Décryptage

Nano-électronique : un monde plein d’exotisme

Posté le 26 juillet 2017
par Sophie Hoguin
dans Informatique et Numérique

Toujours plus vite. Toujours plus petit. Voilà le credo de la recherche en électronique. Désormais passé à l'échelle nanométrique, nous voici dans un monde exotique où tout est possible. Reste à découvrir et maîtriser ces nouvelles propriétés et les matériaux qui les portent.

L’électronique nanométrique n’en est qu’à ses balbutiements. Elle revisite les moyens de stocker et déplacer de l’information numérique. Elle s’appuie sur des matériaux déjà connus dont on découvre de nouvelles propriétés en explorant les changements d’états de la matière et leur transition au niveau nanométrique et sur des matériaux plus récents comme les matériaux bidimensionnels. Elle fait intervenir une physique quantique qui va certainement offrir un avenir radieux, mais pour l’instant imprévisible, à l’électronique.

Le spin est idéal !

Toute une nouvelle électronique s’appuie aujourd’hui sur la notion de spin dans les électrons. On est donc passé d’une électronique fondée uniquement sur des déplacements de charges électriques liés aux électrons -principalement dans des matériaux semi-conducteurs – à une électronique qui s’appuie sur des propriétés magnétiques. En effet, le spin quantique des électrons est l’équivalent quantique du moment cinétique en physique classique. Et pour l’électron son spin est responsable aussi de son moment magnétique. Quand on applique un champ magnétique spécifique, le spin de l’électron bascule d’une orientation à l’autre. Cette propriété est à la base de la spintronique. Les recherches en spintronique sur des matériaux multicouches somme toute assez simples (alternance de couches ferrogmagnétiques et de couches isolantes) ont mené à la découverte en 1988 de l’effet de magnétorésistance géante (GMR) par les équipes d’Albert Fert (Paris-Sud) et Peter Grünberg (Université de Cologne) qui leur a valu un prix nobel en 2007. La GMR (via l’introduction d’une magnétorésistance à effet tunnel) a permis de multiplier par 1000 la capacité des disques durs des ordinateurs courants et est à la base des mémoires MRAM (Magnetoresistive random-access memory). Ce type de mémoire informatique a été pour l’instant réservée à des secteurs de haute technologie (aéronautique, spatial et militaire ou automobile) car très fiable y compris dans des conditions extrêmes mais encore très chère. Ses performances et la maîtrise de leurs productions commencent à en faire de réel composants compétitifs face aux autres technologies support de l’informatique. Notamment via le développement de nouveaux types de commandes des MRAM (pour créer des STT-RAM – spin-transfer torque) qui devrait aboutir d’ici 2018 à des intégrations dans des secteurs plus grand publics.

Des ondes de spin aux skyrmions

A côté de ce travail sur la spintronique, les physiciens se sont intéressés aux ondes de spin. En effet, dans des matériaux magnétiques ordonnés chaque spin est en interaction avec les spins voisins et quand on en modifie un, ses voisins le sont de proche en proche provoquant une onde de spins. Ces ondes transportent de l’énergie par petites quantités bien définies, les magnons. La magnonique est donc l’électronique des ondes de spin qui, à l’instar d’autres types d’ondes, peuvent coder de l’information par modulation de leur phase, de leur amplitude ou de leur fréquence. Les physiciens ont donc commencé à travailler sur les cristaux magnoniques qui consistent en des empilements périodiques de couches magnétiques qui selon leur structure et leur composition ne laissent se propager que certaines fréquences d’ondes de spins. Parmi les autres matériaux qui sont étudiés comme support à la magnonique, on trouve des matériaux multiferroïques (présentant des propriétés de ferromagnétisme, ferroélectricité et/ou ferroélasticité), redécouverts dans les années 2000. Le composé le plus étudié est le ferrite de bismuth, un oxyde de fer et de bismuth (BiFeO3), abrégé en BFO qui présente, à température et pression ambiantes, des propriétés ferroélectriques et ferromagnétiques couplées.

Dans la continuité de l’étude des spins, les chercheurs se sont intéressés aux skyrmions. Ces derniers sont des tourbillons de spins qui ont la particularité d’être stables, lisibles, déplaçables effaçables « assez facilement » et avec très peu d’énergie. Ils pourraient donc être de bons candidats pour le stockage de données ultra miniature (un disque dur de la taille d’une pièce de 1 centime). Ils ont été observés à la surface de matériaux aussi divers que des supraconducteurs, des couches minces magnétiques, des cristaux liquides.

