Pour soutenir les acteurs de la filière betterave-sucre, le ministre de l'Agriculture propose un plan d’action afin de sécuriser les plantations et l’approvisionnement des sucreries. Il veut réautoriser les semences enrobées d’insecticides de la famille des néonicotinoïdes pour les semis du printemps 2021, possiblement jusqu’en 2023. Les professionnels se réjouissent, les ONG s’insurgent.
Le 31 juillet dernier, la FNSEA, les Jeunes agriculteurs et la confédération générale des planteurs de betterave (CGB) interpellaient le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Julien Denormandie dans une tribune. Les betteraviers font actuellement face au virus de la jaunisse transmis par les pucerons. Se développant partout en France, cette maladie peut entraîner des pertes de rendements, pouvant atteindre entre 30 et 50 %. Ils ont été entendus. Face à la menace d’un abandon massif de la culture de betterave l’année prochaine au profit d’autres cultures, Julien Denormandie veut réautoriser les néonicotinoïdes pour les semis de 2021. « C’est une question de souveraineté », juge-t-il. La France est le premier producteur de sucre européen. Le secteur concerne 46 000 emplois dont 25 000 agriculteurs et 21 sucreries.
Le retour des néonicotinoïdes pour un à trois ans
Autrement connus sous le nom de « pesticides tueurs d’abeilles », les insecticides néonicotinoïdes sont interdits en France depuis septembre 2018, conformément à la Loi de reconquête de la Biodiversité votée en 2016. Cette interdiction a été étendue aux produits ayant le même mode d’action par la loi issue des États Généraux de l’Alimentation. Alors que le gouvernement se vantait d’être pionnier sur la question, il met désormais en avant le fait que la réglementation française est plus poussée qu’au niveau européen, ce qui entraînerait une distorsion de concurrence. À chaque période son discours.
Plusieurs pays européens ont en effet recours aux dérogations prévues par l’article 53 du règlement européen n°1107/2009. « Un État membre peut autoriser, pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables », prévoit-il. Le ministère de l’Agriculture et la FNSEA s’appuient sur l’inefficacité des alternatives disponibles dans les conditions climatiques observées début 2020 pour justifier le recours à cette dérogation.
Cette dérogation de 120 jours s’appliquera pour la campagne 2021 et pour « les deux campagnes suivantes tout au plus » au moment des semis pour les semences enrobées, « dans des conditions strictement encadrées », insiste le ministère. « Les betteraves ne produisent pas de fleurs avant la période de récolte, ce qui circonscrit l’impact de ces insecticides sur les insectes pollinisateurs », veut-il rassurer. L’utilisation par pulvérisation restera toutefois interdite. Afin d’éviter l’exposition d’insectes pollinisateurs aux résidus de produits, il sera interdit de planter des cultures attractives de pollinisateurs, suivant celles de betteraves. Le plan de soutien annoncé par le ministre comprend aussi le déblocage de 5 millions d’euros supplémentaires en 2021 au profit de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et de l’Institut Technique de la Betterave (ITB) pour trouver au plus tôt des alternatives fiables.
La FNSEA se félicite, les ONG s’indignent
La FNSEA et les Jeunes agriculteurs se félicitent d’« un soutien fort à un secteur stratégique ». Ils promettent que « les producteurs se sont engagés pour que toutes les précautions soient prises afin que la dérogation soit circonscrite. Les itinéraires techniques qui préservent la biodiversité, comme les engagements environnementaux seront tenus ». De son côté, la confédération générale des planteurs de betterave accueille positivement ces premières réponses et appelle à un nouveau cadre stabilisé avant fin septembre.
La voie est toute autre du côté des associations écologistes. François Veillerette, directeur de Générations Futures, qualifie ces dérogations de « recul inacceptable » et promet d’employer toutes les voies de recours possibles contre cette décision. « Nous ne pouvons pas admettre que l’on revienne à l’utilisation de ces insecticides en enrobage de semence car cela revient à traiter a priori les cultures de betterave, ce qui constitue le degré zéro de l’agronomie, alors que la Directive européenne sur l’utilisation des pesticides préconise ‘la lutte intégrée contre les ravageurs’, ce qui sous-entend que le traitement chimique ne doit intervenir qu’en dernier recours et non pas avant même l‘apparition d’un ravageur ! », s’indigne-t-il.
Pour mettre en place cette dérogation, le gouvernement devra sans doute modifier la loi Biodiversité, durant l’automne. L’association Agir pour l’environnement promet d’être au rendez-vous et invitera les parlementaires à voter contre. Elle craint déjà l’extension de cette dérogation à d’autres groupements de producteurs, comme les maïsiculteurs qui ont déjà fait part de leur demande de dérogation.
Pour l’association de protection des abeilles et des pollinisateurs sauvages Pollinis, « cette dérogation d’urgence est une rustine qui ne sauvera pas un système défaillant ». L’association invite à développer des pratiques agricoles permettant de réduire la pression des nuisibles – rotations, couverts végétaux, lutte biologique… –, associées à une politique de transition, comme un fonds mutuel d’indemnisation, par exemple, permettant aux agriculteurs en bio ou en conversion de faire face au risque d’une diminution de rendement. « Seule la mise en place d’un modèle agroécologique résilient, respectueux de la nature et des agriculteurs, permettra de répondre au défi de la souveraineté alimentaire, de s’adapter au changement climatique et d’assurer une production durable », conclut l’association.
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