Les grandes entreprises font de plus en plus de promesses sur leur « neutralité carbone » à venir ou leur objectif de devenir « zéro émissions nettes » en 2040 ou 2050. Mais leurs plans climatiques sont en réalité incompatibles avec une hausse des températures limitée à 1,5°C d’ici la fin du siècle, selon un nouveau rapport des groupes de réflexion New Climate Institute et Carbon Market Watch. Celui-ci évalue les stratégies climatiques de 24 des plus grandes entreprises mondiales qui mettent pourtant en avant leur leadership climatique.
Les auteurs ont défini quatre niveaux d’intégrité et de transparence : « haute », « raisonnable », « modérée » et « faible ». Aucune entreprise n’atteint le haut du panier. Le géant danois du transport maritime Maersk est le seul à avoir une stratégie climatique dont l’intégrité est qualifiée de « raisonnable » par les auteurs. Huit entreprises – Apple, ArcelorMittal, Google, H&M Group, Holcim, Microsoft, Stellantis et Thyssenkrupp – atteignent le niveau d’intégrité « modéré ». Quinze autres entreprises ont une intégrité faible ou très faible. L’entreprise française Carrefour se retrouve en queue de peloton, malgré une neutralité carbone visée pour 2040.
Des baisses d’émissions largement insuffisantes
La sentence est sans appel : il faudrait que les entreprises baissent deux fois plus leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 pour rester dans les clous de l’Accord de Paris. Selon les projections les plus optimistes, leurs engagements permettraient de réduire de 15 à 21 % les émissions de leur chaîne de valeur d’ici 2030. Pour limiter la hausse des émissions au niveau mondial à 1,5°C, il faudrait qu’elles les diminuent en réalité de 43 %, calculent les auteurs.
Les choses ne s’arrangent pas à long terme. Loin de baisser fortement leurs émissions, les entreprises tablent plutôt sur la compensation carbone, en plantant des arbres ou en finançant des projets d’énergie renouvelable. Pour atteindre la neutralité carbone, elles prévoient une baisse de leurs émissions de 36 % en moyenne. Le consensus scientifique est pourtant clair : la neutralité carbone nécessiterait de les réduire de 90 % à 95 %, pour la plupart des secteurs, avant de compenser les émissions résiduelles. « Cela démontre un gouffre énorme entre les engagements actuels des entreprises et ce qu’elles devraient faire pour éviter les impacts les plus dommageables du changement climatique », souligne le rapport.
Carrefour s’est officiellement engagé à réduire de 30 % ses émissions de GES d’ici 2030 et de 55 % d’ici 2040, par rapport à 2019. Mais le groupe semble exclure plus de 80 % de ses magasins franchisés de ses objectifs, estime le rapport. Concernant sa place en bas de classement, le groupe a réagi auprès de l’AFP : « Nous ne sommes pas d’accord », mettant en avant une trajectoire chiffrée de réduction, y compris sur des émissions indirectes, mais sans répondre sur la question du périmètre de magasins retenus.
« En faisant des déclarations aussi farfelues sur la neutralité carbone, ces entreprises trompent non seulement les consommateurs et les investisseurs, mais elles s’exposent également à une responsabilité juridique et réputationnelle croissante, juge Lindsay Otis, experte en politique sur les marchés du carbone chez Carbon Market Watch. Au lieu de cela, elles devraient mettre en place des plans climat ambitieux pour réduire leurs propres émissions, tout en finançant des actions en dehors de leurs propres activités, sans prétendre que cela les rend neutres en carbone. »
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