Pour ce site phare du paysage touristique hexagonal, remarquable tant sur le plan patrimonial qu’environnemental, convertir peu à peu sa flotte de véhicules à des énergies plus propres allait de soi. Moins évidente en revanche était la sélection des options techniques les plus pertinentes sur le plan technique et financier. Pour poursuivre sa démarche vertueuse initiée par le passage au HVO de toute sa flotte, l’EPN du Mont Saint-Michel a ainsi fait appel à l’expertise du pôle de compétitivité NextMove pour dresser – en un temps record – une synthèse des avantages et inconvénients de chacune des voies techniques possibles.
Si rien n’est acté pour l’heure, une solution semble ainsi se distinguer : celle du rétrofit électrique. Un important travail de R&D reste néanmoins nécessaire pour préciser la faisabilité et les conditions de réalisation de l’opération de conversion de la flotte à l’électrique, comme nous l’explique Mickaël Savin, chargé de mission Mobilités pour l’EPN du Mont-Saint-Michel.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les principales voies empruntées par les visiteurs pour accéder au Mont Saint-Michel ? Quelle flotte de véhicules avez-vous constituée pour assurer leur transport ?
Mickaël Savin : Nous gérons deux lignes principales d’accès au site pour les visiteurs. Nous assurons tout d’abord la gestion publique de la ligne « Passeur », qui va des parkings jusqu’au Mont. Nous avons également une deuxième ligne qui relie le site à la gare de Pontorson.
Nous avons aujourd’hui seize véhicules en tout, qui se divisent en deux catégories bien distinctes. La première est constituée de douze véhicules réversibles, dits « Passeurs », des véhicules très particuliers, reconnaissables à leur bardage bois, qui amènent les visiteurs des parkings au Mont. Ils sont uniques en France. Ces bus sont en effet adaptés aux contraintes propres à notre site, la première d’entre elles étant l’impossibilité de faire se croiser deux véhicules sur la voie d’accès au pied du Mont… Nous avons donc décidé d’acquérir ces véhicules réversibles pour faciliter l’exploitation, notamment en période de forte affluence, en haute saison. Nous accueillons en moyenne 600 à 670 000 véhicules par an sur nos parkings…
Pour la seconde ligne que j’évoquais, celle qui relie le Mont à la gare SNCF, nous faisons appel à un second type de véhicules : des bus Mercedes Citaro K. Nous en avions trois et avons fait l’acquisition d’un quatrième exemplaire début juin. Nous avons en effet de plus en plus de personnes qui fréquentent la ligne, surtout en période estivale.
Qu’est-ce qui vous a poussés à entamer cette démarche de « verdissement » de votre flotte ? Quelles sont les actions que vous avez menées, pour l’heure, dans ce sens ?
Cette démarche est issue de la conjonction de plusieurs facteurs que je détaillerai, mais a surtout été soutenue et amplifiée par notre directeur général. Nous avons ensuite profité d’un changement de concessionnaire pour initier la démarche, en effectuant un changement de carburant sur l’ensemble de nos véhicules. Nous sommes passés depuis le 20 octobre 2022 à l’huile végétale hydrotraitée, ou HVO[1]. Nous avons réfléchi plus de deux ans sur ce sujet. Nous aurions quoi qu’il advienne opéré cette transition un jour, mais le changement de contrat de concession a été une opportunité que nous avons saisie.
Le Mont Saint-Michel est un site remarquable tant d’un point de vue patrimonial qu’environnemental. Nous ne pouvions donc pas nous permettre de continuer à exploiter des véhicules diesel amenant les visiteurs jusqu’au Mont… Nous en étions conscients nous-mêmes et les visiteurs nous en avaient fait la remarque.
Nous étions, au départ, prêts à opter pour le B100, un biocarburant comparable au HVO. Nous avons toutefois fini par opter pour cette solution HVO sur les conseils de notre concessionnaire exploitant les lignes, Keolis Mont-Saint-Michel. Les avantages économiques, mais aussi écologiques, en matière d’émissions polluantes, étaient en effet plus importants : le HVO réduit de près de 90 % les émissions de gaz à effet de serre. Il permet également de réduire les émissions de polluants à l’échappement : ce carburant permet par exemple de diminuer de 33 % les émissions de particules fines, de 24 % les émissions de monoxyde de carbone et de 30 % les émissions d’hydrocarbures imbrûlés (HC).
L’autre avantage du HVO est qu’il est ne nécessite pas de changement de moteur, seulement quelques modifications mineures, comme le remplacement des cuves. Cela nous a donc permis de mettre en place la solution très rapidement, en l’espace d’une dizaine de jours seulement !
