Fédérant quatorze partenaires basés en France, en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, le projet Motion – pour Mechanised Orthosis for Children with Neurological Disorders – bénéficie d’une équipe pluridisciplinaire, composée d’experts en ingénierie mécanique, informatique, ou encore biomédicale, mais aussi de cliniciens, à même de définir clairement les besoins des utilisateurs finaux : les enfants atteints de troubles neurologiques.
Alors que des orthèses actives motorisées pour la hanche et la cheville ont été développées par des équipes belges, un groupe français s’attelle quant à lui à la mise au point d’un exosquelette des membres inférieurs passif, à grand renfort d’outils numériques de simulation et de contrôle-commande.
Docteur en automatique, productique et informatique industrielle, enseignant-chercheur au sein de l’école d’ingénieurs Junia[1] et co-responsable du domaine ingénierie médicale et santé, Laurent Peyrodie est responsable du programme Motion. Il nous en retrace la genèse et les aboutissements.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les origines du projet MOTION ?
Laurent Peyrodie : Il y a une dizaine d’années, Luc Masson, père d’une enfant polyhandicapée, a rencontré un groupe d’étudiants. Il leur a demandé s’ils pouvaient construire un exosquelette qui permettrait à sa fille de marcher… Ces étudiants sont venus me voir pour me faire part de cette demande. Je suis en effet co-responsable du domaine ingénierie médicale et santé à Junia-HEI. J’ai dit « OK » ! Nous avons donc commencé à travailler sur des études de faisabilité, un cahier des charges… Nous avons par ailleurs rencontré des médecins. Au fil des discussions, nous en sommes venus à la conclusion qu’il y avait effectivement matière à proposer autre chose qu’un simple verticalisateur rigide. Nous avons donc monté un premier dossier et avons obtenu un financement Feder[2]. Nous avons poursuivi nos études et avons construit une première structure, un mini-démonstrateur.
Forts de cette première réalisation et de l’expérience acquise, nous avons voulu aller plus loin. Nous avons répondu à un appel à projets de l’Interreg des 2 mers, et avons monté un projet aux côtés de quatorze partenaires répartis dans quatre pays : Pays-Bas, Belgique, Angleterre et France. Ce projet réunit à la fois des acteurs très techniques et des spécialistes cliniciens.
Le clinicien est un intermédiaire très important, qui permet de définir des besoins dont l’utilisateur final n’a pas forcément conscience lui-même.
Nous sommes, à Lille, chargés de la partie basse de la structure. Cette structure d’exosquelette des membres inférieurs comporte six moteurs : trois par côté, un sur le genou et deux sur les hanches. La cheville n’est quant à elle pas motorisée.
Nos collègues de l’Université de Louvain ont de leur côté développé un système spécifique pour la cheville, en motorisant des orthèses. Une autre équipe belge a également développé une orthèse uniquement pour la hanche. Notre objectif est en effet de développer des solutions ciblant spécifiquement certaines parties du corps en fonction de la pathologie de l’enfant.
Quelles sont les spécificités du travail sur un exosquelette pour enfant ?
Le challenge principal consiste à s’adapter à la croissance de l’enfant. Nous avons donc conçu une structure capable d’évoluer à la fois en hauteur et en largeur. Elle est ainsi adaptée à des enfants âgés de huit à quinze ans, et pesant de vingt-cinq à soixante kilos. Il y a aussi un défi en matière de contrôle-commande : il faut que les algorithmes puissent s’adapter eux aussi aux différentes morphologies.
Quelle approche technique avez-vous adoptée pour concevoir le dispositif ?
Il existe deux grands types d’exosquelettes : des modèles passifs et actifs. Nos collègues de Louvain ont fait le choix d’un exosquelette actif : ils contrôlent finement le couple moteur envoyé à l’articulation.
De notre côté, pour nos modules concernant la hanche et le genou, nous avons fait le choix d’une structure dite passive, qui suit une trajectoire préprogrammée en fonction des paramètres morphologiques de l’enfant et basée sur des schémas de marche modélisés.
L’un des impératifs était de développer une structure permettant une marche fluide. Nous avons donc conçu un système de capteurs au sol qui, en mesurant la pression exercée, permet de savoir quand l’essentiel de la masse du corps a été transféré sur un pied, et donc à quel moment l’autre pied peut se lever. Ceci afin de permettre à l’enfant de réapprendre une marche naturelle. Cela implique une phase d’apprentissage, dans laquelle la notion d’équilibre est centrale.
