La transformation numérique touche aussi le bâtiment. Depuis quelques années, le monde de la construction évolue avec l’émergence du BIM et des jumeaux numériques qui apparaissent en amont de la construction. Le BIM, Building Information Modeling ou modélisation des informations du bâtiment, est un processus de génération des données pour la conception et la construction d’un bâtiment. Des outils utilisent les données afin de modéliser le bâtiment, l’édifice ou l’ouvrage à construire et créent une maquette virtuelle en 3D, qui évolue en temps réel en fonction des modifications apportées par les différents corps de métier.
De nouveaux métiers se sont créés pour répondre aux nouveaux besoins, comme celui de BIM manager. Nawar Zreik exerce ce métier depuis bientôt 3 ans au sein de Walt Disney Imagineering. Issu d’une formation et d’une expérience d’architecte, il s’est toujours intéressé à l’informatique graphique et à l’émergence des nouvelles technologies. Il revient sur ses missions et sur les évolutions dans le milieu de la construction.
Techniques de l’Ingénieur : En quoi consiste le métier de BIM manager ?
Nawar Zreik : Un BIM manager intervient au niveau de la préparation des projets, notamment concernant la création des cahiers de charges et des protocoles pour l’application du BIM sur une opération. Il part des objectifs définis en amont par la maîtrise d’ouvrage, et regarde comment il peut intégrer la démarche BIM dans ce cadre-là. Dans un premier temps, il a un rôle de conseil pour préparer les objectifs avec le client, puis il va être un élément central entre les différents acteurs sur le projet, car il a le rôle d’un passeur d’information. Il est ainsi amené à travailler avec des architectes, des ingénieurs structures, des ingénieurs mécaniques etc. Ensuite, il contrôle la conformité. Pour cela, il va contrôler les documents pour s’assurer que ce qui était prévu a été exécuté au regard des standards BIM établis, quitte à faire des modifications si nécessaire. Il est en quelque sorte le « gardien des jumeaux numériques ».
Quel est votre parcours, ce qui vous a mené à ce poste ?
J’ai débuté dans le milieu de la construction en 1988 en tant qu’architecte et j’ai suivi l’évolution des technologies, toujours en étant axé sur le métier. Je suis un passionné d’informatique graphique et l’évolution des technologies, passant de la 2D à la 3D, à l’architecture objet et au jumeau numérique, m’a beaucoup inspiré. En parallèle, j’ai beaucoup travaillé comme enseignant, ce qui m’a ouvert aux nouveaux outils. J’ai principalement cherché à rentrer dans une logique de production de projet et non uniquement de production des documents graphiques. Et justement, dans le BIM, les documents et le projet sont intimement liés car on crée un jumeau numérique et les documents techniques deviennent un résultat de ce travail et non pas l’objectif.
Vous travaillez à Walt Disney Imagineering. Quelles sont les spécificités à travailler dans un parc d’attractions ?
Elles sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, il y a un mariage entre différents corps de métier et spécialités que l’on ne retrouve pas habituellement dans la construction. À Disney, il y a différents pôles et j’appartiens à celui de la construction des bâtis pour le parc d’attractions. Une place prépondérante est donnée au spectacle, au côté artistique. Ainsi, une multitude de métiers viennent se rajouter à la conception comme des décorateurs, des sculpteurs, des ingénieurs de développement afin de travailler les techniques d’animation, la réalité virtuelle etc. Il ne faut pas oublier que les gens viennent à Disney pour le spectacle, donc il faut trouver l’équilibre entre des métiers très divers, mais essentiels. La démarche artistique se fait dès le début afin de trouver l’identité visuelle, et à partir de là, les intentions graphiques vont se transformer en orientations réelles pour le projet. C’est donc l’artistique qui guide la partie conception, et qui rajoute de multiples couches qui n’existent pas dans les projets classiques.