Enfin, ce HVO est issu d’huiles de friture usagées, et permet donc de préserver les ressources agricoles vierges. Nous nous approvisionnons aux Pays-Bas, donc au niveau européen, et non plus auprès de pays producteurs de pétrole… Ces huiles sont traitées en usine sur place, puis acheminées par bateau jusqu’au port du Havre, et enfin transportées jusqu’à nous.
Dans notre démarche de verdissement, le passage au HVO n’est cependant qu’une première étape. Nous avons ainsi fait appel à l’expertise de NextMove, qui a rédigé un rapport indiquant notamment que le rétrofit électrique représenterait la meilleure solution face à notre cas d’usage et aux contraintes techniques qui en découlent. Nous n’avons toutefois pas encore définitivement acté le passage à cette solution. D’autres choix sont en effet possibles, comme l’achat de véhicules neufs, ou encore l’option l’hydrogène, même si cette solution ne nous semble pour l’heure pas suffisamment mature. Nous ne sommes en tout cas fermés à aucune possibilité. Nos véhicules actuels n’en sont qu’à mi-vie. Nous ne lancerons donc cette deuxième phase que dans les prochaines années. Cela ne peut d’ailleurs pas se faire à très court terme pour une autre raison : plusieurs années de R&D seront nécessaires.
Vous n’avez donc, sans doute, pas encore initié de réflexion technique sur cette deuxième phase…
Eh bien, en fait… Si ! L’an dernier, en même temps que notre démarche autour du HVO, nous avons lancé une réflexion technique sur le rétrofit électrique de nos véhicules de la ligne Passeur. Nous avons rencontré des entreprises spécialisées dans ce domaine, qui ont commencé à apporter des solutions. Cela a toutefois été mis en pause. La réflexion est en tout cas lancée, avec déjà des données techniques et des éléments sur le plan financier.
Quel a été le rôle de NextMove dans la réflexion que vous avez menée autour du verdissement de votre flotte de véhicules ?
Lorsque nous avons initié notre réflexion autour du verdissement de notre flotte, nous avons d’abord travaillé en interne, avec l’appui d’entreprises expertes. Nous avons toutefois eu du mal à faire la synthèse des avantages et inconvénients des différentes solutions envisagées, et à valider nos premières conclusions. NextMove nous a donc accompagnés, par le biais d’une étude, dans la sélection de ces solutions techniques de verdissement et nous a permis d’initier une réflexion sur la stratégie à adopter pour mettre en place cette démarche. Compte tenu d’un timing assez serré, l’étude a essentiellement porté sur notre ligne Passeur et ses véhicules double-cabine. NextMove nous a accompagnés dans l’identification des solutions techniques, dans les questions liées au coût, mais aussi sur le planning de déploiement de ces différentes technologies. Cela nous a apporté un éclairage essentiel sur nos futurs choix d’investissement. NextMove nous a également permis de bénéficier d’un réseau d’experts, qui nous ont eux aussi éclairés dans nos choix. L’étude a été réalisée, comme je le disais, dans un délai très court. Le rendu s’est toutefois révélé très qualitatif. Nous sommes donc pleinement satisfaits de cette collaboration. Si nous avons l’occasion, à l’avenir, de renouveler ce type de démarche, nous le ferons bien volontiers. Nous envisageons en effet de prolonger notre projet de verdissement à l’ensemble de nos véhicules. Nous avons le pouvoir d’agir sur ce plan, mais aussi sur d’autres aspects connexes, comme le stationnement. Nous avons par exemple décidé d’installer des bornes de recharge pour véhicules électriques sur nos parkings. Nous ne pouvons pas maîtriser toute la chaîne de déplacements, mais nous améliorons en tout cas tous les aspects sur lesquels nous avons la main. Nous voulons tendre vers des énergies plus propres, plus durables, qui soient en adéquation avec les enjeux environnementaux propres au Mont Saint-Michel.
Comment accueillez-vous ce trophée qui vient de vous être remis ?
Recevoir ce prix était assez inattendu pour nous. C’est toutefois bien entendu avec plaisir que nous le recevons. Ce prix va nous permettre d’être plus visibles auprès des entreprises, de leur faire savoir que nous travaillons sur ce sujet, que nous menons des réflexions qui pourraient nous conduire, un jour, à les solliciter pour qu’elles nous aident et nous accompagnent face aux ambitions fortes d’exemplarité que nous avons vis-à-vis des questions de mobilité.
Ce trophée NextMove va ainsi nous permettre de gagner en visibilité et de toucher un public cible plus large, tant du côté des entreprises que des experts.
[1] Hydrotreated Vegetable Oil
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