En ce qui concerne les moteurs, nous avons considéré deux options : les relier à l’articulation via des câbles, ou les installer directement au niveau de l’articulation. Nous avons opté pour cette deuxième possibilité, en faisant par ailleurs appel à un fabricant de moteurs réputé – Maxon – capable de fournir des produits bénéficiant de certifications. Nous leur avons ajouté un réducteur, afin d’adapter leur couple.
Nous avons, enfin, relié les moteurs à des cartes d’acquisition Epos4, elles-mêmes connectées via EtherCAT à une structure de commande de type Speedgoat.
Hormis ces briques technologiques matérielles, à quelles solutions avez-vous fait appel sur le plan logiciel ?
Nous avons notamment utilisé les logiciels Simulink et MATLAB de MathWorks. Le module Simscape Multibody de Simulink nous a permis de simuler le système mécanique : mon collègue a importé le modèle – très complexe – du robot dans le module et construit tout le système de contrôle-commande dans MATLAB/Simulink, afin d’obtenir un système de commande en temps réel via le matériel Speedgoat que j’évoquais précédemment. Une fois tout le programme téléchargé, le dispositif peut par ailleurs fonctionner de manière autonome.
L’avantage de ces logiciels réside dans leur côté tout-en-un : ils permettent de simuler à la fois le côté mécanique et les aspects contrôle-commande, mais aussi de mettre en œuvre en temps réel ce contrôle-commande. Cela évite de passer par des langages comme le C ou le C++. On récupère aussi toutes les données issues des capteurs – capteurs de pression, gyroscopes – ainsi que les données issues des moteurs eux-mêmes. On gagne beaucoup de temps !
Cela s’est révélé crucial en pleine période Covid… Nous avons pu poursuivre les simulations malgré tout. Or, plus on gagne du temps au moment de la conception, plus on en dispose, ensuite pour réaliser des tests cliniques.
Quelles sont les prochaines étapes du projet ?
La prochaine grande étape va être celle des tests visant à valider le fonctionnement de la machine et le fait qu’un enfant la supporte.
Ensuite, il nous faudra évaluer le bénéfice au patient, via un protocole clinique. Ce bénéfice devrait porter sur des aspects tels que la taille et la cadence des pas, l’augmentation de la stabilité et la diminution de l’énergie nécessaire à la marche, ainsi que, plus largement, l’amélioration de la qualité de vie de l’enfant.
Si ces étapes se révèlent fructueuses, nous pourrons alors imaginer la suite… éventuellement une commercialisation. Mais cela impliquera de nouvelles procédures pour obtenir la certification CE propre aux dispositifs médicaux.
Nous sommes donc à la recherche de nouveaux financements. Nous avons notamment déposé un nouveau dossier de demande de financements européens. L’idée est de poursuivre les développements avec nos collègues de Louvain, de tester cela à l’hôpital et de comparer les résultats avec ce qui peut être fait à domicile. Il nous reste aussi un travail à réaliser sur l’alimentation par batterie. Le système actuel fonctionne très bien, mais ne dispose pas de certification CE. Un gros travail scientifique et technique est aussi en cours au niveau du maintien de l’équilibre de la structure. L’analyse des données massives que nous commençons à engranger va nous y aider.
Nous avons par ailleurs conçu une combinaison textile intelligente. Des capteurs intégrés au tissu permettent de mesurer différents paramètres physiologiques : température, rythme cardiaque, réponse électrodermale… Cela va nous permettre d’évaluer le niveau de stress de l’enfant, et donc son degré d’acceptation du dispositif. Si tout se passe bien, dans trois ans, nous devrions avoir validé le bénéfice clinique du système et nous pourrons alors passer à la phase d’industrialisation.
D’une manière plus large, il y a aussi toute une réflexion éthique à avoir : quel est le sens de faire marcher un enfant qui n’a pas forcément conscience de la marche ? A-t-on le droit de « forcer » quelqu’un à marcher ? Qu’est-ce que cela va lui apporter… ? Tout cela soulève des questionnements complexes. Un des objectifs du projet est aussi de montrer au monde de la santé que les technologies bioniques peuvent être une aide, et non pas un frein ou un substitut à leur travail.
[1] JUNIA est une école d’ingénieurs qui porte les diplômes JUNIA HEI, JUNIA ISA et JUNIA ISEN, des activités de recherche et des services aux entreprises. Elle compte 5 000 étudiants, 450 collaborateurs et est implantée à Lille, ainsi qu’à Bordeaux et Châteauroux.
[2] Fonds européen de développement régional
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