Le 29 septembre se tenait à Bruxelles la conférence Nanocode, organisée par les partenaires européens du projet du même nom financé dans le cadre du 7ème PCRD (Programme Cadre de Recherche et Développement) européen. Cette conférence, dont le programme est téléchargeable ici, devait traiter de l’avenir du Code de bonne conduite pour une recherche responsable en nanosciences et nanotechnologies.
Ce texte est une recommandation de la Commission européenne datée du 7 février 2008, qui n’a pas, pour l’heure, de valeur juridique : il n’est ni obligatoire ni contraignant, et n’a pas été formellement adopté ni décliné dans les États membres – à l’exception des Pays-Bas qui font de son respect une condition pour l’obtention de fonds publics.
Nous nous focalisons ici sur l’un de ses sept principes généraux, les plus polémiques : celui de la responsabilité des scientifiques, énoncé comme suit : « Les chercheurs et les organismes de recherche demeurent responsables des incidences sur la société, l’environnement et la santé humaine que leurs recherches en nanosciences et nanotechnologies peuvent entraîner pour les générations actuelles et futures. »
Au vu des incertitudes relatives aux risques sur la santé, l’environnement et les libertés publiques que suscitent les nanotechnologies, il est peu étonnant que ce principe soit contesté : des scientifiques se sont exprimés à ce sujet, notamment dans le cadre de consultations ou discussions organisées ou mandatées par les institutions européennes.
- Quelle responsabilité des scientifiques quant aux incidences de leurs recherches ?
Une première critique entendue par les partenaires du projet NanoCode : beaucoup de scientifiques récusent la formulation actuelle qui, telle que libellée en anglais – « accountability » – sous-tend la nécessité de rendre des comptes à la société. Le physicien Richard Jones, Pro-Vice Chancelier à la Recherche et l’Innovation de l’Université de Sheffield (Royaume-Uni) considérait dès 2009 qu’il est difficile de défendre la mise en place d’une responsabilité légale des scientifiques eu égard aux conséquences de leur recherche, tant ces dernières sont souvent très difficiles à prévoir à un stade précoce. Les scientifiques qui font une découverte originale n’ont qu’une influence très limitée sur la façon dont elle sera commercialisée.
Une proposition consiste à la remplacer par celle de « responsibility » qui se limiterait ainsi à une responsabilité morale… Richard Jones, déjà cité plus haut, juge qu’ « il serait sans doute plus utile de penser les responsabilités des chercheurs en termes d’obligation morale à se pencher sur les conséquences possibles, à examiner différents points de vue, et à avertir des risques possibles » de leurs recherches. Puisque de nombreux scientifiques formulent des promesses merveilleuses pour appuyer leurs demandes de financements, c’est donc qu’ils savent projeter dans l’avenir leur recherche fondamentale ; ils ont donc aussi un rôle à jouer dans la prévention des conséquences négatives : non seulement en tentant de les anticiper mais aussi, comme le note une commentatrice du blog de Richard Jones ainsi que de nombreux autres acteurs, en favorisant les initiatives pluridisciplinaires et d’ouverture à la société civile.
Nuançons le propos, en ajoutant à cela le fait qu’il existe, au sein même de la communauté des nanosciences, une grande diversité de profils de chercheurs, dont la responsabilité n’est pas de même nature. Tous les chercheurs en nanosciences ne sont pas cantonnés à la recherche sur le papier… avec le développement des sciences et technologies émergentes, ils sont de plus en plus nombreux à utiliser leurs compétences de chercheurs pour créer des start-ups qui commercialisent des produits ou procédés nanos par exemple. Aspect souvent occulté dans les discussions, par exemple celle sur le partage des responsabilités entre les acteurs de l’innovation nanotechnologique que nous traitons au point suivant.
- Quel partage des responsabilités entre les acteurs de l’innovation nanotechnologique ?
Une deuxième critique faite au Code est qu’il est restreint aux seuls chercheurs ; certains souhaiteraient voir traitée la question du partage des responsabilités entre les chercheurs, les industries et les pouvoirs publics. C’est par exemple la position défendue par Richard Jones qui souligne sur les limites de la responsabilité individuelle des scientifiques pris isolément, et insiste sur la responsabilité collective des institutions (laboratoires, financeurs, ministères,…) encore trop peu portées sur le développement de l’éthique. En cas d’impacts négatifs sur l’environnement ou la santé, la responsabilité principale relève selon lui moins des chercheurs que de ceux qui sont directement responsables des conditions dans lesquelles les personnes ou les écosystèmes ont été exposés au risque.
Mais quid des recherches qui entrent dans le cadre de partenariats publics / privés ? Quid des chercheurs « entrepreneurs » qui exercent dans le cadre de start-ups situées à la porte des laboratoires académiques où ils travaillent ?
- Quelle spécificité des nanosciences ?
Une troisième critique relayée par les partenaires du projet NanoCode a trait au périmètre même du Code : le fait qu’il soit uniquement ciblé sur les nanosciences et nanotechnologies est questionné ; le caractère général de ses principes, affirment-ils, font que le texte est, en l’état actuel, valable pour l’ensemble des sciences.
On retrouve donc chez les chercheurs de « sciences dures » un clivage qui existe également parmi les chercheurs en sciences sociales : si Bernard Baertschi, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Genève, considère que « les nanotechnologies ne soulèvent aucun problème éthique nouveau et particulier », d’autres philosophes considèrent quant à eux que les propriétés inédites des nanotechnologies et surtout le projet à l’oeuvre derrière les programmes de développement des nanotechnologies, et leur convergence avec les biotechnologies, sciences de l’information, et sciences cognitives (NBIC), justifient le développement d’une bionano-éthique…
(Source : Veille Nanos)
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