Néolithe est une société créée en janvier 2019 qui développe une nouvelle voie de traitement des déchets non-recyclables en proposant une alternative à l’enfouissement et à l’incinération : la fossilisation accélérée, qui stocke plus de carbone qu’elle n’en émet. Ce procédé breveté consiste à transformer les déchets non recyclables en Anthropocite, nouvelle matière se présentant sous la forme de granulats minéraux utilisables dans le secteur de la construction.
Nicolas Cruaud, président et cofondateur de Néolithe, a répondu aux questions de Techniques de l’Ingénieur, suite à la participation de Néolithe au salon Global Industrie 2023.
Techniques de l’Ingénieur : Présentez-nous Néolithe ?
Nicolas Cruaud : Nous avons créé Néolithe, avec mes deux associés, Clément Bénassy et William Cruaud, il y a trois ans. Aujourd’hui notre start-up industrielle compte 168 salariés. Le pari que nous nous sommes lancés est de traiter industriellement et écologiquement les déchets non-recyclables en mélange (comme le plâtre, les plastiques, le bois, les isolants…). Ce que l’on appelle le refus de tri.
Pour tous ces déchets, il n’y avait que deux solutions de traitement : l’enfouissement et l’incinération, des méthodes intrinsèquement polluantes qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre. Pour répondre plus proprement à ce besoin, nous avons inventé une troisième voie de traitement des déchets : la fossilisation accélérée, qui séquestre du CO2 au lieu de le réémettre dans l’atmosphère. Ce procédé est né de l’observation de mon père William Cruaud, tailleur de pierre en Anjou, qui a analysé la pierre de tuffeau issue de la sédimentation des déchets du crétacé en calcaire.
Inspirés par ce processus naturel de sédimentation, nous avons cherché à reproduire cette transformation et c’est ainsi que nous avons mis au point notre procédé de fossilisation accélérée, qui vient bouleverser le mode de traitement des déchets en les transformant en pierre.
Moins émetteur de gaz à effet de serre et assurant la revalorisation de 100% des déchets traités en granulats minéraux utilisables dans le secteur de la construction, ce procédé innovant se positionne comme une alternative à l’enfouissement et à l’incinération.
Pour vous donner une échelle, si demain nous traitions par fossilisation accélérée l’ensemble des déchets émis en France chaque année, nous pourrions réduire l’empreinte carbone française de 5 à 10 %, toutes industries confondues. Ce procédé est donc en situation de faire évoluer la décarbonation de manière très significative.
Comment fonctionne votre procédé de fossilisation accélérée ?
Pour rappel, Néolithe est une start-up industrielle spécialisée dans la conception et la fabrication de fossilisateurs, des unités industrielles de traitement des déchets non-recyclables (non-inertes et non-dangereux) par fossilisation accélérée.
Implantés directement sur les plateformes ou les centres de tri qui réceptionnent et captent les déchets, nos fossilisateurs, qui représentent une surface au sol d’environ 500 m², sont capables de traiter 10 000 tonnes de déchets par an. Il s’agit d’une solution qui participe activement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en stockant plus de carbone qu’elle n’en émet. Cela via un procédé entièrement mécanique, ne nécessitant aucune chauffe et n’émettant aucun rejet (odeur, fumée, eaux usées…). Aujourd’hui nous traitons essentiellement les déchets industriels banals issus du secteur de la construction, appelés DIB. Nous prévoyons d’ici 2 ans de traiter également les ordures ménagères.
Pour revenir plus en détail sur ce procédé à froid unique, voici les principales étapes qui le composent : La première étape, dite de broyage, consiste à réduire les déchets à l’échelle d’une sorte de farine très fine (grains entre 0 et 500 microns). La seconde étape, dite de mélange, consiste à faire réagir cette farine de déchets avec des liants qui permettent de minéraliser la matière. À la fin de cette réaction, nous obtenons une sorte de pâte à modeler minérale. Concernant les liants que nous utilisons lors de cette étape, il s’agit de formulations que nous avons mises au point et que nous produisons nous-mêmes. La troisième étape, dite de façonnage, consiste à presser et à modeler cette pâte minérale pour obtenir des granulats de la forme et de la densité souhaitée. Les granulats minéraux issus de la fossilisation accélérée des déchets sont appelés « Anthropocite ». Ils peuvent se substituer à des granulats naturels issus des carrières pour une utilisation en béton non-structurel, sans risque technique ou environnemental.