L’autre particularité de Disney est que tout le projet est réalisé en interne. On dispose donc de toutes les équipes sur place pour effectuer les études, ce qui les rend plus pertinentes. Souvent, quand on est BIM manager d’une opération classique, on est tiraillé entre toutes les équipes qui interviennent car chaque équipe a ses propres objectifs, ses problématiques économiques, donc l’application d’un standard BIM est plus difficile quand tous ont des intérêts divers. Disney dispose de l’ensemble de l’ingénierie sur place donc on a tous un objectif commun qui est de sortir le projet. Cela facilite aussi grandement la communication et augmente notre efficacité.
Qu’est-ce que les nouvelles technologies ont apporté au domaine de la construction ?
Le jumeau numérique permet de réaliser une construction virtuelle avant de démarrer la construction. L’idéal est d’initier cette démarche dès les premières phases de conception pour pouvoir introduire les difficultés techniques réelles et ainsi avoir un impact plus performant. Le simple fait de pouvoir coordonner les différents corps de métier et de les voir évoluer ensemble sur le projet va éliminer énormément de problèmes qu’on pourrait retrouver lors de la phase de construction. Le BIM apporte une visibilité, une capacité de communiquer et surtout de maintenir l’information à jour tout le temps. Par exemple, un ingénieur structure voit l’évolution du projet et peut réagir immédiatement si une modification réalisée par un architecte a un impact sur son travail. Ainsi, ces nouvelles technologies permettent d’anticiper ce qui va se passer par la suite.
Y a-t-il de nouveaux outils qui sont en train d’émerger actuellement ?
Il y a tout le temps des nouveaux produits et outils. Aujourd’hui, on a quelques domaines dans lesquels les outils vont évoluer un peu plus. En termes d’études, la partie simulation thermique se développe et les outils sont en cours d’intégration dans les maquettes BIM, grâce à des logiciels capables de communiquer entre eux. Ensuite, le BIM GEM (Gestion Exploitation Maintenance) gagne en importance, afin de prendre en compte la phase d’utilisation des bâtis, après la construction. Enfin, la réalité virtuelle continue d’être un sujet, mais c’est plus anecdotique.
Qu’est-ce que cela implique de travailler dans un domaine récent ? Avez-vous assez de littérature sur le sujet ? Comment suivez-vous l’évolution des pratiques ?
C’est de la formation continue, de la veille technologique, de la remise en question permanente. En soi, les tâches classiques d’un BIM manager ne sont pas très complexes à partir du moment où on a établi une stratégie. Après, il s’agit de continuellement regarder comment améliorer les processus, utiliser de nouveaux outils ou les nouvelles versions des logiciels, regarder ce qui se fait ailleurs. Notre travail dépend encore grandement des personnes qui travaillent derrière leurs écrans, on n’est pas encore dans une démarche d’intelligence artificielle qui règle tout. Alors tout ce qu’on peut économiser comme temps et erreurs est le bienvenu. C’est une recherche constante.
À quelles difficultés êtes-vous confronté ?
Le BIM étant une technologie récente, beaucoup d’entreprises ne sont pas encore passées à cette technologie. Ce n’est pas le cas pour Disney puisque tout est fait sur place, mais en temps normal, les opérations sont sous-traitées à d’autres entreprises. Or, si tout le monde n’a pas fait la transition, on ne peut pas travailler sur les maquettes numériques. On est sans cesse confronté à cette problématique.
Comment faire aujourd’hui pour devenir BIM manager ?
Il existe quelques Masters pour se former, mais je dirais que c’est plutôt un métier que l’on exerce à l’issue d’une expérience de travail dans la production des documents. Ce métier s’adresse aux personnes qui s’intéressent à l’informatique graphique, et qui ont une vision très horizontale de la production. Elles sont capables de regarder la globalité d’une opération et de se rapprocher de tous les métiers pour comprendre ce dont ils ont besoin. Par ailleurs, le titre de BIM manager peut être associé à deux types de métiers. Le premier, celui que j’exerce, est lié à la production et à l’accompagnement de projets. Le second est plus théorique, et est centré sur des sujets de stratégie et la production de documents à destination des directions.
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