Lancé par la chercheuse CNRS en sciences cognitives Camille Jeunet Kelway il y a 5 ans, le projet Neurathletics s’appuie sur l’imagerie motrice, des exercices de visualisation durant lesquels les athlètes répètent mentalement des mouvements sans les exécuter physiquement. Cette technique permet d’améliorer la performance des athlètes. Le projet Neurathletics vise à aider les athlètes à réaliser cet exercice plus efficacement, avec un retour en temps réel sur l’activité de leur cerveau.
Passionné de sport et avec un doctorat en neurosciences cognitives, Mathieu Pachoud a rejoint le projet en septembre 2024. Il est chargé du développement technique et scientifique du projet et sera le directeur scientifique lorsque la start-up sera créée courant 2025.
Techniques de l’Ingénieur : Comment est né le projet Neurathletics ?
Mathieu Pachoud : Tout part du neurofeedback, l’axe de recherche de Camille Jeunet Kelway. Il s’agit d’enregistrer l’activité du cerveau et d’avoir un retour en temps réel sur ce qu’il s’y passe. Camille faisait de la recherche appliquée sur des patients atteints de Parkinson pour réduire les symptômes moteur et sur des personnes victimes d’AVC pour aider à la rééducation. Un troisième volet de la recherche concernait l’aspect sportif avec l’optimisation du mouvement. Beaucoup d’athlètes travaillent déjà avec l’imagerie motrice, à savoir le fait d’imaginer un mouvement lorsqu’on est au repos. L’idée derrière cet exercice est d’activer les mêmes neurones que ceux qui sont actifs pendant l’exécution du mouvement lui-même. Cela complète l’entraînement physique en renforçant les circuits du cerveau et donc participe à améliorer la performance et la précision du mouvement.
Le problème derrière cet exercice d’imagerie motrice est qu’il y a plusieurs manières de le pratiquer. Si on se visualise -soi-même ou quelqu’un d’autre- en train de réaliser le mouvement, il s’agit d’imagerie visuelle. Cette manière de faire n’est pas efficace pour améliorer ses performances car elle active les aires visuelles et non pas motrices. Pour être efficace, il faut pratiquer l’imagerie kinesthésique, en activant toutes les sensations liées à un mouvement. Cela peut être la contraction des muscles ou la sensation de toucher avec un ballon par exemple. En activant tous les sens, on arrive à activer le cortex moteur, ce qui nous intéresse particulièrement dans cet exercice. Il y avait donc un besoin à accompagner les athlètes à mieux réaliser cet exercice.
En quoi consiste votre solution ?
En utilisant un bonnet d’électrodes pendant que l’athlète effectue son imagerie motrice, nous pouvons lui dire en conditions réelles si ce sont les bonnes zones qui sont activées ou au contraire, s’il faut changer de stratégie car il y a plus d’activité sur le cortex visuel que moteur. Neurathletics, c’est un électroencéphalogramme qui permet d’enregistrer l’activité du cerveau à travers le crâne, avec une application qui donne un neurofeedback à l’athlète en temps réel. Cet outil est surtout destiné aux coachs et aux centres d’entraînements pour aider à la préparation mentale des athlètes. Les coachs vont ainsi créer une session d’entraînement d’imagerie motrice et décider quels mouvements travailler, puis grâce à l’application, ils peuvent vérifier si les exercices donnés sont travaillés avec efficacité.
Comment se passent les tests avec les athlètes ?
Nous travaillons avec une dizaine d’athlètes de haut niveau, dont des médaillés olympiques. Nous avons mis à leur disposition un bonnet d’électrodes ainsi qu’une première version prototype de l’application sur ordinateur ou tablette. Les athlètes se connectent à l’application et choisissent leur sport. Différents fonds visuels sont disponibles pour se mettre dans un environnement propice à l’imagerie motrice : basket, natation, fond neutre… Ils peuvent ensuite lancer une session et commencent leurs exercices d’imagerie motrice. Sur l’application, les athlètes voient en temps réel l’activité de leur cerveau. Deux zones sont visibles -une partie de leur cortex visuel et une partie du cortex sensorimoteur- et ils ont pour objectif d’avoir la meilleure activité possible dans le cortex sensorimoteur.
Comme notre solution est toujours en phase de développement, les athlètes nous font des retours réguliers et de notre côté, nous récupérons les données de l’activité cérébrale pour les analyser. En comparant les données, nous pouvons quantifier l’amélioration de leur entraînement.
Pour quels sports votre solution est-elle la plus efficace ?
Certains sports sont plus propices que d’autres, notamment les sports avec des mouvements stéréotypés, donc répétitifs. C’est le cas du rugby, du tennis, de la natation, du tennis de table, du tir sportif… Le but est de diminuer la variabilité qu’un athlète va avoir d’un mouvement à un autre. Mais notre solution peut aussi fonctionner avec tout type de sports car il y a des mouvements répétitifs dans chaque discipline.
Comment vérifier l’impact de votre solution sur les performances des athlètes ?
Tout d’abord, l’impact de l’imagerie motrice est déjà prouvé. De notre côté, nous accompagnons les athlètes à réguler leur activité cérébrale pour avoir un entraînement mental plus efficace. Il reste compliqué d’évaluer précisément l’impact concret de notre solution sur la performance sportive des athlètes car beaucoup de paramètres entrent en jeu, mais nous sommes actuellement en phase d’analyse pour essayer de l’estimer. En ce sens, nous avons aussi des projets de recherche parallèles avec d’autres universités.
Quels sont vos projets pour 2025 ?
Pour le moment, Neurathletics est en phase de maturation avec des financements publics du CNRS et de la SATT Aquitaine. Notre but est de créer une start-up en septembre 2025 pour passer à des financements privés, et sortir ainsi la première version commercialisable de l’application. Nous réfléchissons aux modalités mais nous penchons pour une forme d’abonnement mensuel avec des packs de prix différents selon la complexité de la solution : une fonctionnalité de base avec l’entraînement et le feedback de l’activité du cerveau en temps réel, mais aussi des packs plus élaborés où nous proposerons l’analyse des données et l’accompagnement de l’athlète. Pour l’instant, notre solution est destinée au très haut niveau mais nous aimerions à terme la rendre plus accessible et moins chère, un peu sur le modèle des montres connectées qui donnent des informations sur la session et l’évolution des coureurs, mais par rapport au cerveau. En parallèle, nous aimerions aussi continuer les recherches scientifiques grâce à l’analyse des données pour trouver de nouveaux marqueurs et améliorer l’efficacité de la solution.
Propos recueillis par Alexandra Vépierre
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