développement du véhicule électrique ou du captage du carbone par exemple).
En toute logique, les scénarios les moins consommateurs d’électricité sont les moins coûteux pour la collectivité, puisque nécessitant moins de moyens de production (cf. figure ci-dessus). Alors que S1 et S2 sont autour de 1 200 Md€, S4 cumule à plus de 1 600 Md€. Entre les deux, à un peu plus de 1 400 Md€, il est intéressant de voir que les deux options S3 ont un coût équivalent alors que l’une privilégie les EnR (notamment avec plus d’éolien en mer) et l’autre le nucléaire. Il semblerait donc, comme cela a été montré par Philippe Quirion, directeur de recherche au CNRS, que la dimension économique ne soit pas celle permettant de justifier un nouveau programme nucléaire.
Les résultats montrent par ailleurs que les coûts de l’électricité pourraient rester maîtrisés puisqu’il y a peu d’écart (en euros/MWh) dans S1 et S3 par rapport à 2020, et qu’il est de -12 % pour S2 et de +4 % pour S4. En particulier S2, qui a un niveau de consommation d’électricité similaire au scénario Sobriété de RTE, peut bénéficier des ENR les plus compétitives et de la pilotabilité des électrolyseurs pour réduire les coûts de flexibilité des autres solutions (imports, batteries, centrales gaz). La raison nous orienterait donc plutôt vers ce scénario de coopération territoriale ?
On n’est pas vraiment surpris que l’Ademe, dont l’anti-nucléarisme n’est plus à montrer, conclue que le nucléaire n’est pas nécessaire. Idem pour Philippe Quirion, membre actif de NegaWatt, association dont le but est largement de montrer qu’on peut se passer du nucléaire.
Seuls les scénarios S3 et S4 envisagent une augmentation de la consommation d’électricité, nécessaire pour remplacer pétrole et gaz et donc décarboner.
S3Enr et S3nuc correspondent à la trajectoire de référence des scénarios de RTE (645TWh) et lui sont comparables. L’Ademe estime que le cout avec ou sans nouveau nucléaire est similaire quand RTe estime que le cout avec nouveau nucléaire est légèrement inférieur.
Au delà du cout, il est nécessaire d’évaluer la faisabilité technique.
La vérification de équilibre entre l’offre et la demande au pas horaire est elle suffisante? Dans l’étude de 2015, l’Ademe disait qu’un ajustement offre-demande modélisé heure par heure était insuffisant pour certifier la stabilité du réseau électrique.
Disposer de 140GW de photovoltaïque de durée de vie 25 ans, c’est, en vitesse de croisière, près de 6GW à installer rien que pour renouveler le parc, sachant que l’Allemagne a installé en moyenne 4GW par an depuis 10 ans et la France 1.
La production d’hydrogène par électrolyse n’en est actuellement qu’à ses balbutiements. Si son développement est sans doute souhaitable, il est bien difficile de dire si on sera capable d’avoir les infrastructures suffisantes.
Le pilotage de la consommation d’électricité facilite évidemment la gestion de l’offre/demande, mais il s’agit bien d’aller vers un système moins pratique. On a vu ces derniers mois des usines demander à leurs salariés de travailler de nuit quand l’électricité est moins chère car plus abondante…
RTE souligne dans son rapport futurs énergétiques 2050, souligne :
RTE : »Le scénario visant une sortie du nucléaire représente un défi industriel majeur, les rythmes de développement des ENR dépassent largement les performances cumulées de l’Allemagne sur les renouvelables terrestres et du RU sur l’éolien en mer au cours des dernières années »
RTE: « le besoin de construire de nouvelles centrales thermiques assises sur des stocks de gaz décarbonés (dont l’hydrogène) est important si la relance du nucléaire est minimale et il devient massif – donc coûteux – si l’on tend vers 100% renouvelable » (gros risque de fossiles)
RTE : « Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques »
RTE « il n’existe aucune démonstration de la faisabilité d’une intégration très poussée d’énergies renouvelables variables comme l’éolien et le photovoltaïque sur un grand système électrique », « il n’existe aucune expérience d’exploitation de tels systèmes à grande échelle »
RTE : « les solutions techniques sur lesquelles reposerait cette stabilité …ne sont pas aujourd’hui disponibles sur le plan commercial »
RTE : « à compter de 2035 il ne sera plus possible de poursuivre l’augmentation de la part des renouvelables sans développer la flexibilité de manière significative »
RTE : « »Le développement des énergies renouvelables soulève un enjeu d’occupation de l’espace et de limitation des usages »
RTE : « installations de stockage dédiées à grande échelle», « s’interroger sur les conditions pour développer un environnement industriel permettant de porter cette ambition»
RTE : « enjeux environnementaux (utilisation des sols, criticité des matériaux), et sociétaux (acceptabilité), que ce soit pour la flexibilité de la demande au sein des logements ou le déploiement d’infrastructures»
RTE, éolien en mer, « il faudrait 60 parcs éoliens de 500 MW chacun, alors qu’aucun n’a été développé jusqu’à présent et que seuls 7 sont prévus dans les prochaines années.»
RTE : « Au-delà de 2030, une extension, un renforcement et une restructuration en profondeur du réseau seront nécessaires pour atteindre des parts élevées d’énergies renouvelables. »
RTE : « Un système électrique composé à 100% d’énergies renouvelables implique le franchissement de barrières technologiques et la maîtrise de solutions non encore testées en grandeur réelles »
RTE : « Les scénarios à très hautes parts d’énergies renouvelables, ou celui nécessitant la prolongation des réacteurs nucléaires existants au-delà de 60 ans, impliquent des paris technologiques lourds pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050 »
Ma ccl: La France a été capable de mettre en service 40 réacteurs nucléaires en 10 ans dans les années 80! Le pari est donc nettement plus important sur nos capacités à construire un système reposant largement sur éolien/PV, que sur nos capacités à reconstruire des réacteurs nucléaires.
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