De plus, ils agissent en tant que puits de carbone en prévenant la dégradation des matières biogéniques contenues dans le DIB de chantier. L’Anthropocite a un bilan carbone négatif, c’est-à-dire que pour une tonne de déchets traitée, 338 kg de CO2 équivalent est stocké au sein des granulats. La fabrication et l’utilisation de ces granulats ont donc un effet positif sur l’environnement.
Enfin le CSTB a délivré une Evaluation Technique de Produits et Matériaux (ETPM) afin de prouver la qualité des bétons non-structurels composés de 10% de granulats d’Anthropocite.
Cet agrément est le socle prouvant la qualité de l’Anthropocite et ouvrant la voie vers de nouveaux usages. Aujourd’hui, ce matériau est utilisable par des professionnels au sein des bétons non-structurels, première étape indispensable avant la réalisation de bétons structurels. Néolithe a pour objectif d’étendre les usages de ce nouveau matériau vers d’autres types de bétons et à des pourcentages de plus en plus élevés, avec un objectif, à court terme, de 30 % de substitution de granulats traditionnels.
En quoi la fossilisation accélérée constitue-t-elle une technologie innovante de traitement des déchets ?
Notre procédé de fossilisation accélérée des déchets non-recyclables est très bien accueilli. Il est une réponse industrielle aux problématiques environnementales d’aujourd’hui, et par conséquent, il s’inscrit pleinement dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone.
Pour recontextualiser la gestion des déchets non-recyclables, les solutions actuelles de traitement comme l’enfouissement ou l’incinération, deviennent de plus en plus contraignantes et coûteuses. L’enfouissement est voué à disparaître, et l’incinération n’est clairement pas une solution d’avenir de par ses émissions de CO2. Les industries recherchent et se tournent donc de plus en plus vers de nouveaux procédés pour traiter leurs déchets.
De plus, si la question environnementale via les émissions de CO2 n’était pas prioritaire il y a cinq ou dix ans, elle est devenue essentielle et capitale aujourd’hui. Au-delà des industries, notre solution décarbonée de Fossilisation Accélérée des déchets non-recyclables intéresse l’ensemble des acteurs de la filière : politique, société civile…
Enfin, le granulat d’Anthropocite qui résulte de ce procédé est le matériau idéal pour toutes les entreprises du secteur du BTP qui cherchent à décarboner leurs activités.
Quels étaient les enjeux de votre présence à Global Industrie cette année ?
Nous pensons vraiment que nous avons le potentiel de créer un impact positif à l’échelle industrielle car notre procédé traite les déchets non-recyclables et capture le carbone.
Être présent à la 5ème édition de Global Industrie, la plus grande vitrine française de l’innovation industrielle, et remporter un Global Award en présence de Roland Lescure, ministre de l’Industrie, et de Nicolas Dufourcq, DG de la Bpifrance, nous aide à gagner une crédibilité et, espérons-le, nous aidera à nous développer plus rapidement pour traiter les déchets dans le monde entier.
Quels sont les autres salons auxquels vous participez en général ?
Nous participons à plusieurs salons cette année, comme Talent For The Planet, Le Jour E, Concrete Expo, SIM, Pollutec, SMCL… L’un des principaux est Pollutec qui se déroulera du 10 au 13 octobre 2023 à LYON Eurexpo. Il s’agit du rendez-vous incontournable pour les acteurs du déchet, de l’environnement et de la transition écologique. Il est primordial de promouvoir la fossilisation accélérée des déchets non-recyclables.
Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?
Notre ambition principale est de participer activement et significativement à la réduction des gaz à effet de serre pour limiter au maximum les impacts liés au réchauffement climatique.
Pour atteindre cet objectif ambitieux et urgent, nous développons très rapidement notre activité. Nous recrutons en moyenne 2 collaborateurs/trices par semaine dans tous les secteurs (administratif, ingénierie, laboratoire, production…) afin d’assurer notre développement. D’ailleurs, n’hésitez pas à nous contacter pour participer à notre aventure !
Nous sommes actuellement en train d’installer notre premier Fossilisateur industriel et nous planifions à l’horizon 2023 d’en installer sept en France. À l’horizon 2026, nous visons une capacité de traitement de 2,5 millions de tonnes de déchets ultimes soit l’économie d’1 million de tonnes de CO2 par an.
Enfin, nous visons également un déploiement à l’international. Nous entamons dès à présent des démarches pour installer des Fossilisateurs à l’extérieur de nos frontières : Angleterre, pays nordiques, Suisse, et même Japon (pays très contraints en termes de surfaces).
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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