Les isolants topologiques, ces nouveaux métaux

Les isolants topologiques sont des matériaux dont certains étaient connus pour leurs propriétés thermoélectriques mais qui ont été dévoilés comme matériaux conducteurs en 2005. Ces matériaux ont une structure de type isolante mais présentent pourtant à leur surface des états « métalliques ». Ils sont donc isolants en volume et conducteurs en surface. L’antimoine via l’antimoniure de bismuth (qui sera le premier isolant topologique 3D a être réalisé) ou encore le mercure ont été à la base du développement de tels matériaux. Mais leur manipulation dangereuse a conduit à se tourner vers d’autres composant tels que des cristaux à base de bismuth. En 2012, de nouveaux matériaux topologiques sont détectés dans des sels de plomb et d’étain (étain+tellure par exemple). Quel intérêt pour l’électronique ? Le couplage entre direction du spin et courant. En effet, à la surface de ces matériaux tous les électrons se propageant dans une direction ont un spin identique, ce qui permet de contrôler des courants de spins sans avoir recours à des matériaux magnétiques.

Quand la lumière fait l’électronique

D’un côté les scientifiques jouent avec les interactions électricité/magnétisme et d’un autre avec électricité et lumière. C’est le domaine de l’opto-électronique.  Parmi les différentes voies explorées actuellement, on peut citer la plasmonique et et les propriétés particulières des dichalcogénures de métaux de transition (DMT).

La première concerne l’étude des plasmons de surface. Les plasmons sont des ondes de densité d’électrons ressemblant à des vagues qui sont générées dans certaines conditions par un rayonnement électromagnétique (la lumière notamment) à l’interface entre un métal (ou de certains composés bidimensionnels comme le graphène) et un matériau diélectrique comme l’air ou le verre. Les possibilités ouvertes par l’étude des plasmons sont assez vertigineuses allant de l’augmentation du rendement de diodes électroluminescentes ou de la résolution des microscopes à la transmission de données de circuits intégrés via des nanofils.

Assimilé aux matériaux 2D, les dichalcogénures de métaux de transition (DMT), dont le plus étudié est le disulfure de molybdène (MoS2), ont des propriétés très particulières pour l’optoélectronique. Ils ont en effet la capacité de transformer la lumière en électricité et vice-versa. Leur potentiel pourraient donc se développer dans des sources de lumière miniature, des systèmes d’affichages souples dont les premiers prototypes ont d’ailleurs déjà été testés.

Non les oxydes ne sont pas rouillés

Depuis une dizaine d’années, on a redécouvert un intérêt aux oxydes métalliques, composés d’un atome d’oxygène couplé à des atomes de métal de transition comme le cuivre ou le zinc. Leurs atouts pour l’électronique ? L’instabilité de leur structure cristalline particulière (structure pérovskite) lors de baisse de température par exemple qui engendrent chez eux des états possibles très différents : isolants, conducteurs, magnétiques, ferroélectriques, piézoélectrique etc. En variant les métaux utilisés on peut en faire des capteurs sensibles. Le BFO dont on a parlé précédemment en est un. Mais on a aussi découvert, une propriété inattendue, deux oxydes isolants mis en sandwichs créent à leur jonction une interface conductrice voire supraconductrice. Le phénomène a été mis en évidence en 2004 entre un oxyde de lanthane et d’aluminium (LaAlO3) et un oxyde de strontium et de titane (SrTiO3). Aujourd’hui on est capable de fabriquer de petits transistors utilisant des oxydes. L’oxytronique étudie les très nombreuses possibilité des ces structures que l’on peut empiler et combiner pour donner encore de nouveaux matériaux.

Où l’on retrouve encore les métaux de transition

Dans la catégorie matériaux bidimensionnels, le graphène et ses cousins (voir cet article) présentent de nombreuses potentialités, même si elles ont encore du mal à se concrétiser.

Assimilé aux matériaux 2D, les DMT et notamment le disulfure de molybdène évoqué plus haut,  sont aujourd’hui à l’origine de quelques avancées dans l’électronique à base de matériaux bidimensionnels. Ainsi, le MoS2 a servi au premier transistor à base de DMT et vient d’être le support au premier microprocesseur de l’électronique bidimensionnelle : un microprocesseur d’un bit intégrant 115 transistors à base de MoS2. Même si on est loin des capacités d’un microprocesseur standard en silicium cette réalisation est une percée importante dans ce champ de recherche. Et tout comme avec les oxydes, ces DMT peuvent être associés entre eux ou avec du graphène et d’autres matériaux 2D pour donner des matériaux aux propriétés très performantes qu’il reste à découvrir et à maîtriser.

Un travail de fourmi titanesque

Le constant va-et-vient entre la découverte de la physique nanométrique d’un côté et la découverte de matériaux aux propriétés inattendues donnent un foisonnement de la recherche qui ouvrent de nombreuses voies pour le développement d’une électronique nanométrique. Mais la concrétisation vers des productions industrielles prend et prendra encore du temps. Les techniques de fabrication des matériaux et les outils pour leurs études sont encore extrêmement récents. Et l’exploration de ce nouveau monde constitue un travail de fourmi titanesque…

Sophie Hoguin


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